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Paul Maurice : « L’Allemagne retombe malade et comme tout malade, elle se concentre sur elle-même »

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Interviewé par Jean-Dominique Merchet dans

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Secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales (IFRI), Paul Maurice fait le point sur la situation politique de notre voisin à moins de trois mois des élections anticipées.

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Historien, Paul Maurice est un spécialiste de l’Allemagne à l’IFRI (Institut français des relations internationales), où il dirige le Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa). Il a été chef de la mission Allemagne à la direction de l’Union européenne du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

L’Allemagne est-elle à nouveau l’homme malade de l’Europe ?

Elle est retombée malade, mais elle n’est pas non plus dans la situation du début des années 2000, lorsqu’elle était vraiment l’homme malade de l’Europe à cause du coût de la réunification. Il y a eu ensuite les réformes sociales du chancelier Schröder, dont a profité Angela Merkel (2005-2021) et durant ces années-là, elle a plutôt été l’homme en pleine forme de l’Europe. Aujourd’hui, l’Allemagne est confrontée à la fin de son modèle productif, qui reposait sur quatre piliers : du gaz russe peu onéreux, l’accès au marché chinois, le soutien sécuritaire des Etats-Unis et la paix en Europe. Tout cela s’effondre rapidement et l’Allemagne est prise de doutes, car elle n’a pas anticipé ces changements brutaux. Le colosse aux pieds d’argile s’effrite et, donc, oui, l’Allemagne retombe malade. Comme tout malade, elle se concentre sur elle-même, avec des solutions nationales qui ne répondent pas aux exigences des agendas franco-allemand ou européen.

Est-elle plus ou moins malade que la France ?

Les deux pays suivent des trajectoires un peu identiques, avec une instabilité politique liée à des questions budgétaires. Mais elles n’affrontent pas les mêmes problèmes. En France, c’est l’explosion de la dette. En Allemagne, le frein à l’endettement (Schwarze Null) a été une très bonne chose, mais aujourd’hui, il est devenu un frein à tout... Il limite les investissements nécessaires à l’avenir de l’industrie, la numérisation, la décarbonation, les infrastructures de transport.
Certes, les Allemands trouvent des solutions pour contourner la règle, avec des fonds spéciaux, hors budget - comme celui sur les 100 milliards d’euros pour la Bundeswehr. Mais, comme ils sont dérogatoires à la Constitution, ils exigent une majorité des 2/3 au Bundestag pour être adoptés. On sentait d’ailleurs depuis 2023 la crise politique venir autour du budget lorsque le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe a interdit l’utilisation des sommes du fonds Covid pour le climat. Début novembre 2024, la coalition s’est brisée sur le budget, entraînant des élections anticipées en février prochain.

Quel est le bilan du chancelier Olaf Scholz ?

Il faut se rappeler les conditions dans lesquelles il est arrivé au pouvoir en décembre 2021. Il était auparavant le vice-chancelier et le ministre des Finances d’Angela Merkel. Malgré le fait qu’il ne soit pas du même parti qu’elle, il s’est présenté comme son successeur. Il y a même eu une affiche de campagne du SPD qui disait : : « Il peut être chancelière » («Er kann Kanzlerin »). À l'été 2021, personne ne l’imaginait chancelier, mais son parti a gagné les élections parce que la CDU n’a pas été bonne. Par ailleurs, les Verts et les Libéraux ont obtenu un score relativement élevé. Eux étaient pour une rupture avec les années Merkel, décrites comme routinières. Ils portaient, chacun à leur manière, un modèle de société de progrès. Ces trois partis vont alors s’entendre sur un contrat de coalition de centre-gauche, sociale, libérale, écologique, européenne. Or, moins de trois mois après la formation du gouvernement, ce programme est confronté à la réalité avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, en février 2022. Cela va saper la base économique de leur projet.
Olaf Scholz a été perçu comme faible, flou, incapable de prendre une décision. Il est un chancelier très impopulaire, ce qui est rare en Allemagne. Son parti, le SPD social-démocrate, est aujourd’hui à 15% des intentions de vote, contre près de 26% des voix en 2021. Il n’a pas capitalisé sur sa participation au pouvoir, contrairement à ce que l’on observe d’habitude. On peut toutefois se demander si l’alchimie entre les sociaux-démocrates, les écologistes et les libéraux - qui se sont radicalisés - pouvait réellement fonctionner au sein de la coalition « feu tricolore » ?

Beaucoup d’observateurs voient en Friedrich Merz le prochain chancelier. Qui est-il ?

Au sein de la CDU, il a été le rival d’Angela Merkel au début des années 2000. Il était plus à droite qu’elle et elle s’en est débarrassé. Après un long passage dans le privé (2004-2018), il est revenu en politique et préside la CDU depuis 2021. C’est un Rhénan d’une génération - il a 69 ans - qui a été socialisée dans l’Allemagne de l’Ouest des années 80-90. Il est plutôt dans la lignée d’un Helmut Kohl et il a le réflexe franco-allemand. Il est conservateur sur les questions sociétales, notamment l’immigration, mais ne fera jamais alliance avec l’AfD d’extrême droite. Pour un Allemand de sa génération, c’est une ligne rouge infranchissable. Son parti, la CDU (avec la CSU, l’allié bavarois), se situe actuellement autour de 33% des intentions de vote. Ce n’est pas suffisant pour gouverner seul.

Avec qui Merz pourrait-il faire alliance au lendemain des élections du 23 février prochain ?

En fonction du résultat, il pourra s’entendre soit avec le SPD, soit avec les Verts. Une nouvelle grande coalition avec le SPD en junior partner finirait d’affaiblir les sociaux-démocrates. Une coalition avec les Verts serait plus compliquée, sur les questions de fond - sauf sur le soutien à l’Ukraine. La CSU bavaroise est d’ailleurs très hostile à un accord avec les écologistes. On ne sait pas si le FDP libéral franchira la barre des 5% nécessaire pour avoir des élus. En tout cas, tout le monde souhaite éviter une nouvelle coalition de trois partis. Si la CDU, le SPD et les Verts se coalisaient, les seuls opposants seraient donc l’AfD d’extrême droite et le parti populiste de gauche BSW. Le SPD d’Olaf Scholz va-t-il faire campagne sur la paix en Ukraine, comme le laisse supposer son récent appel téléphonique avec Vladimir Poutine ?

Les thèmes économiques et sociaux, comme les retraites, dominent la campagne, mais, en effet, Scholz va faire campagne pour la paix, comme le montre son appel à Vladimir Poutine. Il y a une forte tradition pacifiste au sein du SPD et plus généralement en Allemagne. Il espère que cela lui fera gagner des points. 

Les élections pourraient occasionner une nouvelle poussée de l’AfD d’extrême droite, entre 17 et 19% dans les sondages. Est-ce un vrai danger ?

L’AfD est en effet parvenu à percer sans la dédiabolisation entreprise par Marine Le Pen ou Giorgia Meloni. Elle reste sur une ligne très dure - le RN a d’ailleurs rompu ses liens avec elle - et elle est isolée en Europe. L’AfD est divisée entre deux courants, avec une volonté d’entrisme des néonazis à l’Est. Très présente dans l’ex-RDA, elle obtient désormais des scores élevés dans l’ouest du pays. Mais actuellement aucun parti n’est prêt à gouverner avec l’AfD, qui est isolée.

Qu’en est-il de ce nouveau parti BSW, autour de Sahra Wagenknecht, qui pourrait entrer au Bundestag ?

Elle est officiellement à gauche, avec une matrice marxiste, mais se rapproche des thématiques conservatrices d’extrême droite sur l’immigration ou contre le wokisme. Elle est très pro-russe et pacifiste. On peut la comparer au Premier ministre slovaque Robert Fico et son parti social-démocrate SMER. On pensait qu’elle ferait baisser l’AfD, mais elle prend surtout des électeurs à Die Linke (gauche radicale, issue de l’ancien parti communiste est-allemand), voire au SPD. Elle séduit un électorat populaire de gauche, surtout à l’Est. Dans les Länder de l’ex-RDA, Sahra Wagenknecht a réussi le tour de force de s’imposer dans les négociations pour former des coalitions locales. Y compris avec la CDU en Saxe, dont elle est plus proche sur les questions sociétales.


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Jean-Dominique Merchet

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Paul MAURICE

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