Pour Xi Jinping, une marche triomphale devenue un parcours d'obstacles
Avant le XXe Congrès, qui devrait le reconduire pour un troisième mandat, le président chinois doit affronter de multiples crises : sanitaire, économique, sociale et politique. Chaud devant…
Cette année 2022 devait être pour le président chinois, Xi Jinping, une marche victorieuse aboutissant, au dernier trimestre, à la glorieuse confirmation de son troisième mandat lors du XXe Congrès du parti. Mais cette flamboyante année du Tigre s’est transformée en une véritable course d’obstacles.
Après des JO d’hiver en partie gâchés par le covid et un boycott diplomatique, c’est son ami Poutine qui, en lançant sa guerre en Ukraine, a placé le président chinois dans une inconfortable posture d’équilibriste. Difficile en effet de ne pas critiquer « l’opération spéciale » du partenaire russe alors que les principes de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale, essentiels aux yeux de Pékin, sont piétinés par l’armée russe depuis le 24 février. Le pouvoir chinois, par petites touches, est cependant en train de recentrer sa position sur ce dossier, de façon à tenir ce conflit le plus possible à distance.
« La Chine a en effet des affaires intérieures autrement plus urgentes à gérer, et d’abord la crise épidémique du covid », souligne Marc Julienne, responsable Chine à l’Ifri (Paris). « Le très contagieux variant omicron a en effet créé une situation de risques sanitaires, économiques et sociaux, menant évidemment à un quatrième risque, politique celui-là, particulièrement dangereux pour Xi Jinping à quelques mois du congrès du Parti ».
1. Une gestion autoritaire et idéologique du covid
Les 26 millions d’habitants de Shanghai, bouclés depuis début avril, sans même pouvoir faire des courses alimentaires, n’en peuvent plus de ce confinement à rallonge et de règles aussi arbitraires que changeantes. Sur les réseaux sociaux tournent en boucle les vidéos de transferts forcés dans des centres de quarantaine bondés et insalubres, d’occupants d’immeubles hurlant leur faim et leur colère aux inflexibles « gardes blancs », la version covid des gardes rouges maoïstes, désormais en combinaison de protection.
Une vidéo lourde de sens montre ainsi un membre des forces de l’ordre crier à des résidents : « Vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez, ce n’est pas l’Amérique, ici, c’est la Chine ! Alors écoutez attentivement et ne demandez pas pourquoi. Il n’y a pas de pourquoi ! » Et Pékin, à son tour, se terre, écoles et centres commerciaux fermés, pour éviter de subir le même sort.
« Ce qui est en question, c’est vraiment le modèle de gestion de la pandémie », détaille Alex Payette, expert de la politique chinoise et PDG du Groupe Cercius, conseil en intelligence stratégique et géopolitique. « Celui qui est privilégié par Pékin depuis le début de la pandémie est basé sur l’école léniniste, sur le matérialisme historique : l’homme peut conquérir la nature et réussira donc à détruire le virus via un confinement rigoureux ». Mais les variants les plus contagieux mettent cette « dynamique zéro covid » en échec.
Plusieurs médecins-chefs de grands hôpitaux de Shanghai ont tenté de réorienter la politique sanitaire en prônant l’auto-isolement à domicile des asymptomatiques, l’introduction des vaccins (occidentaux) à ARN messager (plus efficaces que les vaccins chinois) et la réouverture progressive de la société pour coexister avec le coronavirus. Autant de propositions sèchement refusées par les autorités et censurées en ligne. Les déclarations du directeur général de l’OMS, affirmant le 10 mai que la politique zéro covid n’était « pas soutenable » et conseillant à Pékin de « passer à une stratégie différente », ont subi le même sort.
« Le principal problème actuellement en Chine, c’est justement ce jusqu’au-boutisme des autorités », reprend Marc Julienne. « Comme elles refusent d’assouplir les règles, il sera difficile de déconfiner les villes puisque dès qu’un cas surgira dans un quartier, dans un immeuble, tout sera à nouveau bloqué pour plusieurs semaines : impraticable avec un virus hautement transmissible. »
Mais le pouvoir chinois a-t-il vraiment le choix ?
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2. Des conséquences économiques et sociales dramatiques
Début 2020, l’apparition du covid avait provoqué le confinement strict de Wuhan et de sa province, mais l’activité économique nationale avait pu reprendre au bout de quelques semaines. Cette vague-ci est très différente. « Depuis la mi-mars, la politique zéro covid a paralysé la mobilité dans des villes comptant pour 40 % du PIB de la Chine », analyse pour le centre d’études Bruegel Alicia Garcia-Herrero, économiste en chef chez Natixis. « Selon des informations GPS locales, la moitié des autoroutes de Chine auraient été fermées, tandis que les terminaux d’aircargo et les ports n’ont pas pu fonctionner efficacement vu les restrictions de mobilité et les règles de quarantaine frontalières. »
Des chiffres officiels publiés ce lundi confirment ces inquiétudes : le mois dernier, les ventes de détail ont chuté de 11,1 % par rapport à l’an dernier. Le taux de chômage a grimpé de 5,8 % à 6,1%: un chiffre qui peut sembler bas (il est de 12,3 % en Wallonie) mais qui ne prend en compte que les travailleurs urbains et pas les centaines de millions de travailleurs migrants internes, particulièrement vulnérables en cas de crise. La production industrielle a, elle, chuté de 2,9 %, et les ventes de logements, traditionnel moteur de la croissance, se sont effondrées de 39% en avril.
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3. Une certaine incertitude politique
A quelques mois du XXe Congrès, qui devrait avoir lieu en novembre, ce n’est pas seulement la confiance économique des ménages qui flanche, mais la confiance tout court. Malgré la censure du web, les Chinois du reste du pays ont pu prendre connaissances des abus en matière de confinement subis par les habitants de Shanghai.
« Les Chinois acceptent de ne pas s’impliquer en politique, de laisser le Parti gérer tant qu’il leur apporte prospérité et perspectives économiques », précise Marc Julienne. « Et la santé : c’est un sujet majeur sur lequel les Chinois négocient peu. Il y a eu de nombreux scandales sanitaires, alimentaires ou liés à la pollution : sur ces enjeux-là, ils sont capables de sortir dans la rue pour protester. On peut donc se demander jusqu’où va aller la patience des confinés… »
Cette crise aux multiples conséquences pourrait-elle bouleverser le jeu politique et perturber la reconduction de Xi Jinping pour un troisième mandat ?
« C’est possible », poursuit Marc Julienne. « Il y a dans l’Histoire de nombreuses ruptures que personne n’avait prévues : la chute de l’URSS, celle du mur de Berlin, la guerre en Ukraine. Tout est possible. Mais la vraie réponse, c’est qu’on ne sait pas : cela dépendra de la manière dont les autorités maintiendront cette politique. Et si cela permet de faire décliner l’épidémie et remonter la confiance à temps… »
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