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Tensions France-Turquie: "Pour l'instant les autres membres de l'OTAN tentent d'arrondir les angles"

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interviewé par Clémence Barral dans

  Marianne
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La France a suspendu sa participation à une opération de l'Otan ce mercredi 1er juillet, voulant obtenir un soutien plus franc de l’alliance dans ses frictions avec la Turquie, qui se multiplient dangereusement depuis des mois.

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La France a suspendu sa participation à une opération de l'Otan ce mercredi 1er juillet, voulant obtenir un soutien plus franc de l’alliance dans ses frictions avec la Turquie, qui se multiplient dangereusement depuis des mois. Elie Tenenbaum, spécialiste des questions de défense, répond aux questions de "Marianne".

La France a décidé de se retirer temporairement de l'opération de sécurité maritime de l'Otan en Méditerranée, jusqu'à l'obtention de réponses à des "demandes" concernant ses frictions avec la Turquie, a indiqué ce mercredi 1er juillet le ministère français des Armées, dans un contexte de fortes tensions entre Paris et Ankara depuis plusieurs mois, en particulier autour du conflit libyen. Paris a pris l'Otan à témoin d'un récent incident naval franco-turc, accusant la Turquie d'avoir visé une de ses frégates, le Courbet, lors d'un contrôle de navires soupçonnés de violer l'embargo sur les armes à destination de la Libye - ce que dément Ankara. "Il ne nous parait pas sain de maintenir des moyens dans une opération censée, parmi ses différentes tâches, contrôler l'embargo avec des alliés qui ne le respectent pas", a fait valoir le ministère, visant explicitement la Turquie, membre de l'Otan comme la France.

Élie Tenenbaum est chercheur au Centre des Études de Sécurité de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et coordinateur du Laboratoire de Recherche sur la Défense (LRD). Il décrypte pour Marianne l'action de la France.

Marianne : Que signifie ce brusque retrait de la France d'une opération de sécurité maritime de l'Otan ?

  • Elie Tenenbaum : "C’est avant tout un geste diplomatique, de réaction dans la succession de réponses qu’il y a eu vis-à-vis de la Turquie à l’issu de l’incident avec le Courbet. La France a fait plusieurs déclarations publiques mais la Turquie a refusé de réagir jusqu'à maintenant. A la suite du dernier sommet de l'Otan, il y a probablement eu des renégociations. La France s'attendait à être davantage appuyée par des alliés qui ont plutôt cherché à arrondir les angles. Finalement, le choix de suspendre la participation est avant tout un message fort de la France pour faire part de son mécontentement et de son insatisfaction vis-à-vis du comportement turc. C’est une suspension provisoire, donc la France ne claque pas la porte de la Méditerranée. De fait, cela mérite d’être relativisé dans la mesure où il y a deux missions à cet endroit : une de l’Otan, Sea Guardian, et une autre de l'Union européenne, Irini. Elles ont à peu près le même mandat, qui est de faire respecter l’embargo sur les armes en Libye. L’annonce faite ce mercredi est celle d’une suspension de la participation à la mission de l’Otan et non à celle de l’Irini : ça ne veut pas forcément dire qu’on va quitter la zone. La France pourra donc y demeurer au titre de la mission européenne."

Quels sont les enjeux qui se cache derrière ce retrait temporaire ?

  • "Ce qui est important n'est pas tant l’enjeu de la suspension que celui des tensions montantes entre la France et la Turquie, quelque chose qu’on voit depuis longtemps se mettre en place. On l’a observé sur l’affaire syrienne : la France faisait, au même titre que les Etats-Unis, partie des fervents soutiens des Kurdes de Syrie qui sont étroitement liés au PKK, lesquels sont tancés par Ankara comme étant des soutiens du terrorisme. Car le terrorisme pour Recep Tayyip Erdogan, c’est celui du PKK avant d’être celui du Daesh, ce qui n’est évidement pas l’interprétation française. Ça a créé beaucoup de tensions. Surtout à partir du moment où les Turcs ont publiés à plusieurs reprises des images des forces spéciales françaises alors présentes en Syrie, de manière assez hostile. Nous avons en Libye une position turque qui est à front renversée de celle de la France. Et ce, même si la position française a varié, spécialement sur le maréchal Haftar, qu’on ne soutient plus officiellement depuis avril 2019 et son attaque contre Tripoli menée contre la volonté des européens. En parallèle, une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, soutenue par la France et les Etats-Unis, a été adoptée en 2019 pour mettre un embargo sur les armes dans la région. Embargo que la France soupçonne la Turquie de violer. D’où cette affaire actuelle : l’incident concernant la frégate du Courbet visait un cargo turc qui était à proximité d’un bâtiment de guerre turc, qui a eu, à plusieurs reprises, des gestes extrêmement hostiles, illuminant la frégate française de son radar de tir..."

Cette attitude de la Turquie peut-elle remettre en cause son statut de membre de l’Otan ?

  • "Evidemment, c’est ce que les gens ont en tête. Maintenant, la question du statut de la Turquie au sein de l’Otan est posée depuis longtemps. Ça remonte au moins, encore une fois, à la guerre syrienne durant laquelle un certain nombre de pays de l’Otan soutenaient les Kurdes contre Daesh et la Turquie, qui avait un rôle complètement à l’opposé. La question s’est posée une nouvelle fois lorsque la Turquie a acheté le système de défense antiaérien russe S400 en provoquant l’ire des américains et qui a conduit à l’expulsion du pays du programme F-35 de l’Otan. De là à franchir l’étape diplomatique de l'expulsion ... Cela serait majeur et totalement sans précédent, car ce n’est jamais arrivé dans l’histoire. La Turquie n’a pas du tout envie d’être exclue de l’Otan. Elle ne cesse de rappeler qu'elle est sa principale force après les Etats-Unis, ce qui est vrai sur le plan numérique. Et les Etats-Unis n’ont jamais vraiment montré leur envie de procéder à ce type d’expulsion. Je n’y crois pas du tout, il faudrait un fait beaucoup plus grave dans l’escalade des tensions pour en venir à cette conclusion. Pour l’instant, les autres pays tentent d’arrondir les angles."

Lire l'interview sur le site de Marianne.

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Élie TENENBAUM

Élie TENENBAUM

Intitulé du poste

Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri