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« Quelle est la position de la Chine dans le conflit russo-ukrainien? »

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Le 1er mars, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi s'est entretenu avec son homologue ukrainien Dmytro Kuleba. Wang Yi a « regretté l'éclatement du conflit entre l'Ukraine et la Russie » et s'est dit « extrêmement attentif aux dommages subis par les civils ». Il s'agit de la première interaction de haut niveau entre les deux pays depuis le début du conflit. Jusque-là, la partie chinoise s'était montrée plus que discrète à l'égard de la situation en Ukraine.

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Ministre des affaires étrangères chinois Wang Yi
Ministre des affaires étrangères chinois Wang Yi
(c) Alexandros Michailidis/Shutterstock.com
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Neutralité de façade

Depuis la reconnaissance par Vladimir Poutine des républiques séparatistes de Lougansk et Donetsk le 21 février, et l'invasion de l'Ukraine le 24, la Chine s'est présentée comme « neutre » dans le conflit. Elle a appelé toutes les parties à « exercer de la retenue », a plaidé pour « résoudre les différends pacifiquement à travers le dialogue et la consultation », et a exhorté à « respecter les principes de la Charte de l'ONU ». Pour autant, derrière cette neutralité de façade, Pékin n'a d'aucune manière condamné l'initiative russe, ni sur le Donbass, ni sur le reste du territoire ukrainien, pourtant des violations flagrantes de la souveraineté de l'Ukraine et de la Charte des Nations unies. Si Pékin reconnaît aujourd'hui l'existence d'un « conflit », il refuse toutefois de qualifier l'intervention russe d'« invasion », préférant l'expression officielle du Kremlin d'« opération militaire spéciale ».

Le ministère chinois des Affaires étrangères avait d'ailleurs reconnu à Moscou des « préoccupations de sécurité légitimes » et avait fait sien le discours du Kremlin attribuant l'entière responsabilité de la crise à Washington. La porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hua Chunying avait désigné les États-Unis comme « coupable des tensions actuelles autour de l'Ukraine ». Elle a également condamné à de nombreuses reprises les « sanctions unilatérales » prises contre la Russie, car « jamais efficaces ». Outre que l'on peut discuter du caractère « unilatéral » de ces sanctions, puisqu'elles sont coordonnées et suivies par plus d'une quarantaine d'États, Pékin ne semble pas être à une contradiction près alors qu'il impose lui-même des sanctions économiques, véritablement unilatérales, contre la Lituanie, l'Australie, le Japon, la Corée du Sud, ou Taiwan.

Il faut noter que Wang Yi s'est entretenu avec son homologue ukrainien six jours après le début du conflit, alors même que dans ce laps de temps il a eu des échanges avec ses homologues russes Sergueï Lavrov et britannique Elizabeth Truss, avec le haut représentant de l'UE pour les aff aires étrangères Josep Borrell, avec le conseiller diplomatique du président français Emmanuel Bonne et avec la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock.

Doit-on alors voir dans cette communication entre les deux ministres chinois et ukrainien une mise à jour de la posture diplomatique de Pékin ?

Les intérêts chinois en Ukraine

Nombre d'observateurs ont pointé le positionnement délicat de Pékin dans cette crise, tiraillé entre des intérêts contradictoires. Il est vrai que la reconnaissance unilatérale par Vladimir Poutine de Lougansk et Donetsk et l'invasion de l'Ukraine vont à l'encontre des principes diplomatiques de la République populaire de Chine, qui fait elle-même face à des mouvements indépendantistes (Tibet, Xinjiang, Taïwan) qu'elle redoute de voir soutenus par des puissances étrangères. L'initiative russe crée donc un précédent très dangereux aux yeux du pouvoir chinois.

La Chine entretient, en outre, des relations étroites avec l'Ukraine. Elle est son premier partenaire commercial avec un total des échanges qui a atteint presque 20 milliards de dollars en 2021. Kiev a aussi signé avec Pékin en 2017 des accords pour le développement d'infrastructures dans le cadre de l'Initiative des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative). Enfin, l'Ukraine est un partenaire historique en matière d'armement, avec des exportations d'armes vers la Chine estimées entre 70 et 90 millions de dollars par an.

Toutefois, depuis l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et le positionnement résolument pro-Union européenne et pro-Otan de l'Ukraine, les relations politiques entre Pékin et Kyiv se sont significativement refroidies. Aujourd'hui, la relation bilatérale se concentre essentiellement sur les échanges commerciaux et la coopération dans les infrastructures.
C'est pourquoi, en cas de victoire de la Russie et de renversement du gouvernement ukrainien, la Chine renouerait aisément des relations avec le nouveau régime pro-russe, et ses intérêts économiques seraient largement préservés. De plus, Pékin verrait d'un oeil favorable le remplacement d'un gouvernement candidat à l'entrée dans l'UE et dans l'Otan, par un régime pro-russe, et le camouflet infligé aux États-Unis et aux Européens ne serait pas pour lui déplaire.

En ce sens, il me semble que l'échange téléphonique entre Wang et Kuleba n'indique pas un revirement en profondeur de la position de la Chine sur la crise ukrainienne, mais un ajustement de sa posture diplomatique afin de crédibiliser sa prétendue « neutralité ».

En outre, un enjeu essentiel de la conversation entre les deux ministres est la profonde préoccupation des autorités chinoises pour la sécurité de ses ressortissants en Ukraine. Le jour-même de leur échange, un Chinois a d'ailleurs été blessé par balle. La Chine cherche ainsi à obtenir le maximum de garanties et de coopération de la part de l'Ukraine pour assurer l'évacuation de ses ressortissants dans les conditions les plus sûres.

Amis par intérêt

On peut également envisager que Pékin eût tablé sur une victoire fulgurante de la Russie. Il s'agissait donc pour la Chine de rester en retrait le temps que les canons se taisent et que la poussière retombe. Le conflit apparaît aujourd'hui s'inscrire dans la durée. La résistance ukrainienne acharnée, les diff icultés logistiques qui pèsent sur les forces russes et la réponse internationale résolue en opposition au Kremlin, ont sans doute poussé Pékin à s'adapter. Sur ce point Xi Jinping et Vladimir Poutine semblent s'être fourvoyés dans leur conviction que les États-Unis et les Européens étaient faibles, divisés et incapables de faire face à un conflit interétatique de haute intensité.

Il ne s'agit donc pas pour le moment d'une volte-face de Pékin envers Moscou. Dans le sens inverse, il ne faut pas surestimer le partenariat sino-russe. Si Xi Jinping soutient tacitement son « ami » Vladimir Poutine, ce n'est pas par adhésion à la politique de ce dernier ou en vertu d'une quelconque alliance (ils parlent, eux, de « partenariat stratégique »), mais par opposition aux États-Unis et à l'Otan, et par extension au partenariat de sécurité AUKUS en Indo-Pacifique, annoncé en septembre 2021 entre les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni. C'était d'ailleurs là le coeur de la très longue déclaration conjointe publiée à l'issue du sommet entre Xi et Poutine à Pékin le 4 février dernier.

La volatilité du contexte appelle néanmoins à la prudence. Le potentiel d'escalade est élevé, et les conséquences de la guerre pourraient venir perturber substantiellement l'économie chinoise, sans bénéfice politique pour Pékin. Alors seulement les autorités chinoises pourraient prendre leurs distances vis-à-vis de Moscou. D'ici là, la Chine devrait maintenir une neutralité de façade.

 

>> Retrouver la tribune sur le site du Figaro.

 

 

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Marc JULIENNE

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