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Terrorisme Islamiste : « On est toujours en urgence attentat »

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interviewé par Jefferson Desport pour

  Sud Ouest
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Dix ans après l’attentat de « Charlie Hebdo », les djihadistes n’ont pas baissé les armes. Les récentes frappes en Syrie contre des positions de Daesh le prouvent. De même, l’émergence du nouveau maître de Damas, al-Jolani, ancien d’al-Qaida, peut inquiéter. Décryptage avec Marc Hecker, spécialiste du terrorisme et directeur adjoint de l’Institut français des relations internationales (Ifri)

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intervention de la force antiterroriste française
Saint-Denis près de Paris - 18 novembre 2015 : intervention de la force antiterroriste française
Frederic Legrand - COMEO/Shutterstock
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Nous commémorons les 10 ans de l’attaque de « Charlie Hebdo ». Quel est l’état de la menace en France ?

On est toujours en urgence attentat. Ce niveau a été enclenché en mars 2024, à la suite de l’attentat terroriste perpétré par Daesh dans la salle de concert du Crocus City Hall dans la banlieue de Moscou, avec plus de 140 morts. Avec les Jeux olympiques, le niveau n’a pas été abaissé. Et, politiquement, il est très difficile de revenir en arrière. Mais il faut nuancer. En 2015, la menace était clairement plus élevée, car Daesh avait un sanctuaire en zone syro-irakienne pour former des combattants et les envoyer en France. C’est ce qu’il s’est produit avec les attentats de novembre 2015. Aujourd’hui, ce sanctuaire a disparu. Daesh a cherché à développer un nouveau sanctuaire au Khorassan, entre Afghanistan et Asie centrale. Cette branche du Khorassan a réussi à frapper en Iran en janvier 2024 lors de la cérémonie d’hommage au général Qassem Soleimani, tué par les Américains en Irak.

« Le terrorisme ne se réduit pas au djihadisme »


À La Nouvelle-Orléans, l’homme qui a foncé dans la foule tuant 14 personnes le 1er janvier dernier avait rejoint Daesh. L'acte isolé, c'est la menace numéro un ?

Il y a un triptyque terrorisme projeté, téléguidé et d'inspiration. Le terrorisme d'inspiration se traduit souvent par un acte isolé. II ne suppose aucun lien opérationnel avec un commanditaire situé à l'extérieur du territoire national. Il est engendré par la propagande et les conseils tactiques qui circulent sur Internet. Ce n'est pas nouveau, mais Daesh a porté cette forme de terrorisme à un niveau supérieur.

Trois influenceurs algériens ont été arrêtés ces derniers jours. L’un d’entre eux appelait à commettre des attentats en France contre les opposants au régime algérien. Doit-on craindre une autre forme de terrorisme ? 

Ces affaires rappellent que le terrorisme ne se réduit pas au djihadisme. Le terrorisme est une méthode qui peut être utilisée par des groupes aux idéologies très variées. Des idéologies nationalistes, régionalistes, en passant par l’ultradroite ou l’ultragauche.

Fin décembre, la France, dans le cadre de son opération Chammal, a mené des frappes aériennes en Syrie contre des positions de Daesh. Faut-il craindre un retour de ce groupe terroriste?

Ces frappes ont le mérite de rappeler que cette opération est toujours en cours. Symboliquement, le cycle stratégique de la guerre contre le terrorisme a pris fin en 2021 avec le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan et, quelques mois plus tard, côté français, avec la fin de l’opération Barkhane au Sahel. Mais la menace reste. Les rapports de l’ONU le montrent: 2024 a été une année de résurgence, notamment dans la zone irako-syrienne. 

Le nouveau maître de Damas, al-Jolani, a combattu pour al-Qaida avant de créer le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Que sait-on de cette organisation ? 

La qualifier n’est pas simple. Àl’origine, ily a un autre groupe, Jabhat al-Nosra, qui a émergé quand la Syrie a été déstabilisée lors des printemps arabes en 2011. Àl’initiative de cette nouvelle entité se trouvait Abou Bakr al-Baghdadi: l’émir de l’État islamique en Irak voulait alors se développer en Syrie. Pour diriger Jabhat al-Nosra, il a choisi un Syrien, Abou Mohammed al-Jolani. Et ce groupe s’est montré très efficace dans l’opposition à Bachar al-Assad, notamment avec des attentats suicides. Il s’est autonomisé. En 2013, al-Baghdadi a voulu reprendre les choses en main et a annoncé l’intégration de Jabhat al-Nosra dans l’État islamique en Irak et au Levant. Mais al-Jolani a refusé et a fait appel au chef d’al-Qaida, al-Zawahiri, pour trancher le différend. En 2016, Jabhat al-Nosra a fini par se détacher d’al-Qaida. L’année suivante, le groupe a pris le nom HTS. 

Quelle est l’idéologie d’HTS, désormais indépendant de Daesh et d’al-Qaida ? 

HTS a géré la région d’Idlib en Syrie pendant plusieurs années. On a pu observer l’évolution de sa gouvernance. Il y a dix ans, al-Jolani disait qu’il appliquerait strictement la charia mais, au fil du temps, il s’est montré plus pragmatique et moins rigoriste. Par ailleurs, HTS a mené des opérations de contre-terrorisme à l’encontre de Daesh et al-Qaida.

Les islamistes d’HTS ne sont pas inconnus en France. Le tueur de Samuel Paty était en lien avec l’un de ses membres…

La question, c’est qui était au courant au sein d’HTS? Toute la rhétorique d’al-Jolani consiste à dire que son théâtre est la Syrie, qu’il ne cherche pas à exporter son combat. Àcet égard, le groupe est sous surveillance. 

Justement, al-Jolani tente de rassurer la communauté internationale, mais il a refusé de serrer la main de la ministre allemande des Affaires étrangères. Faut-il s’en étonner ? 

Non. Ne soyons pas naïfs, c’est un islamiste très conservateur. Mais ses déclarations, notamment sur le volet politique, lui ont aussi valu des critiques féroces d’un idéologue d’al-Qaida en Jordanie, al-Maqdissi. Il a donc une difficulté à se faire accepter à la fois par la communauté internationale et par les autres organisations djihadistes. Un des reproches d’al-Maqdissi à al-Jolani était de faire référence à différentes sources de droit et pas uniquement à la charia. Cela montre que, dans cette grande famille islamiste, plusieurs tendances s’opposent. Il faut par exemple distinguer la mouvance djihadiste internationale (elle-même divisée entre Daesh et al-Qaida) et les mouvements islamo-nationalistes. Pour Daesh, le nationalisme est une invention occidentale qui divise l’oumma, la communauté des musulmans. 

Quelle est la relation entre HTS et Daesh ? 

Ils sont en guerre. Daesh ne peut tolérer HTS. Accueillir des diplomates occidentaux, comme l’a fait al-Jolani, c’est inacceptable pour la mouvance djihadiste internationale. Toute la question est de savoir si HTS sera en mesure de réduire la capacité de nuisance de Daesh.

Au Mali, malgré les nombreux coups de l’opération Barkhane, les djihadistes ont toujours trouvé les ressources pour se reconstituer…

Les militaires français étaient tout à fait conscients des limites de leur action. En éliminant les chefs djihadistes, ils ont créé des conditions plus favorables pour une action politique. Mais sans conversion politique de l’action militaire, l’image qui s’impose est celle d’un travail de Sisyphe.

 

>Lire l'interview sur le site de  Sud Ouest

 

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Jefferson Desport

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Marc HECKER

Marc HECKER

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Directeur adjoint de l'Ifri, rédacteur en chef de Politique étrangère et chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri

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Saint-Denis près de Paris - 18 novembre 2015 : intervention de la force antiterroriste française
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