Partenaire ou rival ? Face à la "radicalisation du pouvoir" en Chine, les Européens cherchent le bon équilibre
Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen se rendent en Chine pour une visite commune, du 5 au 8 avril. L'occasion pour les Européens de réajuster leur stratégie face à Pékin.
Un ajustement de doctrine, avant une rencontre cruciale. Ursula von der Leyen a dévoilé la feuille de route de l'Union européenne concernant ses liens avec Pékin, jeudi 30 mars, dans un discours prononcé à l'invitation de deux think thanks. "L'histoire de notre relation avec la Chine n'est pas encore entièrement écrite, et elle ne doit pas forcément être défensive", a affirmé la présidente de la Commission, qui accompagnera Emmanuel Macron lors de sa visite d'Etat en Chine, du 5 au 8 avril.
Cette prise de parole marque "une évolution" pour les Européens, décrypte Marc Julienne, spécialiste de la Chine à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
"En 2019, la doctrine de l'UE concernant Pékin a été clairement définie : c'est un partenaire incontournable, notamment sur la lutte contre le dérèglement climatique ; un compétiteur économique, tant sur le marché européen que dans d'autres pays ; et c'est enfin un rival systémique, avec des valeurs antagonistes à celle de l'Europe", rappelle-t-il. Désormais, ce "troisième pilier gagne en importance".
Un "durcissement délibéré de la position" chinoise
"Nos relations sont devenues plus distantes et plus difficiles ces dernières années", a ainsi reconnu Ursula von der Leyen lors de son discours au Mercator Institute for China Studies (Merics), jeudi 30 mars. "Depuis un certain temps, nous avons assisté à un durcissement très délibéré de la position stratégique globale de la Chine."
Cette "radicalisation du pouvoir chinois" a notamment affecté les droits humains, analyse Marc Julienne.
"Il y a eu la répression des manifestations prodémocratie à Hong Kong, suivie de l'adoption de la loi sur la sécurité nationale qui a brutalement mis fin à l'autonomie du territoire. Mais aussi les révélations sur l'internement et le travail forcé des Ouïghours au Xinjiang, explique l'expert. Depuis 2020, Pékin exerce en outre une pression militaire croissante sur Taïwan."
L'Europe a directement fait les frais de ce durcissement du pouvoir chinois. Fin janvier, Pékin a mis en place des mesures de rétorsion commerciales contre la Lituanie, qui avait accepté d'installer un bureau de représentation de Taïwan sur son sol. "Se posent également des questions d'influence et d'interférences dans nos sociétés, d'investissements prédateurs, d'espionnage...", liste Marc Julienne.
Autant d'éléments qui alimentent aussi les tensions croissantes entre la Chine et les Etats-Unis, qui "structurent de plus en plus les relations internationales", note l'Elysée. "Dans ce contexte, l'Union européenne porte sa propre position et défend ses propres intérêts. Et la France, en tant que membre, porte également cette ambition-là", rappelle la présidence française.
Plus de distance, mais pas de rupture
C'est tout le sens de ce voyage en Chine. "Après trois années d'absence, il est important de reconnecter" avec Pékin, assurait l'Elysée à quelques jours de cette visite d'Etat. "Nous y allons pour discuter des relations bilatérales avec l'UE, ajoute de son côté un haut fonctionnaire de la Commission européenne. Nous voulons voir les domaines où nous pouvons coopérer, comme la lutte contre le réchauffement climatique, mais nous observons avec prudence l'évolution générale de la politique chinoise."
Impossible, en effet, de couper totalement les liens avec Pékin. Comme le soulignait Ursula von der Leyen jeudi 30 mars, "la Chine est un partenaire commercial essentiel [de l'UE] : elle représente 9% de nos exportations de biens et plus de 20% de nos importations de biens". Les Européens veulent donc éviter de s'aligner sur la stratégie de "découplage" de leurs alliés américains, qui visent à "réduire le plus possible les relations avec Pékin".
"L'UE et la France privilégient une politique de réduction des risques de dépendance et d'exposition aux marchés chinois, notamment en diversifiant les pays avec lesquels ils échangent, ou en rapatriant certaines industries et chaînes de production."Marc Julienne, spécialiste de la Chine à l'Ifri
Les Européens se sont aussi penchés sur une série de leviers pour "faire face aux défis posés par la Chine", pointe Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. "Certains existent déjà, comme des mécanismes de surveillance des investissements étrangers ou pour assurer une plus grande réciprocité sur l'ouverture des marchés publics, détaille le sinologue. D'autres sont en cours de développement, comme un instrument de lutte anti-coercition [pour protéger l'UE du chantage économique]."
Dans ce contexte, l'objectif des Européens est aussi de présenter un front uni. "L'évolution de la Chine depuis 2020 a globalement mis les 27 d'accord", résume Marc Julienne. Certains observateurs avaient émis des doutes sur cette cohésion après le voyage à Pékin controversé du chancelier allemand Olaf Scholz, en novembre, peu après que Xi Jinping a été reconduit à la tête du pays.
"Cette visite a été suivie de celle du président du Conseil européen, Charles Michel, rappelle le spécialiste. Tout cela a donné l'impression d'une concurrence des responsables européens, plutôt que d'une action coordonnée."
Cette fois, la cohésion est clairement affichée. Emmanuel Macron a invité Ursula von der Leyen à participer à une partie de sa visite d'Etat en Chine, dans la "continuité de sa position jusqu'ici", relève Marc Julienne. En mars 2019, le président français avait en effet convié la chancelière allemande, Angela Merkel, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à une réunion avec Xi Jinping, en visite d'Etat en France. "Quelque mois plus tard, Emmanuel Macron s'était rendu à Shanghai avec un commissaire européen et un ministre allemand", ajoute Antoine Bondaz.
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