Un regard lucide sur les périls du monde
À travers dix enjeux géopolitiques, le directeur de l'Institut français des relations internationales donne les clefs d'un monde en train de basculer.
Comment ne pas céder à l'affolement du monde ? Face aux bouleversements majeurs que ce nouveau siècle doit affronter - migrations, populismes, guerres commerciales, annexions et agressions -, le nouvel ouvrage de Thomas Gomart est une invitation à la lucidité. Le directeur de l'Institut français des relations internationales (Ifri) a dégagé dix enjeux géopolitiques pour appréhender les tensions d'aujourd'hui et de demain. Ce faisant, il débarrasse son lecteur de toute illusion naïve de sécurité.
Historien de formation, l'auteur part du constat qu'« il n'existe plus aujourd'hui de modèle convaincant de la mondialisation, mais une diversité de visions et d'aspirations ». Que va-t-il en sortir ? Plutôt pessimiste, l'essayiste n'exclut pas de nouveaux déchaînements de violence, même s'il accepte l'hypothèse « d'un mouvement de reconstruction dans un espace mondial plus interdépendant ».
Il explore évidemment les questions traditionnelles de puissance avec des chapitres très éclairants dédiés à la Chine, aux Etats-Unis, à l'Europe ou à la Russie. Des cartes, la mise en lumière de quelques faits historiques incontournables, un peu de doctrine internationale parfois doublée de références littéraires offrent au lecteur le socle d'une analyse alimentée par plus de vingt ans d'études et de réflexion sur la politique internationale.
L'un des intérêts de l'ouvrage est qu'il aborde aussi des enjeux géopolitiques thématiques. Des plus classiques, comme celui de la maîtrise de l'énergie et du dérèglement climatique , à d'autres plus novateurs comme la lutte pour le contrôle des espaces communs : air, espace et technologies de l'information.
« Si tu veux la paix, prépare la guerre »
Pédagogue dans ses explications, Thomas Gomart ne laisse pas le lecteur se réconforter avec des idées simples. Ainsi, le précieux édifice de l'Union européenne, construit depuis soixante ans, est loin d'être une garantie de paix « car les pays européens sont en train de rompre avec l'insularité stratégique dans laquelle ils pensaient vivre depuis 1991, sous l'effet combiné du terrorisme djihadiste et du retour de la compétition entre les grandes puissances ». Et ce, alors que Bruxelles doit gérer crise identitaire et populismes, désamour politique de l'Union européenne, Brexit et gestion des migrations, qui peuvent remettre en cause son modèle même.
« La violence des chocs endogènes et exogènes subis par la construction européenne depuis plus de dix ans soulève la question de sa résilience et de sa plasticité, ainsi que celle de son format à horizon 2030 », écrit-il. Au baromètre de l'affolement, les Européens, déboussolés par l'impression de ne plus maîtriser leur destin, risquent fort de devoir affronter un gros avis de tempête, alors qu'ils se croient encore protégés par une Union érigée comme une enceinte de paix.
Autre danger latent : après des années marquées par une volonté politique de désarmement, la prolifération des armes de destructions massives va continuer. Les modes d'engagement ont eu beau évoluer rapidement (drones, cyberattaques...), le nucléaire devrait continuer à conditionner les rapports de forces internationaux, d'autant que les performances des lanceurs de missiles ne cessent de s'améliorer. Il faut « réapprendre notre grammaire nucléaire », enjoint l'auteur. Précédemment utilisé pour assurer la préservation du territoire national, l'arsenal atomique peut aussi être utilisé pour mener des actions d'affaiblissement, voire d'attaque, sur des pays voisins.
Enfin, inutile de se leurrer : les puissances émergentes ne sont pas seulement avides d'affirmer leur identité ou d'améliorer leur bien-être économique, elles sont bien en quête de puissance. « Ce serait une erreur de feindre de croire que les grands émergents n'ambitionnent pas, à leur tour, de dominer politiquement et militairement leurs environnements. »
Rien ne doit être exclu, pas même un conflit ouvert entre la Chine et les Etats-Unis. Un chiffre pour attester les préparatifs en cours : la dépense militaire mondiale a atteint 1.739 milliards de dollars en 2017, le niveau le plus élevé depuis la fin de la guerre froide.
Fils de militaire, Thomas Gomart continue de penser que les armes sont une carrière d'avenir, et que « la paix n'est pas toujours perpétuelle ». Quitte à s'affoler, autant le faire les yeux bien ouverts. C'est même le secret. Car c'est dans l'analyse que le lecteur trouvera l'antidote à la panique.
« L'Affolement du monde. 10 enjeux géopolitiques », par Thomas Gomart, éditions Tallandier, 319 pages, 20,50 euros.
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