Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

« Un État qui s'attaquerait à nos satellites s'exposerait à des représailles »

Interventions médiatiques |

interviewé par Jean Guisnel dans

  Le Point
Accroche

Le lancement par l'Inde, le 27 mars, d'un satellite tueur qui a détruit sa cible, ne remet pas en cause le choix français de ne pas suivre cette voie, estime le chercheur Corentin Brustlein, de l'IFRI. Interview.

Contenu intervention médiatique

Avec l'Inde depuis le mois dernier, ce sont désormais quatre pays qui sont dotés de capacités démontrées de détruire un satellite dans l'espace. La France estime qu'elle dispose avec la bombe nucléaire d'une capacité de dissuader ses adversaires de s'en prendre à ses satellites, dont elle ne pourrait plus se passer. Est-ce vraiment le bon choix ? ça se discute... avec Corentin Brustlein, directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri.

Le 27 mars dernier, l'Inde a réussi un tir de missile antisatellite. Pourquoi est-ce un événement ?

En détruisant l'un de ses propres satellites qu'elle avait lancés en janvier 2019, l'Inde a voulu démontrer sa capacité àneutraliser des cibles spatiales. L'engin qu'elle a tiré était un missile balistique modifié, initialement conçu pour transporter une arme nucléaire. En modifiant les conditions du tir d'un engin de ce type, il est possible de le diriger de telle sorte que sa trajectoire croise celle d'un satellite en orbite. Une telle action requiert a minima la maîtrise de capacités dans le domaine des lanceurs spatiaux et dans celui du guidage terminal. Quand le missile a terminé sa phase propulsée, le véhicule tueur s'en détache et doit trouver le satellite, se diriger vers lui et le percuter. C'est ce qu'on appelle une interception cinétique. En anglais : hit to kill. L'engin n'emporte pas de charge explosive. Il est essentiellement composé d'un capteur combiné à de petits réacteurs recalant la trajectoire du véhicule, qui frappe sa cible à grande vitesse. La vitesse de convergence est de plusieurs kilomètres/seconde et le choc détruit la cible.

Quels sont les pays en mesure de conduire ce type d'opération ?

Ils sont très peu nombreux, puisque l'Inde - qui a tiré contre une cible en orbite basse - n'est que le quatrième pays àavoir apporté la preuve qu'il possède cette capacité. Elle rejoint les États-Unis et la Russie, de même que la Chine quiavait procédé à un essai du même type en 2007. Ce dernier avait été mal accueilli pour des raisons compréhensibles, dans la mesure où l'engin visé se trouvait à plus haute altitude, et que par conséquent sa destruction avait créé de très nombreux débris, dont certains sont toujours en orbite aujourd'hui. Les débris de ce type polluent un espace commun dont tout le monde profite à des fins essentiellement pacifiques, et font courir des risques à toutes les activités spatiales, y compris à la Station spatiale internationale. À la suite du tir chinois, les États-Unis avaient effectué un tir contre l'un de leurs satellites présentés comme défaillant, à l'aide d'un missile antimissile modifié. Le tir indien vient nous le rappeler : il existe une dualité fondamentale entre les missiles antisatellites et les missiles antimissiles balistiques. Le tir indien est une démonstration de force, apportant la preuve que ce pays peut tirer contre des satellites en orbite basse, mais aussi qu'il fait d'importants progrès dans son programme de défense antimissile balistique.

Le type d'expérience contrevient-il aux obligations imposées par le traité contre la militarisation de l'espace de janvier 1967 ?

Non. Ce traité permet de poursuivre un certain nombre d'activités militaires dans l'espace. Il interdit explicitement le placement d'armes nucléaires en orbite ou sur la Lune, mais il n'interdit pas d'avoir certaines activités militaires dans l'espace, comme l'observation de la terre, le positionnement ou les communications, ce que tout le monde fait depuis des décennies. L'attitude générale dans l'espace depuis la fin de la guerre froide a été guidée par une certaine retenue, devenue la norme. Au-delà de la conformité juridique au traité de 1967, les puissances ont fait le choix de ne pas « arsenaliser » l'espace extra-atmosphérique. C'est ce qui est si préoccupant aujourd'hui : cet espace commun est gagné par les rivalités de puissance, et un nombre grandissant d'acteurs se dote de moyens d'agression. Les tirs antisatellites font partie de cette évolution, mais il existe d'autres manières d'agir de façon coercitive : aveugler ou occulter les capteurs d'un satellite d'observation, brouiller ou intercepter un satellite de communication, utiliser un engin de maintenance spatiale manoeuvrant pour détériorer un équipement... On peut aussi l'aveugler depuis la terre avec un laser, comme l'a fait la Chine contre un satellite américain évoluant au-dessus de son territoire.

Bien qu'elle revendique un statut de puissance mondiale, la France ne s'est pas dotée de capacités de ce type. Pourquoi ?

Pourquoi l'aurait-elle fait ? Elle n'y a pas intérêt. J'observe que le discours indien sur l'interception réussie célèbre l'accession du pays à un nouveau statut, mais qualifie aussi cette nouvelle capacité de dissuasive, destinée àdécourager quiconque de s'en prendre à ses satellites. Mais si l'objectif de protéger ses propres moyens spatiaux est compréhensible, la possession de missiles antisatellites n'y contribue guère. Les débris générés par ces interceptions gênent les capacités de tout le monde, y compris celles du tireur. Tous les pays, y compris la France, dépendent de plus en plus de l'espace. Nous partageons avec les autres nations la vulnérabilité de nos moyens spatiaux, et celle-ci serait tout sauf réglée par une course aux intercepteurs antisatellites qui concrètement ne permettraient pas de protéger nos satellites. Si la France veut entamer un dialogue dissuasif pour décourager une agression contre ses moyens spatiaux, elle a d'autres arguments. Un État qui s'attaquerait à nos satellites s'exposerait à des représailles. Seraient-elles conventionnelles, nucléaires, cybernétiques ? Tout dépendra de l'enjeu, des intérêts menacés. L'important est qu'un agresseur potentiel sache que l'aptitude à répondre existe et que la volonté serait là. Mais l'approche française de la dissuasion demeure qu'on n'a pas besoin d'avoir les mêmes capacités que l'adversaire pour le dissuader de les employer, la symétrie restant ainsi un mauvais réflexe.

 

Lire l'article sur le site du Point

Decoration

Média

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
corentin_couleur.jpg

Corentin BRUSTLEIN

Intitulé du poste

Ancien Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri