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Regard sur une planète en folie : l’Occident en ligne de mire

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cité par Hubert Coudurier dans

  Le Télégramme
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Tous les ans, Thierry de Montbrial, fondateur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), organise la World Policy Conference (WPC). Elle se tenait en décembre dernier, à Abu Dhabi. Ce « Davos de la géopolitique mondiale », qui réunit quelques centaines d’initiés, a dressé des perspectives sur l’avenir de la planète.

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Le président Joe Biden (R) et le président russe Vladimir Poutine,Genève, 16 juin 2021
Le président Joe Biden (R) et le président russe Vladimir Poutine,Genève, 16 juin 2021
Salma Bashir Motiwala/Shutterstock
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En ouverture de cette 15e édition, Thierry de Montbrial précise avant de passer la parole à l’archevêque de Constantinople Bartholomée 1er que « dans le monde moderne, la religion importe et doit peser positivement » alors que l’instabilité internationale s’aggrave.

« Le pouvoir impérial russe a voulu soumettre l’Église à sa volonté. Moscou aspire à être la troisième Rome. C’est un élément fondamental de la division du monde orthodoxe. En URSS, la religion a été marginalisée et opprimée. L’église orthodoxe russe s’est rangée derrière Vladimir Poutine dont l’idéologie est de combattre en reprenant le caractère hérétique du tsarisme, les valeurs décadentes de l’Occident. Ce qui légitime la volonté d’expansion russe », analyse le patriarche.

« Ne pas négocier avec la Russie »

Cette tentation expansionniste russe irrite fortement les Allemands, comme en témoignent les propos vindicatifs de Peter Beyer, membre du Bundestag :

« Nous ne devons pas négocier avec la Russie, nous avons été trahis. On ne s’attendait pas à une guerre conventionnelle en Europe, il a fallu opérer un changement de direction à 180 degrés. Il faut trouver une porte de sortie pour la Russie mais pas pour Poutine ».

Plus sobrement le ministre des affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kuleba, nous lance, en visio depuis Kiev :

« Chacun fait ce qu’il veut mais nous méritons d’être aidés. Poutine pense qu’il va nous briser avec l’hiver et la destruction de nos installations. C’est stupide. Nous ne nous défendons pas seulement nous-mêmes mais des valeurs. Nous nous battons du bon côté de l’Histoire ».

Pour l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, l’invasion de l’Ukraine nous ramène aux débuts de la Guerre froide. « Il n’y a plus de base aujourd’hui pour les idées françaises d’autonomie européenne car c’est l’Otan qui assure la défense européenne. Il faudra repenser la sécurité avec la Russie comme voisin. »

Et la rivalité sino-américaine ?

Créateur, il y a quelques décennies au Quai d’Orsay, du Centre d’analyses et de prévisions (CAP), Thierry de Montbrial a réussi cette prouesse de réunir tous les ans le gratin diplomatique dans le cadre de son réputé « think tank » (littéralement « réservoir de pensée »). On y côtoie dans une atmosphère bon enfant, d’anciens ministres de toutes nationalités, des ambassadeurs en retraite, des entrepreneurs de la tech, des journalistes voire des espions reconvertis dans l’industrie d’armement.

J’ai eu la chance de dîner à côté de Douglas Paal, un ancien de la CIA recruté à la centrale de Langley comme analyste pour l’Asie par George Bush senior et qui conseille encore aujourd’hui le président Joe Biden au Conseil National de sécurité américain. Il animait d’ailleurs une table ronde sur le sujet majeur de ces entretiens : la rivalité sino-américaine. Car l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les menaces de la Chine sur Taïwan figuraient évidemment au centre des débats de la WPC.

Sur la crédibilité des menaces, les avis divergent même si l’enlisement de la Russie en Ukraine a rendu moins probable une attaque chinoise à court terme sur l’île nationaliste qu’on appelait jadis Formose. Wang Jisi, président de l’Institut d’études stratégiques de Pékin, temporise : « Les Européens continuent à vouloir investir en Chine et les Chinois sont ravis de toutes leurs visites ». D’autant que les Européens sont incapables de prendre une position commune sur le sujet.

Chine, Russie, États-Unis : un équilibre complexe

Jean-Pierre Cabestan, professeur émérite à l’université baptiste de Hong Kong, - où je l’avais croisé au début de la normalisation qui lui a valu une mise en garde contre sa liberté de parole - souligne : « Des pays comme le Vietnam ou Singapour sont très heureux d’avoir les Américains autour ». Sans même parler de l’allié privilégié qu’est le Japon. John Andrews, conseiller de rédaction à « The Economist », ajoute : « Je ne crois pas que Xi Jinping soit un fou mais on ne sait pas comment le traiter ».

Le soir même, l’ancien premier ministre australien Kevin Rudd, ancien numéro un d’un pays proche de la Chine avec laquelle les liens sont étroits et complexes, nous déclare en visioconférence :

« Les cinq années à venir seront déterminantes pour que les États-Unis et leurs alliés dans la zone indo-pacifique construisent leur dissuasion à l’égard de la Chine afin qu’elle n’intervienne pas à Taïwan ». Tout en précisant : « Je pense que la Chine prend ses distances à l’égard de la Russie. Et l’idée que les Chinois veulent asseoir leur domination mondiale est à nuancer. C’est bien plus complexe ».

Les États-Unis veulent, en effet, endiguer l’avancée technologique de la Chine et pourraient y parvenir.

Inquiétudes en Afrique de l’Ouest

Mais il fut également question au cours de ces journées de la progression djihadiste en Afrique de l’Ouest. « Nous avons perdu le contrôle de la moitié de notre pays », estime le président du Burkina Faso. Et d’aborder la place que la France challengée par les miliciens russes de Wagner peut encore y tenir. Et aussi du Moyen-Orient avec le retour de Netanyahou aux affaires en Israël.

L’ancien ambassadeur d’Israël à Paris Daniel Shek - avec lequel j’avais rencontré Mahmoud Abbas à Ramallah au siège de l’Autorité palestinienne - me glisse d’ailleurs à ce propos - : « Même pour ses supporters, ça se fait dans les plus mauvaises conditions en l’obligeant à s’allier avec l’extrême droite alors qu’auparavant il prenait soin de se situer au centre des coalitions qui sont incontournables en Israël ». Tout comme se repose la lancinante question du nucléaire iranien et le rapprochement entre la Chine et l’Arabie saoudite, traditionnel allié des États-Unis depuis le fameux pacte du « Quincy » (nom du croiseur américain sur lequel fut scellée cette alliance avec la monarchie pétrolière).

« L’Europe est en perte de vitesse »

Les Émirats arabes unis (EAU) qui accueillaient la Conférence, restent un pays courtisé par la France qui lui a vendu beaucoup d’armement à commencer par des Rafale. À l’époque où il était ministre de La Défense, Jean Yves le Drian avait su tisser des liens avec Mohammed Ben Zayed (MBZ) lui-même proche du monarque saoudien Ben Salman et du maréchal égyptien Sissi.

« C’est un pays qui est bien dirigé. Ils ont une vision globale, ils investissent dans la formation. Pour le fonds d’investissement Mundabala, l’Europe est en perte de vitesse. Elle se replie sur elle-même, est en chute démographique, n’a plus de croissance », note un expert. Les EAU ne veulent pas prendre parti dans la rivalité sino-américaine. À Abu Dhabi comme à Ryad on se réjouit de la normalisation entre le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats. « Les Iraniens sont rejetés car ils ne veulent pas reconnaître le rôle néfaste du Hezbollah dans la région. On a besoin d’avoir des garanties de sécurité » explique à la tribune Itamar Rabinovitch, vice-président de l’Institut de Sécurité nationale à Tel-Aviv.

La question palestinienne au second rang

Dans les coulisses de la conférence on croise l’homme qui monte, Anwar Mohamed Gargash, conseiller diplomatique de MBZ et surnommé « le Kissinger du Moyen-Orient ». Prudents dans leurs choix diplomatiques afin de ne se brouiller ni avec Washington ni avec Pékin, dans un monde plus dangereux, les Émiratis ont compris que la globalisation changeait et qu’ils pouvaient y prendre toute leur part. Ils sont autonomes au plan énergétique, développent à fond le solaire, et sont dotés de ressources considérables.

Le pacte d’Abraham négocié sous la férule de Donald Trump entre Israël et les pays du Golfe a ravalé au second rang la question palestinienne déjà amoindrie par la poussée islamiste. La diplomatie française croit encore pouvoir s’y accrocher, comme me l’a confié Maurice Gourdault-Montagne, l’ancien conseiller diplomatique de Jacques Chirac.

Ce ne sera certes pas suffisant pour que la France puisse reprendre pied dans le grand jeu mondial où elle s’isole compte tenu de son déclin économique lié à sa difficulté à se réformer et du cavalier seul de l’Allemagne. « Est-ce que l’Occident comprend les changements que traverse le Moyen-Orient ? Elle continue à le voir comme une zone de conflit sous-développée et sans croissance pour créer des emplois ! » s’inquiète la sénatrice égyptienne Mona Makram Ebeid. Tout un programme !

 

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Thierry DE MONTBRIAL

Thierry de MONTBRIAL

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Fondateur et Président de l'Ifri - Membre de l’Institut de France (Académie des sciences morales et politiques)

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Le président Joe Biden (R) et le président russe Vladimir Poutine,Genève, 16 juin 2021
Salma Bashir Motiwala/Shutterstock