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Quand l’extrême droite allemande prépare des plans secrets pour une remigration des étrangers ou même d’Allemands d’origine étrangère

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  Atlantico
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Des membres de l’AfD (Alternative pour l'Allemagne) ont discuté d’un plan d’expulsion d’Allemagne de personnes étrangères ou d’origine étrangère, selon des révélations du média d’investigation allemand Correctiv.

 

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Atlantico : En Allemagne, certaines figures d’extrême droite nourrissent aujourd’hui l’ambition de ré-émigrer les étrangers ainsi que certains citoyens d’origine étrangère, d’après la presse d’Outre-Rhin. Que sait-on exactement de cette réunion secrète à laquelle ont visiblement participé certains membres de l’AfD ?

Eric-André Martin : C'est le réseau de recherche journalistique Correctiv.org qui a révélé la tenue de cette rencontre. Il s’agit, pour ce que l’on en sait, d’une réunion secrète, à laquelle auraient effectivement participé un certain nombre de figures de l’extrême droite européenne – puisqu’un activiste Autrichien a été identifié – aussi et surtout de sa mouvance allemande. Parmi eux, semble-t-il, on retrouve plusieurs membres de l’AfD, dont certains sont des députés en mandat et d’autres appartenant à l’entourage des dirigeants du parti.

Cette réunion s’est tenue à la fin du mois de novembre 2023, dans les environs de Potsdam (Land de Brandebourg, une ville limitrophe de Berlin) et aurait eu pour principal objet un débat organisé autour d’un projet intitulé “De l’émigration des étrangers en Allemagne vers d’autres destinations à l’étranger”.

La remigration, rappelons-le, constitue un retour forcé vers le pays duquel on est supposément arrivé. Un certain nombre d’étrangers de différentes catégories, allant des demandeurs d’asile mais aussi à priori à des étrangers disposant de titres de séjour, sont concernés. Ils partagent, d’après les informations de Correctiv.org, un trait commun aux yeux des participants supposés : celui d’être considérés comme “inassimilables”.  

Il est difficile de discuter plus précisément des concepts qu’ils utilisent, puisqu’il n’existe pas de document officiel ou de trace écrite de cette rencontre, mais il apparaît qu’il y a peut être une dimension relative à l’origine géographique de certains de ces étrangers, ainsi qu’une autre concernant le comportement supposés de ceux-ci une fois arrivé en Allemagne, au regard notamment, du respect de l’ordre public.

 

Les projets de ces figures politiques doivent-ils être analysés comme une ambition ou une position partagée par la majorité de l’AfD, qui représente environ 22% des citoyens allemands dans les sondages ? Quels sont les biais à éviter ?

Force est de constater que, en l’état actuel des choses, les thèmes que développent aujourd’hui l’AfD ne sont pas exactement ceux évoqués dans le cadre de cette réunion secrète. Le parti se concentre sur d’autres sujets, parmi lesquels le besoin de sécurité économique exprimé par les citoyens allemands face à la récession que subit le pays, ainsi que – il est vrai – les inquiétudes que nourrissent certains d’entre eux au sujet de l’immigration, jugée très importante ces dernières années. Les capacités d’accueil de l’Allemagne apparaissent aujourd’hui saturées, du fait notamment, de la guerre en Ukraine. Il est vrai également que, pour l’essentiel d’entre eux, les demandeurs d’asile qui gagnent l’Europe espèrent rejoindre l’Allemagne. Le débat porte donc aussi autour de ces sujets.

Il faut aussi rappeler la réalité du contexte plus général, qui est celle d’une insatisfaction par rapport à l’action de la coalition au pouvoir. L’AfD apparaît donc pour certains comme un vecteur capable de drainer le mécontentement exprimé par tout ou partie des électorats populaires. 

La réunion dont on parle aujourd’hui n’a fait l’objet d’aucun commentaire public de la part des individus qui y ont supposé participé. Il est également difficile de dire dans quelle mesure les propos ont pu être repris mais il est indéniable que le concept de remigration a déjà émergé à plusieurs reprises dans le débat public allemand. La plupart du temps, ce sont les membres de l'AfD, ceux provenant de l’aile la plus radicale, qui en ont fait un sujet de discussion, sans pour autant définir très clairement ce qu’ils souhaiteraient mettre en place de façon concrète ou l’ampleur exacte d’un tel projet politique.

 

Le droit Allemand permet-il seulement la mise en œuvre d’un tel projet ?

C’est un projet qui s’inscrit en totale contradiction avec le droit allemand. Il est contraire au principe des conventions internationales auxquelles l’Allemagne est partie et s’inscrit contradiction avec les principes posés par la Constitution allemande , mais aussi la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE.  La mise en œuvre d’un tel projet, pourrait donc s’avérer impossible au regard du droit allemand et européen.

C’est aussi un projet particulièrement polémique en cela que, pour beaucoup, il renvoie l’Allemagne à certaines des notions déjà présentes dans son Histoire et que l’on croyait aujourd’hui évacuées. Nul ne pensait que l’Allemagne fédérale démocratique serait de nouveau confrontée à ce genre de débat et cette situation génère donc une forme de traumatisme ; particulièrement à un moment où l’AfD est très forte dans les sondages au niveau fédéral comme au niveau régional. 

Il est vraisemblable que  l’AfD arrive à des responsabilités politiques, au moins au niveau local, c’est-à-dire au niveau des Lander lors des élections régionales de l’automne 2024. C’est pour cela que la question gagne en importance aujourd’hui, même si elle n’est pas nécessairement représentative du programme affiché par le parti.

 

Quelle réponse politique faut-il apporter à une telle réunion ? Peut-on se contenter d’interdire les formations concernées ?

La première réponse politique a eu lieu dès le week-end dernier : il y a eu d’importantes manifestations dans toute l’Allemagne, auxquelles ont notamment participé certaines des figures politiques les plus importantes du pays. Ces manifestations, une fois encore, ne se sont pas limitées au seul Brandebourg, mais ont également eu lieu dans les autres Lander allemands. C’était l’occasion, pour les citoyens, de montrer qu’ils désapprouvent ce genre de projets et restent attachés à l’ordre constitutionnel de leurs pays  ainsi qu’à la défense d’un certain nombre de droits humains. 

Ensuite, force est de constater que les procédures d’interdiction, si elles demeurent effectivement envisageables, sont très complexes à mettre œuvre. En la matière, l’Allemagne dispose d’une certaine jurisprudence, puisque le précédent du NPD, que les autorités ont tenté d’interdire à plusieurs reprises, existe. Ces procédures sont longues et nécessitent de faire la démonstration du danger que représente la formation pour la démocratie allemande. Or, même si les propos qui ont été tenus lors de cette réunion sont bel et bien ceux qui ont été rapportés, cela pourrait ne pas s’avérer suffisant puisqu’il s’agirait de l’intervention de quelques individus qui ne représentent pas, à eux seuls, la position du parti. 

De plus, ce serait l’occasion pour l’AfD de renforcer son discours victimaire en se présentant comme la cible d’une cabale ou d’une persécution politique. Dans les Lander de l’Allemagne de l’Est, un tel discours pourrait faire écho aux persécutions commises par le régime communiste  et la Stasi contre les ressortissants ce qui impose à mon sens de faire preuve de prudence à ce sujet. D’autant que cela ne dissuaderait sans doute pas les nombreux Allemands mécontents qui envisagent de voter en faveur de la formation d’extrême droite. Particulièrement si la mesure d’interdiction n’est pas considérée comme fondée ou légitime.

Il est important de bien comprendre que, désormais, l’AfD est un acteur à part entière du débat politique allemand. Cela fait deux législatures qu’elle a su s’imposer au Bundestag et elle va sans doute y rester. Elle cherche désormais à s’implanter territorialement et ne constitue plus le parti épouvantail qui apparaît occasionnellement, face à des situations de crise. C’est une force politique en phase de consolidation, susceptible de rester de façon permanente dans le paysage politique. Il faudra observer si le parti fondé par Sarah Wagenknecht sera en mesure de capter une partie de l’électorat protestataire de l’AfD lors des scrutins de 2024.

 
 
>> >> Cet article est disponible sur le site de Atlantico.
 
 
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Éric-André MARTIN

Éric-André MARTIN

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Ancien secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l'Ifri

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