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Comment la guerre en Ukraine rebat-elle les cartes pour l'industrie de la défense ?

Avec

  • Lucie Béraud-Sudreau Directrice du programme de recherche « Armement et dépenses militaires » au Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).
  • Léo Péria-Peigné chercheur au Centre des études de sécurité de l’IFRI (Institut français des relations internationales)
Contenu intervention médiatique

Allemagne, Suède, France, Pologne … Depuis l’éclatement d’un conflit ouvert en Ukraine au mois de février 2022, les Etats européens mettent les bouchées doubles sur les dépenses allouées à la défense. La rapidité avec laquelle se vident les stocks de canons et de munitions a en effet de quoi donner des sueurs froides aux états-majors. La guerre de position qui déchire l’autre côté de l’Europe engendre des pertes matérielles très importantes, et engloutit en quelques jours l’équivalent d’années de production de munitions. Face à cette faiblesse des arsenaux, l’innovation ou l’achat d’armes à l’étranger ne peuvent suffire : il s’agit pour les décideur-ses politiques de remettre en cause le modèle productif en lui-même, l’industrie de l’armement, pour produire plus et plus vite.

Avec la guerre en Ukraine, les Etats européens mettent au pas leurs dépenses militaires

L’armement est un secteur industriel spécifique en ce qu’il a pour uniques clients les Etats. Son dynamisme et son poids dans l’économie dépendent donc particulièrement du budget alloué aux dépenses militaires , qui représentent la demande sur ce marché. Selon Lucie Béraud-Sudreau "depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'industrie de l'armement est a au croisement de deux tendances un peu opposées : de nombreux Etats européens, mais aussi les Etats-Unis, ont annoncé une augmentation de leurs dépenses militaires, on peut donc s'attendre à une augmentation du chiffre d'affaire des entreprises de l'armement dans les années à venir, mais en même temps, ces entreprises font face à des problématiques de chaîne d'approvisionnement, et de chaîne de valeur, qui sont des effets du Covid qui impactent l'industrie et l'économie de manière générale. On a donc cet effet d'annonce sur l'augmentation des dépenses militaires et une trajectoire plutôt ascendante pour ce secteur, mais dans le même temps des obstacles dans l'approvisionnement". La guerre en Ukraine ne vient qu’accentuer un sentiment de menace déjà grandissant depuis l’annexion de la Crimée en 2014. La hausse des dépenses militaires annoncée est donc plus une accélération qu’un véritable tournant pour l’industrie.

Léo Péria-Peigné précise "dans le cas de la France, cela peut s'inscrire dans un temps plus long. A partir de la fin de la guerre froide, une décennie s'ouvre où un certain nombre d'opérations militaires de maintien de la paix ou humanitaire fait que les budgets militaires restent relativement conséquents. Au début des années 2000, la professionnalisation de l'armée, puis la crise financière de 2008 et enfin l'application d'un plan d'économie globale, tous ces éléments font que les budgets ont considérablement décrus. Cela change en 2015, il s'avère que les besoins militaires français sont plus importants pour mener des opérations en Afrique ou au Moyen-Orient et l'opération Sentinelle sur le territoire. On assiste à une remontée en puissance relative par rapport à tout ce qui avait été perdu".

Conséquences concrètes sur l’organisation du secteur : rigidités, orientations et questionnements pour l’industrie de l’armement

Lorsqu’on tente d'évaluer les délais nécessaires à la reconstitution des arsenaux, un point pose particulièrement difficulté : ils ne dépendent pas que de l’organisation nationale de la production. La relocalisation, la simplification des normes sont des mesures qui devraient permettre d'accélérer la production d'armement.

Léo Péria-Peigné prend l'exemple de la poudre et explique "depuis que la guerre a commencé, la demande en poudre, que ce soit de la poudre simple pour des munitions de petit calibre ou des poudres complexes pour des missiles, a explosé. Ce qui fait que c'est le premier arrivé qui est le premier servi, sachant que ceux qui ont une capacité de production sur leur territoire national sont un peu privilégiés. Or comme la poudre un produit qui est assez peu cher et relativement simple, sa valeur ajoutée est limitée, et cela fait longtemps que nous avons perdu la capacité de production sur le territoire national. Or des entreprises cherchent à regagner une capacité minimale de production, sinon française au moins européenne, pour être un peu moins dépendant de ce produit qui conditionne toute la filière munition.

Parmi les composants stratégiques, il y a aussi les semi-conducteurs qu'on achète à l'étranger, ceci consitue un facteur de vulnérabilité pour nos industries de la défense, Lucie Béraud-Sudreau ajoute "il y a eu une pénurie de semi-conducteurs sur l'année 2022 et on arrive au terme de cette pénurie, et on voit que ce sont ceux qui ont pu anticiper qui ont le mieux résisté. Des entreprises comme Rheinmetall, une entreprise allemande, avaient constitué des stocks de semi-conducteurs. On voit aussi que les industriels qui ont des chaînes de production localisées, comme Dassault aviation, sont moins touchés par ce type de perturbation, d'autant que les semi-conducteurs sont présents dans la plupart des systèmes d'arme avancés".

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Léo PÉRIA-PEIGNÉ

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