One Planet Summit : la France peut-elle assumer le leadership climatique au côté de la Chine ?
La gouvernance mondiale du climat fait face à un défi de crédibilité et de leadership. Par Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre Énergie de l'Ifri et Thibaud Voïta, chercheur associé à l'Ifri.
Le changement climatique progresse encore beaucoup trop vite
Le 1er juin dernier, le président américain annonçait le retrait de son pays de l'Accord de Paris sur le climat (ci-après, « l'Accord »), signé par près de 200 pays en décembre 2015 lors de la COP21. Quelques mois plus tard, Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, profitait du Congrès du Parti communiste de son pays pour réaffirmer sa volonté de lutter contre le changement climatique. Nombreux sont ceux qui en ont conclu que les États-Unis avaient donné une formidable occasion à la Chine de renforcer son influence internationale et de s'affirmer comme acteur clé du climat.
Moins nombreux, en revanche, sont ceux qui ont pu envisager un rôle similaire pour l'Union européenne (UE), ou la France. Tout au plus a-t-on pu parler d'une éventuelle locomotive franco-allemande, cependant mise à mal par les difficultés rencontrées par Angela Merkel pour former une coalition gouvernementale et par le mauvais bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l'Allemagne.
À la veille du « One Planet Summit » organisé par la France pour donner une impulsion à la gouvernance mondiale, la lutte contre le changement climatique a pourtant désespérément besoin de leaders.
L'Accord de Paris, même mis en œuvre, ne suffira pas à contenir le changement climatique
L'Accord vise à réduire les émissions de GES pour limiter l'accroissement moyen des températures à + 2 °C à l'horizon 2100 par rapport à l'époque préindustrielle, et idéalement, à la suite d'étapes de réévaluation des engagements nationaux, à + 1,5 °C. Difficile de ne pas reconnaître le succès politique d'un tel accord, quasi unanime, qui déboucha sur un engagement à accélérer la lutte contre le changement climatique et surtout à mettre en œuvre des plans d'action climatique volontaires (appelés Nationally Determined Contributions, NDC) soumis par 197 États et couvrant 96,4 % des émissions globales de GES.
Mais l'Accord reste malheureusement insuffisant pour répondre au défi climatique. Dans l'état actuel, les NDC ne permettront au mieux que de limiter l'augmentation des températures à environ 3 °C. Le compte n'y est donc pas, et pour limiter la catastrophe, il faudrait réduire les émissions totales de GES de 80 % à partir de 2050 par rapport au niveau actuel. Pour l'instant, seul un tiers des efforts globaux à réaliser ont été adoptés, et déjà, leur mise en œuvre est incertaine.
Or, il y a urgence. Les années 2016 et 2017 ont donné lieu à des records de chaleur : la température moyenne sur Terre a augmenté de + 0,99 °C en 2017 par rapport à la moyenne des années 1951-1980, et le niveau des mers a monté de 20 cm par rapport à 1900. La concentration de CO2 dans l'atmosphère exprimée en partie par millions (ppm) était de 407 en juillet 2017, soit la plus forte jamais enregistrée. Elle était de 280 ppm en 1950. Par ailleurs, les émissions mondiales de GES, qui se situaient à environ 52 milliards de tonnes, s'étaient stabilisées entre 2014 et 2016, mais sont reparties à la hausse en 2014.
La production et combustion d'énergies fossiles représentent environ 65 % des émissions de CO2 et 67 % de l'électricité produite dans le monde l'est au charbon, c'est donc une priorité d'action.
Quelle crédibilité de l'action climatique sans les États-Unis ?
La gouvernance mondiale du climat fait face à un défi de crédibilité et de leadership. Les États-Unis sont le deuxième émetteur le plus important avec 19 % des émissions globales de GES. Leur sortie de l'Accord, qui ne sera effective que le 4 novembre 2020 (et pourrait être annulée si un nouveau président était élu), est un signal désastreux donné aux pays émergents et à certains pays riches, car les politiques de Trump vont ralentir la baisse des émissions de GES américaines (voir par exemple la remise en cause du Clean Power Act).
Ainsi, la Russie, qui représente 2 % du PIB mondial mais 5 % des émissions de CO2, n'a pas ratifié l'Accord, alors même qu'elle ne s'est engagée qu'à maintenir ses émissions au niveau actuel. La Chine s'est quant à elle repositionnée dès la COP23 qui vient de se terminer à Bonn : le retrait de Washington remet en question l'accord sino-américain sur le climat de 2014, ce qui a permis à Pékin de repenser ses alliances et de s'imposer comme leader des pays en développement.
Le Fonds vert pour le climat est aussi en difficulté. Créé pour financer des projets d'adaptation et d'atténuation des effets du changement climatique, il doit être alimenté par 100 milliards de dollars ($) par an à partir de 2020. Or, des trois milliards de $ par an engagés par Obama, il ne restera qu'un milliard sous Trump.
Les investissements et initiatives pro-climat se multiplient
Mais il y a toutefois quelques bonnes nouvelles : en 2016, selon les calculs de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), 2/3 des investissements mondiaux dans les nouvelles capacités électriques l'ont été dans les énergies renouvelables, soit 165 GW, dont 40 % en Chine, premier émetteur mondial de GES. Les nouvelles capacités thermiques au charbon mises en chantier en 2016 dans le monde, soit 40 GW, sont trois fois moins élevées que pendant la période 2006-2010.
En outre, 19 pays ont formé une alliance pour la sortie du charbon d'ici 2030. De nombreux États et villes des États-Unis sont plus mobilisés que jamais pour réduire leurs émissions, visant à parvenir aux objectifs de l'Accord de Paris, avec ou sans l'aval de Washington. Des grandes villes entendent être en partie neutres en carbone en 2030.
Des grandes banques s'engagent à ne plus financer des centrales à charbon. Des grandes entreprises, notamment américaines, s'engagent sur des objectifs de consommation d'énergie durable.
Chine et France, deux leaders pour le climat ?
Il semble acquis que la Chine va de plus en plus jouer un rôle de leader dans la gouvernance climatique. Outre son rôle auprès des pays en développement, elle noue des alliances avec diverses grandes puissances, jouant ainsi sur deux fronts : celui des pays riches (hors États-Unis) et celui des économies émergentes ou en développement (Groupe dit des 77, dont les relations avec la Chine sur les questions climat peuvent cependant être parfois tendues).
Ces derniers jours, elle aura donc annoncé des coopérations sur le climat avec le Canada et s'apprête à signer une déclaration conjointe avec l'UE lors du sommet du 12 décembre. Cela fait suite au sommet organisé par ces trois acteurs en septembre au Canada. Pékin apparaît déterminé dans sa lutte contre le changement climatique et la pollution, notamment grâce à des politiques très ambitieuses de promotion de l'efficacité énergétique, des énergies renouvelables ou des véhicules électriques.
La Chine reste cependant le plus gros producteur et consommateur de charbon de la planète, ce dernier représentant plus de 60 % de son mix énergétique. L'ambiguïté de sa position s'est illustrée par le report du lancement, initialement annoncé pour 2017, de son marché national du carbone et ces derniers jours, en revenant sur la décision de limiter l'utilisation du charbon dans le nord du pays, confronté à une vague de froid. La légitimité de la Chine dépendra de sa capacité à établir une stratégie responsable de réduction des émissions de GES dans les secteurs liés au charbon. Elle dépendra aussi de sa contribution aux fonds multilatéraux.
Mais la France a aussi vocation à jouer un plus grand rôle, aux côtés de la Chine. Suite à l'engagement Chine-États-Unis précédant la COP20 de Lima, Paris a fait de la COP21 un succès, grâce à la mobilisation de son réseau diplomatique et à sa présidence hors pair.
Le président Macron a su capitaliser sur cette réussite : d'abord à travers son initiative « Make our planet great again », annoncée en réaction au retrait américain de l'Accord et visant à attirer en France les acteurs importants de la lutte contre le changement climatique, puis à travers le sommet du 12 décembre (auquel, rappelons-le, Donald Trump n'a pas été invité). La France peut en outre s'appuyer sur de nombreux acteurs hexagonaux clés : villes, grands énergéticiens impliqués dans la transition vers une économie à bas carbone, banques très actives dans la finance verte, organisations d'aide au développement ou de lutte contre la pollution, PME ou nouvelles initiatives internationales.
Paris doit donc aussi poursuivre son activisme, notamment au sein de l'UE : d'abord parce que l'Allemagne, autre leader européen, continue à utiliser du charbon pour 40 % de sa production d'électricité et qu'il faudra rapidement tomber d'accord pour l'introduction, à l'échelle régionale, d'un prix plancher pour le carbone pour le secteur de l'électricité. Ensuite, parce que les objectifs européens de réduction de 40 % de GES en 2030 restent aussi trop modestes. En outre, nombreux sont ceux qui s'inquiètent à voir la Pologne, dont le charbon représente 80 % de la production d'électricité, héberger la COP24. La Pologne fait face à une responsabilité historique. Enfin, la France doit poursuivre et accélérer sa transition énergétique, notamment en augmentant ses investissements dans les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique et en décarbonisant le secteur du transport.
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