Vladimir Poutine est-il réaliste ?
« Nous irons de l’avant sans jamais reculer », affirmait Vladimir Poutine lors de sa brève allocution télévisée du 31 décembre 2024. Cette intervention correspondait au vingt-cinquième anniversaire de son arrivée au Kremlin. Sans mentionner une seule fois l’Ukraine, il s’adressait ainsi à ses soldats : « Vous êtes de véritables héros, vous qui assumez aujourd’hui les devoirs militaires, vous qui défendez la Russie et assurez à notre peuple des garanties solides de paix et de sécurité. Nous nous remplissons de fierté devant votre courage et votre bravoure ; nous avons foi en vous. »
Déclenchée en 2014 par l’annexion de la Crimée, la guerre d’Ukraine est devenue un des épicentres des tensions internationales depuis février 2022. L’« opération militaire spéciale » déclenchée par Poutine s’est transformée en guerre d’attrition. Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, on spécule volontiers sur des négociations susceptibles de mettre fin au conflit. Chacun y va de son scénario, d’une configuration coréenne à la grande conférence paneuropéenne, faisant comme si Poutine voulait négocier.
Rien n’est moins sûr dans la mesure où le président de la Fédération de Russie pense que le temps joue toujours en sa faveur, en dépit du niveau de pertes humaines et des conséquences économiques de son engagement. C’est pourquoi il convient de bien distinguer les séquences suivantes, forcément entremêlées. La première concerne l’initiative attendue de l’administration Trump, qui interviendra au moment où le moteur franco-allemand n’est plus capable d’initiative majeure et où la Pologne exerce la présidence de l’Union européenne. La deuxième relève de l’attitude à attendre des autorités ukrainiennes qui, soulignons-le, parviennent à résister depuis presque trois ans en dépit d’un rapport de force défavorable et des tergiversations occidentales. Qui dit négociation dit garantie de sécurité, à moins de considérer que les Ukrainiens méritent d’être laissés à leur sort. La troisième correspond à la recherche d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe (en Eurasie pour les Russes, une différence importante). Il est certain que les Européens ne sont pas actuellement en mesure de lier les deuxième et troisième séquences en raison de leur affaiblissement stratégique, qui ne résulte pas seulement de la guerre d’Ukraine. La quatrième séquence se rapporte à la « question russe » et à la manière de la poser pour les vingt-cinq prochaines années.
Dans ce contexte, les dirigeants occidentaux, prompts à négocier, gagneraient à garder à l’esprit la technique de négociation héritée des Soviétiques. En 2022, Kaja Kallas, désormais Haute représentante de l’Union européenne, la résumait ainsi. Premièrement, annoncer des objectifs maximalistes. En l’espèce, la position de Moscou consiste à imposer les points suivants : neutralité pour l’Ukraine sans perspective de rejoindre l’Union européenne et l’OTAN ; reconnaissance occidentale des régions annexées ; levée de toutes les sanctions ; reconnaissance d’une sphère d’influence russe avec des modifications de frontières. Deuxièmement, recourir aux ultimatums. Troisièmement, ne jamais rien céder en attendant que la partie occidentale le fasse par souci, précisément, de « négocier » et de trouver des solutions.
À y regarder de près, cette technique est toujours à l’œuvre, complétée par des « mesures actives » conduites par les services de renseignement pour modifier la perception des adversaires. Poutine est souvent associé au terme de « réalisme », c’est-à-dire à une approche des relations internationales fondamentalement basée sur la défense et la promotion des intérêts nationaux, avec sphères d’influence et équilibre des forces comme principes d’action. Ainsi, la Russie chercherait à instaurer un nouveau concert, non pas européen, mais eurasiatique. Cette approche néglige deux points cruciaux : le processus de décision et l’idéologie. L’organe clé de préparation et de conduite est l’Administration présidentielle, dirigée par Anton Vaïno, qui fonctionne en vase clos, sans collégialité par rapport à la période soviétique. Cette concentration du pouvoir dans les mains de Poutine invite à souligner l’importance de son idéologie, comprise comme ses croyances, son système de référence et son expérience personnelle. Au-delà de son enrichissement personnel, le Président russe a versé dans un anti-occidentalisme qui lui tient lieu de doctrine. L’Ukraine n’est qu’un prétexte.
>Lire l'article sur le site de la revue Études
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