Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

« Weimar doit être complémentaire à ce que nous faisons en franco-allemand »

Interventions médiatiques |

interviewé par Arthur Kenigsberg pour

  Euro Créative
Accroche

Entretien « Europe Stratégique » numéro 3 avec Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) depuis septembre 2024. 

« Europe Stratégique » est une série d’entretien menés avec des personnalités politiques, chercheurs, think tankers et chefs d’entreprise sur l’autonomie stratégique européenne. Entretien mené par Arthur Kenigsberg, président d’Euro Créative

Image principale médiatique
Euro Créative - Europe Stratégique - Paul MAURICE
Table des matières
Table des matières
body

Les résultats des élections allemandes ce week-end auront une forte incidence sur l’avenir de l’Union européenne et son besoin de souveraineté stratégique. L’Europe est-elle un sujet majeur de la campagne ?

L’Europe est un sujet sans en être un. Même si les questions nationales traitées pendant la campagne sont liées à l’Europe, les questions européennes passent souvent au second plan. Deux sujets saillants de la campagne allemande ont une implication européenne : les questions économico-sociales et l’avenir du modèle industriel allemand. Elles sont liées par la question de l’exportation sur le marché européen, la question du marché européen, et de manière plus large, la question de la compétitivité européenne.

Le deuxième sujet, c’est le sujet migratoire où nous avons vu une séquence politique houleuse avec des résolutions visant à fermer les frontières ou d’expulser les migrants en situation illégale. On touche la limite de la question nationale parce qu’il y a certains aspects qui doivent être traités à l’échelle européenne. Il y a aussi, la nécessité de mettre en œuvre le volet national du pacte Asile et l’immigration qui a été voté à l’échelle européenne, qui doit entrer en application en 2026.

Cependant, on ne voit pas le terme européen apparaître dans la campagne même si les sujets sont très liés. Un vrai sujet européen, moins visible mais très important, c’est lorsque Friedrich Merz a rencontré les responsables du PPE pour discuter des questions européennes où il a évoqué en marge la possibilité d’une mutualisation des dettes pour les questions de sécurité et de défense.

Sur des sujets qui intéressent la France comme le soutien à l’Ukraine ou les sujets stratégiques, on observe un grand alignement entre la CDU et les Verts, notamment sur  la livraison de Taurus. On observe un décalage plutôt du SPD sur ces questions-là, alors que c’est Scholz qui avait fait son discours sur le Zeitenwende en février 2022 sur les investissements dans la défense.

Mais il y a finalement assez peu de débats sur la question de l’élargissement de l’Union européenne, sur l’avenir des institutions européennes ou sur l’Ukraine.

Sur ce sujet de la Zeitenwende, est-ce que l’Allemagne est capable de produire une pensée stratégique, en termes capacitaires et en termes de volonté politique ?  Est-ce que la perspective d’un effort de défense durablement supérieur au 2 % du PIB est-elle crédible ?

Oui, la perspective d’un effort de défense est crédible même si l’Allemagne est dans une situation budgétaire assez compliquée, pas au même degré que la France, mais il y a des restrictions budgétaires, la barre du nombre de chômeurs augmente et dépasse celle des trois millions, ce qui est une première depuis une quinzaine d’années en Allemagne. Les dépenses sociales vont augmenter, ce sont donc des choix à faire. Et on a commencé à le voir dans les fausses questions rhétoriques qu’avait posé Olaf Scholz dans un débat au Bundestag à la fin du mois de novembre : « doit-on sacrifier nos retraites pour la défense de l’Ukraine ? ».

Ce choix dépend du modèle économique : est-ce qu’on a un modèle économique performant et rentable qui permet des rentrées fiscales ou des rentrées de taxes sur les entreprises pour financer cet effort ? Reste aussi la question de l’emprunt commun à l’échelle européenne.

L’Allemagne est-elle capable d’avoir une pensée stratégique ? Il y a-t-il un consensus ?

C’est très compliqué. Avoir des fonds, dépenser de l’argent, oui mais pour quoi faire ? Nous observons actuellement les difficultés de projection d’une brigade en Lituanie, nous voyons les difficultés qu’a la Bundeswehr à se projeter avec les questions liées aux consensus et avantages sociaux pour les familles afin de s’installer à l’étranger. La Bundeswehr n’est pas dans une logique de projection. Elle a été traumatisée par l’Afghanistan et le Mali.

La stratégie nationale de sécurité qui a été publiée, à l’été 2023, renforce l’aspect blindé motorisé de la Bundeswehr et son intégration dans le cadre OTAN, elle revient aux fondamentaux avec l’armée de terre du temps de la Guerre froide qui avait pour objectif de défendre le flanc Est et de s’intégrer dans le cadre de l’OTAN. Pourquoi pas, c’est aussi une compétence mais il faut aussi qu’elle soit développée à l’échelle nationale avec une vue sur le long terme et à l’échelle européenne en complémentarité avec d’autres pays, notamment la France.

L’Allemagne est partagée malgré le choc et le déclencheur de la guerre en Ukraine. Elle est partagée sur ce que doit être sa vision stratégique du monde. Il y a toujours le traumatisme d’une Allemagne militarisée, qui imprègne certains partis, notamment le SPD, avec son héritage pacifiste de l’Ostpolitik et de la politique de détente et sa volonté de se concentrer sur les dépenses sociales.

Les Verts ont fait leur revue stratégique interne, ce qui leur permet actuellement d’avoir une vraie vision stratégique. Et donc, qu’ils participent ou non au prochain gouvernement, ils pourraient apporter une pierre à l’édifice de cette vision stratégique allemande, notamment au Parlement. Nous pouvons nous souvenir du discours d’Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères, le 22 janvier 2023 dans une interview avec Catherine Colonna, où elle avait tordu le bras du Chancelier Scholz sur l’autorisation de réexportation de chars Leopard par la Pologne.

Et de la part de Friedrich Merz et de la CDU ? A quoi faut-il s’attendre, notamment sur l’Ukraine ?

Il y aura un changement dans la communication mais sur le fond, tout dépend de la coalition avec laquelle il sera obligé de de gouverner. S’il doit gouverner avec le SPD, il sera quelque peu limité. Cela dépendra aussi de l’évolution de la guerre d’Ukraine, à la fois sur le terrain, de la position des Etats-Unis, de l’effectivité des négociations entre Trump et Poutine, de la volonté de Zelensky de négocier, etc…

L’Allemagne espère, comme beaucoup de pays, que le conflit s’arrête parce qu’il représente beaucoup de dépenses. Néanmoins, il est possible que le discours et la communication soient traduits dans des actes symboliques forts notamment sur la livraison des Taurus.

Ce qui est paradoxal, c’est que l’Allemagne, sous le gouvernement Scholz, a énormément livré, quand on parle de volume de livraison à l’Ukraine. Ce sont des volumes importants, beaucoup plus élevés que tous les autres pays européens. Mais l’Allemagne n’a pas su montrer qu’elle était un vrai soutien de l’Ukraine et on lui a beaucoup reproché de ne pas aller suffisamment loin.

Dans cette conversation il y a quand même une grande absente, la France. Est-ce que la relation franco-allemande a toujours une certaine spécificité dans la pensée stratégique allemande ?

Friedrich Merz est sûrement plus francophile que les personnalités du gouvernement en place. Il est l’héritier de la CDU, de Schäuble et de Kohl mais aussi d’Adenauer, de l’ancrage à l’ouest, du lien transatlantique en parallèle de la relation franco-allemande. Les deux ne sont pas antithétiques, ils peuvent aller ensemble et donner un ancrage européen.

Il a dit publiquement que son premier déplacement serait dans la même journée à Paris et à Varsovie. Il est déjà venu à Paris pour rencontrer des responsables politiques français, notamment le Président de la République. Il a signifié publiquement au Bundestag qu’il fallait relancer la relation franco-allemande. C’est un aspect positif, il comprend la nécessité de parler avec la France.

Mais on peut être francophile et avoir des divergences d’opinion avec la France, notamment sur les questions budgétaires. La trajectoire budgétaire est un point central dans les divergences franco-allemandes et dans les reproches faits en Allemagne à la France. Il y a eu un grand espoir en 2017 de réformes économiques qui a été rapidement déçu. En Allemagne, on regarde donc la France avec beaucoup de méfiance actuellement sur sa trajectoire budgétaire et sur ses difficultés à se projeter dans l’avenir, chaque gouvernement est sous une épée de Damoclès…

L’arrivée de Trump, le bouleversement du lien transatlantique vont peut-être pousser à un renouveau de la relation franco-allemande. Comment peut-on faire les choses en franco-allemand ? Pour quoi faire ? Par exemple, aller en Syrie en franco-allemand, c’est très bien, mais pour porter quel message européen ?  Pour porter quelle voix de l’Europe ?

Le franco-allemand, c’est une manière de se positionner à l’échelle internationale. Il faut faire du franco-allemand en Chine, il faut faire du franco-allemand ou du Weimar (France, Allemagne, Pologne) aux Etats-Unis face à Trump. Nous avons encore du mal à le faire parce que les intérêts sont divergents sur des questions économiques et industrielles. Ce qui est rassurant, c’est que sur des questions de politique étrangère, il y a un alignement sur certains sujets avec à la fois une plus grande européanisation de la politique étrangère française et une réflexion plus importante de l’Allemagne sur sa projection dans le monde avec cette conviction qu’elle ne peut pas le faire toute seule et doit donc travailler avec la France, notamment en Afrique.

Le format Weimar peut-il renforcer la relation franco-allemande ?

On a souvent dit que le format Weimar avait été relancé parce que la relation franco-allemande allait mal. Ce n’est pas vrai. On travaille en Weimar parce que les circonstances font qu’on doit travailler en Weimar. Ce format a été relancé par la guerre en Ukraine, malgré de grandes divergences politiques avec le PiS en Pologne à l’époque.  La première réunion au niveau chef d’État et de gouvernement en février 2022, c’était avant le début de la guerre et c’était la première depuis 2011.

C’est un format européen mais il ne remplace pas le franco-allemand. De la même manière, quand le Président de la République, Emmanuel Macron, a rencontré Donald Tusk à Varsovie pour renforcer la relation franco-polonaise, ça ne remplace pas le format Weimar, le franco-allemand ou le germano-polonais. Les trois États ont des relations bilatérales. Weimar doit être complémentaire à ce que nous faisons en franco-allemand.

>> Lire l'interview sur le site d'Euro Créative

 

Decoration

Média

Nom du journal, revue ou émission
Euro Créative

Journaliste(s):

Journaliste
Arthur Kenigsberg

Format

Catégorie journalistique
Interview

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
paul_couleur_2.jpg

Paul MAURICE

Intitulé du poste