Russie : la semaine qui a ébranlé Poutine ?
Une semaine s’est écoulée depuis la marche vers Moscou de l’ancien proche de Poutine Evgueni Prigojine, le patron de Wagner, qui s’était rebellé contre son ancien maître, Vladimir Poutine. Cette entreprise a duré deux jours, avant qu’il ne mette fin subitement à son entreprise et que les deux hommes ne passent un accord sous l’égide du président de Biélorussie.
Est-ce que l’on en sait plus sur l’accord secret qui a été conclu ? Prigojine a-t-il reçu des garanties ?
Pour Tatiana Kastouéva-Jean, « On peut supposer que, si des garanties ont été données, elles peuvent être facilement retirées si Poutine estime que Prigojine est un traitre et mérite une punition. ».
Selon l'experte, « Depuis une semaine, on assiste à un démantèlement de certains pans de l’empire de Prigojine. L’entreprise Wagner n’est qu’un pan de cet empire : Prigojine a des activités de service pour l’armée russe, des activités en Afrique, une fabrique de trolls et des médias. Il semble que tout ce qui concerne les services de restauration pour l’armée sont progressivement démantelés. Certains médias, comme Ria Fan, qui étaient pilotés par Prigojine, disparaissent ou changent de main. »
« Je fais le pari que tout ce qui concerne l’Afrique ne sera pas démantelé mais sera piloté différemment, probablement directement par l’État russe. »
Il s’agit donc d’une victoire pour Vladimir Poutine et d’une défaite pour Prigojine, qui perd tout un pan de son activité ?
Pour T. Kastouéva-Jean, « Prigojine a énormément perdu dans cette histoire. Des sondages du centre Levada montrent que Prigojine, qui était plutôt bien vu par la population russe, a perdu la moitié de ses opinions favorables et est désormais considéré comme un mutin qui a voulu prendre le pouvoir et s’enrichir. Son image a basculé en très peu de temps. Malgré tout, une partie des Russes continuent à le soutenir et certains éléments de son discours, sur les élites corrompues, sur les moyens insuffisants investis dans cette « opération militaire spéciale », parlent à la population. »
« Prigojine continue à parler à une partie de la population. Il est aujourd'hui le cinquième homme politique sur la liste des hommes politiques que les Russes citent spontanément. »
On n’a plus vu Prigojine depuis maintenant 7-8 jours, en revanche, on a beaucoup vu V. Poutine, beaucoup plus que les mois précédents, y compris par un bain de foule.
« Il y a beaucoup de spéculations là-dessus dans l’espace médiatique russe. Est-ce que c’est sous le coup de l’émotion ? Est-ce qu’il a vraiment cru que le peuple, l’armée étaient derrière lui ? On a rarement vu V. Poutine se mettre en scène de cette manière, prendre un bain de foule, faire plusieurs interventions à la suite où il remercie le peuple pour l’unité et les structures de force et l’armée pour leur soutien. », affirme l'experte.
« On se pose la question si Vladimir Poutine est vraiment conscient de ce qu’il s’est passé. Il est très dépendant des sources qui lui sont portées. Est-ce que les structures de force ont voulu se blanchir et montrer tout ce qu’elles ont fait pour arrêter cette mutinerie ? On n’en sait rien, mais il est animé par le sentiment qu’il a toujours le peuple et les structures de force derrière lui. »
Beaucoup d’observateurs ont dit depuis cet épisode qu’il était affaibli, est-ce que c’est aussi votre analyse ?
Selon T. Kastouéva-Jean, « Le taux de popularité de Vladimir Poutine n’a pas bougé suite à cette histoire. Pour l’opinion publique, le président a repris les choses en main, il a évité une guerre civile, le sang n’a pas coulé. »
« S’il y a très peu d’impact à court terme sur la popularité de Vladimir Poutine, dans les élites, l’opinion doit être très différente. Ce qu’il s’est passé montre des failles de sécurité et l’érosion des loyautés dans les différents pans des élites et des siloviki depuis le début de la guerre. »
Vous pensez que cela peut donner des idées à ceux qui, à Moscou, autour de Vladimir Poutine, voudraient le pousser vers la sortie ?
« Cet épisode a montré que Vladimir Poutine n’est probablement pas celui qui assure tout le système, qui assure leur sécurité économique et physique. On a vu pendant la mutinerie des jets privés quitter la Russie. C’est d’ailleurs une autre piste à suivre : est-ce qu’il y aura des sanctions contre ceux qui avaient quitté le territoire russe en ne croyant pas dans les capacités de Poutine à rétablir l’ordre ? »
Ce week-end, le président ukrainien Zelensky a accusé Moscou de se préparer à faire exploser la centrale de Zaporijia et d’avoir miné quatre des six réacteurs, est-ce que cela vous parait possible ?
« Le chantage nucléaire militaire et civil est présent depuis le début du conflit. Du point de vue militaire, c’est assez insensé, je ne pense pas que cela puisse bouger le front d’une manière ou d’une autre. Il y a aussi des gardes fous qui ont été posés par les États-Unis qui ont signalé par une résolution bipartisane, en préparation, qu’il y aura des mesures de rétorsion, y compris jusqu’à l’activation de l’article 5 de l’OTAN, s’il y a une contamination des territoires des pays de l’OTAN. »
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