« Nous sommes à l’aube d’une troisième phase de la relation franco-allemande, et elle reste à écrire »
En dépit des divergences et des crises politiques que traversent les deux pays, Paris et Berlin ont une longue histoire qui leur permet de continuer à travailler ensemble, explique le secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes, Paul Maurice, dans une tribune au « Monde ».
La relation franco-allemande apparaît depuis quelque temps comme une relation morose, que certains estiment dépassée. Il est vrai que cette crise de leadership s’ajoute aux crises politiques en France et en Allemagne à un moment où l’Europe aurait besoin d’un « sursaut » face aux défis géopolitiques internes et externes qu’elle doit relever.
A l’évocation de la relation entre la France et l’Allemagne, viennent à l’esprit les images fortes de la réconciliation et de l’entente, d’Adenauer et de Gaulle à Macron et Merkel. Ces images d’Epinal de la relation franco-allemande en ont fait sa force… mais également sa faiblesse.
En effet, lorsque les dirigeants ne peuvent se mettre en scène avec cette puissance symbolique, frisant parfois le kitsch, la relation semble manquer d’incarnation. Mais si l’incarnation manque, c’est souvent parce que la volonté politique est dissonante. Cela n’empêche pas – et il faut le rappeler – que la France et l’Allemagne ont une relation que ne connaît aucun autre pays dans le monde.
Certes, les désaccords franco-allemands semblent de plus en plus nombreux. Ils s’accumulent et ils inquiètent : accord avec le Mercosur, relation commerciale avec la puissance industrielle chinoise, questions énergétiques, mais aussi position sur Israël et Gaza et le conflit au Moyen-Orient, mise en œuvre du soutien militaire à l’Ukraine… Les intérêts de la France et de l’Allemagne ne sont pas alignés, c’est vrai, mais l’étaient-ils en 1950 au moment du plan Schuman ? En 1957 au moment des traités de Rome ? En 1992 au moment du traité de Maastricht ?
Pourtant, la relation franco-allemande fonctionne, car elle a toujours eu pour objectif de s’assurer que les deux pays feraient tout pour dépasser leurs désaccords structurels. Si l’on reproche aux dirigeants de ne pas avoir assez investi une relation probablement trop dépendante de leurs personnalités et de se concentrer sur leurs problématiques intérieures, le réflexe acquis au cours des dernières décennies permet de répondre « en » Franco-Allemand aux crises géopolitiques.
A l’aube d’une troisième phase
Les prises de position du chancelier Olaf Scholz et du président Emmanuel Macron, se déclarant prêts à travailler ensemble pour renforcer l’engagement de l’Union européenne en Syrie, montre que la voix franco-allemande pèse encore en Europe. Les exemples pourraient se multiplier, comme la visite spontanée du ministre allemand de la défense, Boris Pistorius, à Paris, le 6 novembre, pour discuter directement avec son homologue Sébastien Lecornu des conséquences du retour de Donald Trump au pouvoir. Une visite largement éclipsée par l’annonce, le même jour, par le chancelier de la fin de la coalition « feu tricolore » en Allemagne.
Dans le domaine économique, les attentes restent également très fortes, comme le montre la mobilisation des milieux d’affaires lors des rencontres économiques franco-allemandes d’Evian, en Haute-Savoie. Et c’est sur les sujets pourtant sensibles de la compétitivité européenne et de l’investissement dans les secteurs-clés de souveraineté industrielle et technologique – comme l’intelligence artificielle –, que la France et l’Allemagne ont convergé au cours des derniers mois et doivent continuer à le faire.
Si la crise est réelle, sans pour autant être insurmontable, c’est peut-être parce que nous sommes à un moment historique de cette relation. Si l’on devait tirer un bilan à grands traits, il y aurait, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, deux grandes phases : celle de la réconciliation et celle de la relation au service de la construction européenne. Nous sommes peut-être aujourd’hui à l’aube d’une troisième phase qui s’est ouverte avec le début de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, et qui reste à écrire.
1954 plutôt que 1963
Ecrire une nouvelle étape nécessite de repenser la « geste » franco-allemande, par-delà le récit de la réconciliation. Le traité de l’Elysée du 22 janvier 1963 est considéré comme son acte fondateur. Néanmoins, il est peut-être temps de le dépasser, sans l’occulter, pour se pencher à nouveau sur d’autres événements charnières.
L’année 1954 est à ce titre exemplaire. L’échec de la création d’une armée européenne dans le cadre de la Communauté européenne de défense, rejetée par le Parlement français le 30 août 1954, pèse encore aujourd’hui dans le débat sur la défense européenne. Cet échec paraissait remettre en cause toute la construction européenne entreprise depuis 1950 avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier. On pouvait alors craindre une dégradation des relations franco-allemandes.
Dès le 23 octobre 1954, les accords de Paris ont permis de réarmer la RFA, mais dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Cette solution, considérée comme une victoire des Américains et des Britanniques, n’aurait toutefois pas été possible sans la rencontre du président du Conseil Pierre Mendès France et du chancelier Konrad Adenauer à La Celle-Saint-Cloud [Yvelines] quelques jours plus tôt, le 19 octobre 1954. Cette entrevue a permis de régler l’ensemble du contentieux franco-allemand et a posé les fondations d’une véritable coopération entre la France et l’Allemagne, tant sur le plan politique qu’économique, avec la conclusion d’accords commerciaux et agricoles de long terme.
Malgré des divergences, la relation franco-allemande continue de fonctionner, et pas seulement parce qu’elle en a l’habitude, mais parce que les deux pays savent travailler ensemble et savent qu’il s’agit de l’intérêt commun de l’Europe.
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Paul Maurice est secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales. Le Cerfa, créé en 1954 par un accord intergouvernemental entre la République fédérale d’Allemagne et la France, vise notamment à analyser les relations franco-allemandes. Il organise le 18 décembre une conférence sur l’avenir de ces relations.
>Lire la tribune sur le site du Monde
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