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Thomas Gomart : « Nous avons besoin d’utopie et d’imagination, mais aussi de réalisme et de lucidité »

Interventions médiatiques |

interviewé par 

  Véronique Kiesel
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Le monde d’après  le Covid-19 : en mieux ou en pire ? Pour Thomas Gomart (Ifri), il s’agit de repenser la gouvernance mondiale sur fond de tensions  qui risquent d’exploser. 

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Thomas Gomart, directeur de l’Ifri (Institut français des relations internationales), est l’auteur de L’affolement du monde (éd. Tallandier/Texto). Il fait le point sur les défis géopolitiques créés par l’épidémie.

 

Votre dernier ouvrage s’intitule L’affolement du monde. On y est ?

Le titre correspond assez bien à ce que nous sommes en train de vivre, même si le confinement ne permet pas encore de voir les diverses formes de l’affolement. Plusieurs problèmes internationaux bien identifiés se posent avec encore plus d’acuité : la relation triangulaire Etats-Unis-Chine-Europe, profondément modifiée ; la situation au Moyen-Orient ; en Afrique ; le système de migrations… Le Covid-19 a aussi un impact direct sur les politiques énergétiques et climatiques, sur les sanctions et surtout sur les activités numériques. La crise sanitaire fait rejouer des tensions latentes, potentiellement explosives. En même temps, elle fait prendre conscience, de manière extrêmement rapide, de la nécessité de repenser la gouvernance internationale pour gérer le bien commun. Et ça, ce doit être source d’optimisme et de mobilisation…

 

La pandémie, comme le réchauffement climatique, est un défi mondial. Mais le paradoxe est que tout le système multilatéral semble se fragmenter…

Les institutions ont pour vocation de résister au temps. Cela étant, le système onusien est mis sous haute tension par le désengagement américain, l’offensive chinoise et l’attentisme européen. A moins qu’il y ait un changement de pied après les élections, les Américains ne souhaitent plus être le garant ultime de ce système. C’est une des premières conséquences de cette crise. Ils considèrent que l’entretien du système onusien leur coûte plus qu’il ne leur rapporte. La Chine y voit, au contraire, un outil lui permettant d’isoler Taïwan et d’exercer une influence globale. Depuis plusieurs années, elle se livre à une prise de contrôle graduelle de l’appareil. Les Européens n’ont cessé de défendre le multilatéralisme à leur manière : avec plus de discours que des investissements. Ce n’est pas nouveau mais les agences onusiennes sont objets de rivalités de puissance. Cette crise sanitaire pose un problème de confiance, en particulier à l’égard de l’OMS. Pour fonctionner, le multilatéralisme doit être enrichi. Ce n’est pas seulement un système diplomatique et institutionnel, ce devrait surtout être un processus continu associant des coalitions d’acteurs, des multinationales, des Eglises, des ONG, des réseaux d’experts. Cette approche poserait d’autres problèmes, comme le financement ou le pilotage, mais permettrait d’être plus inclusive.

 

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian dit que « le monde d’après ressemblera au monde d’avant, en pire ». Cette crise ne peut pas déboucher sur du mieux ?

Cela dépend des horizons de temps que l’on privilégie : Jean-Yves Le Drian a le mérite de rappeler que le jeu des puissances ne cesse pas pendant la crise sanitaire. Bien au contraire. Nous avons sans aucun doute besoin d’utopie et d’imagination, mais aussi de réalisme et de lucidité. Le Covid ne dissipera pas les rapports de force, mais accentuera les asymétries de puissance. On doit travailler à un monde beaucoup plus soucieux du bien commun. On doit aussi se préparer aux chocs futurs. Mais une chose est sûre, la politique internationale est un rapport de puissances avant d’être un débat d’idées.

 

On va revenir sur la mondialisation ?

Nous sommes face à une crise aiguë de l’interdépendance dont tout le monde ignore la durée. Cela ne signifie pas la fin de la mondialisation qui, si elle avait marqué le pas en termes commerciaux avant le Covid, s’était aussi intensifiée à travers les flux de données. La crise sanitaire accélère ces tendances de fond. D’un côté, nous sommes en train d’entrer dans l’ère des données industrielles, de l’internet des objets et de l’intelligence artificielle. De l’autre, nous sommes en train de fermer les frontières, de prendre des mesures protectionnistes et de promouvoir nos souverainetés. Nous sommes face à une mutation organique sur fond de compétition des puissances ; chacun cherchant à défendre son identité et à imposer son système. C’est d’autant plus explosif que certains pays s’enrichissent quand d’autres s’appauvrissent. Au bilan, si la mondialisation a permis une création de valeur globale au prix d’une formidable dégradation environnementale, elle a surtout entraîné de profondes inégalités entre pays et au sein des pays.

 

La Chine tente de se poser en vainqueur : ce narratif pourrait s’imposer ?

Ce qui me frappe, c’est le caractère caricatural de la propagande chinoise et l’investissement médiatique des autorités pour affirmer la supériorité de leur modèle, en interne et en externe. Mais entre le premier cas détecté à Wuhan et l’annonce faite à l’OMS, il s’est passé six semaines pendant lesquelles des lanceurs d’alerte ont été censurés. Inutile d’insister sur l’absence de transparence des chiffres communiqués. Xi Jinping porte les ambitions d’une Chine décomplexée, qui veut être considérée comme la première puissance mondiale. La crise doit servir cet objectif.

 

La Russie est très discrète…

Je crois qu’elle ressortira affaiblie, mais moins que d’autres pays européens. Son système hybride, politico-militaro-économique, explique sa spécificité à l’international. La Russie n’a jamais été complètement intégrée à la mondialisation. La crise actuelle correspond parfaitement à sa conception du système international reposant avant tout sur des logiques souveraines et défensives. Elle dispose aussi d’un atout considérable par rapport aux Européens : elle s’est profondément désendettée, même si elle souffre évidemment de la chute des prix du pétrole. La pandémie a par ailleurs occulté la réforme constitutionnelle de Vladimir Poutine. Son horizon de pouvoir, c’est désormais 2036. Et sa culture politique le rapproche davantage de Pékin que de Bruxelles… 

 

Lirel'interview sur le site du Soir

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Thomas GOMART

Thomas GOMART

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Directeur de l'Ifri