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Qui sont les djihadistes français ?

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Article paru dans "l'Express", d'Anne Vidalie

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Le chercheur Marc Hecker a analysé les profils et les parcours de 137 hommes et femmes jugés en France pour terrorisme islamique. En exclusivité, il dévoile à L'Express les résultats de son étude*.

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De Radouane Lakdim on sait encore peu de chose. L'homme de 25 ans qui, au nom du groupe Etat islamique, a tué quatre personnes à Carcassonne et à Trèbes (Aude), le 23 mars, est né au Maroc, il vivait avec ses parents et ses sœurs dans une cité dite « sensible », était au chômage et avait effectué un court passage en prison en 2016, à la suite d'une condamnation pour consommation de stupéfiants et refus d'obtempérer. Bref, un petit délinquant de cité passé du côté obscur de l'islamisme.

« Son profil correspond assez bien à celui de la majorité des personnes jugées en France dans des affaires liées au terrorisme islamique », souligne Marc Hecker, directeur des publications de l'Institut français des relations internationales (Ifri), qui a décor tiqué les parcours de 137 djihadistes majeurs, condamnés entre 2004 et 2017. Non sans peine, car il a eu bien du mal à obtenir les jugements, (théoriquement) accessibles au public. Résultat de ce travail de bénédictin, intégralement fondé sur des documents judiciaires : une passionnante étude, la première du genre en France, dont il a dévoilé les résultats à L'Express en exclusivité.

Que révèlent les biographies de ces 131hommes et 6 femmes, dont 48 ont séjour né en Syrie, et qui, pour certains, sont en fuite ou présumés morts ? « Un niveau d'éducation et une intégration professionnelle plus faibles que la moyenne, un degré de pauvreté plus important, un engagement dans la criminalité plus élevé et un rapport plus étroit au Maghreb et à l'Afrique subsaharienne », indique l'étude.

Agés de 26 ans en moyenne au moment des faits, ils vivent souvent dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ils sont fréquemment originaires de Paris, de la Seine- Saint-Denis, du Val-de-Marne, du Nord et des Alpes-Maritimes. Parmi les 68 personnes dont le niveau scolaire est connu, 32 n'ont aucun diplôme. Ils sont 8 seulement à avoir suivi des études supérieures – dont un ingénieur et un docteur en physique des particules. Beaucoup pointent au chômage ou occupent un emploi précaire. Moyenne de leurs revenus officiels : 1000 euros. « Dans les quartiers les plus touchés par le phénomène djihadiste, Pôle emploi et les entreprises d'intérim ont un rôle à jouer en matière de détection de la radicalisation », pointe Marc Hecker. Sur les 126 individus dont les antécédents judiciaires sont connus, 50 ont déjà été condamnés au moins une fois, dont 22 ont écopé de peines de prison ferme, le plus souvent pour violence, vol, escroquerie, trafic de stupéfiants ou délit routier. Ce constat bat en brèche une idée reçue : le milieu carcéral n'est pas le haut lieu de la radicalisation, même si certains, comme Chérif Kouachi, l'un des tueurs de Charlie Hebdo, et Larossi Abballa, l'assassin des policiers de Magnanville, ont passé de longs mois derrière les barreaux.

69 % des djihadistes de l'étude sont français et 22 %, binationaux, francomarocains, comme Radouane Lakdim, franco-algériens ou franco-tunisiens. Dans 125 cas sur 137, l'origine des parents est précisée : Maghreb (74), France (22) et Afrique subsaharienne pour la plupart. 101 prévenus ou accusés sont issus de foyers musulmans, les autres se sont convertis. Des jugements et des pièces judiciaires passés au crible émergent, souvent, des histoires familiales douloureuses. Père absent, perte brutale d'un proche, séparation parentale, abandon, violence. « De quoi justifier un effort de sensibilisation important des services chargés de la protection de l'enfance », estime Marc Hecker. Autre point commun : beaucoup sont ignares en religion. Voilà qui donne raison au sociologue Farhad Khosrokhavar : « Ce n'est pas une connaissance préalable profonde de l'islam qui induit la radicalisation religieuse dans les banlieues, mais bien au contraire une inculture profonde qui provoque un effet de crédulité accentuée, une forme de naïveté », écrit-il dans Radicalisation (Ed. de la Maison des sciences de l'homme).

On ne « bascule » pas en une semai ne et quelques clics dans l'islamisme le plus dur. Selon les éléments recueillis, le processus prend six mois, un an, voire quelques années. Avec, toujours, la complicité d'Internet. L'outil idéal pour se gaver de textes et de vidéos entre copains, faciliter les rencontres entre parfaits incon nus et faire des émules ou communiquer discrètement, via des applications chiffrées, des logiciels de cryptage ou des messageries anonymes. Voire glaner des informations essentielles à la préparation d'une opération terroriste.

Quelques pionniers de la mouvance djihadiste font le lien entre les générations. Exemple : Djamel Beghal, 52 ans, était un proche de Chérif Kouachi et d'Amedy Coulibaly, le preneur d'otages de l'Hyper Cacher. « Cette question des liens transgénérationnels se pose avec acuité, avertit Marc Hecker. En effet, les tenants de l'islamisme le plus radical ont beaucoup d'enfants dont certains, en Syrie et en Irak, ont reçu une éducation radicale. » Aucun « loup solitaire » ne figure dans l'étude de l'Ifri. Beaucoup de prévenus ou d'accusés se connaissent depuis l'enfance, ont fréquenté les mêmes collèges, traîné dans les mêmes squares et tapé le ballon sur les mêmes terrains de foot. Parfois, c'est toute une fratrie qui se rallie au drapeau noir du djihad. Comme les frères Taghi, de Trappes (Yvelines) : deux sont morts en Syrie; un troisième, condamné à cinq ans de prison, a blessé deux gardiens de la maison d'arrêt où il est détenu.

La prison ne vaccine pas contre le djihadisme, loin de là. Plusieurs cas étudiés sont des récidivistes. A commencer par les auteurs de deux attentats terroristes récents, Chérif Kouachi et Larossi Abballa. D'autres ont pris le chemin de la Syrie après avoir purgé leur peine, tel Fabien Clain, qui a revendiqué le carnage du 13 novembre 2015 au nom de Daech. La question sera bientôt brûlante : au cours des deux prochaines années, une soixantaine de terroristes détenus doivent recouvrer la liberté...

* « 137 nuances de terrorisme. Les djihadistes de France face à la justice », Focus stratégique n° 79, Ifri, avril 2018.

Lire l'article sur l'Express ici.

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Marc HECKER

Marc HECKER

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Directeur adjoint de l'Ifri, rédacteur en chef de Politique étrangère et chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri