Pour se protéger, les entreprises peuvent apprendre des ONG
Vous avez réalisé une enquête sur la façon dont les entreprises et les ONG gèrent leur sécurité. Quelles sont vos conclusions ?
Aline Leboeuf – « Traditionnellement, entreprises et ONG ont, chacune, une approche différente. L'ONG essaie de se faire accepter en tant que telle, parce que son objet est bénéfique aux populations locales. Le recours à la dissuasion est, pour elle, moins légitime. C'est ce que j'appelle l'approche sociétale ou comportementale de la sécurité. Les entreprises, elles, ont un rapport plus pragmatique à la protection physique et à la dissuasion. En revanche, elles développent rarement, spontanément, une approche sociétale. »
En quoi cette dernière approche peut-elle leur être utile ?
Aline Leboeuf – « L'approche comportementale a un fondement simple : si l'on veut intervenir dans un pays, il faut y être accepté. Ce qui suppose de dialoguer avec les populations et autorités locales, voire de mettre en place des actions sociales, pour que la sécurité de l'entreprise devienne aussi une préoccupation pour les locaux. »
N'est-ce pas utopique dans certains pays ?
Aline Leboeuf – « Cela peut être parfois très difficile, mais certains exemples sont instructifs. Ainsi, Médecins sans frontières (MSF) a quitté l'Afghanistan en 2003, suite à des attaques mais est revenu, quelques années plus tard, en négociant avec les talibans. Ceux-ci ont compris leur intérêt à ce que MSF soit présent : cela leur concède l'image d'une puissance capable de donner des biens utiles à sa population. »
Mais la tâche n'est-elle pas, par définition, plus compliquée pour les entreprises, dont l'objet est moins évidemment social ?
Aline Leboeuf – « De nombreuses stratégies différentes peuvent être mises en place. Total est réputé pour développer des actions sociétales dans les pays difficiles, où elle est implantée. Mais dans certains cas, il s'agit d'abord de travailler en symbiose avec l’environnement local. Ainsi, une entreprise de sécurité est intervenue pour aider une exploitation agricole française qui, traumatisée après une attaque, envisageait de quitter le pays. Au lieu d'utiliser des outils industriels, l'entreprise a rétabli le travail à la coupe, employant une main-d'œuvre locale nombreuse, qui, du coup, s'est trouvée directement impliquée et intéressée à la survie – et à la sécurité – de l'exploitation. Recruter des cadres locaux, valoriser les employés les plus méritants, les intégrer aux programmes RH globaux représentent autant d'actions concrètes, qui contribuent à la sécurité des entreprises. Mais, bien entendu, cela ne suffit pas toujours : souvent, il faut combiner approche sociétale et approche dissuasive. Même les ONG en sont conscientes ! »
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