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Niger : le putsch de trop

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Le putsch qui a eu lieu au Niger le 28 juillet 2023 n’est pas un putsch de plus mais le putsch de trop, qui donne lieu à une partie de poker entre la CEDEAO et la junte au pouvoir.

Largement sous-estimés, les enjeux du quatrième putsch en Afrique de l’Ouest en deux ans (après le Mali, la Guinée et le Burkina Faso) sont, en effet, majeurs pour le Niger, pour la région et au-delà.

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Un putsch de rentiers
Selon les putschistes, c’est la dégradation de la situation sécuritaire qui les aurait incités à prendre le pouvoir. Or, à l’inverse du Mali et du Burkina Faso, le Niger n’est pas en partie conquis par les groupes djihadistes. Menacé par Boko Haram au sud dans la région de Diffa et par les groupes armés affiliés à Al-Qaida et à l’État islamique à l’ouest dans les régions de Tillabéri et Tahoua, le pays n’a pas connu d’attaques majeures cette année. En fait, l’embuscade dans laquelle est tombée l’armée nigérienne dans la région de Tillabéri le 13 août – soit quinze jours après le putsch –, qui a fait 17 morts parmi les militaires, est la première attaque d’envergure depuis plusieurs mois.

De même, à l’inverse du Mali et du Burkina Faso, les putschistes n’incarnent pas une nouvelle génération montante et insatisfaite au sein de l’armée. Âgé de 59 ans, le principal auteur du coup d’État, le général Tiani, était le chef de la garde présidentielle depuis 2011, tandis que le numéro 2 de la junte, le général Mody, a 60 ans et était le chef d’état-major des armées de 2020 à avril 2023.

La motivation des putschistes semble davantage liée à leur sort personnel qu’à la politique sécuritaire du pays, et reflète les tensions préexistantes entre le président Bazoum et une partie de la hiérarchie militaire. Outre le fait que, le 31 mars 2021, à la veille de son investiture, une tentative de coup d’État avait failli l’empêcher d’accéder au pouvoir, le président Bazoum avait récemment procédé à des changements parmi ses sécurocrates.

Le haut commandant de la gendarmerie et le chef d’état-major général des armées ont été remplacés en mars 2023 et six généraux ont été mis à la retraite. Le remplacement du général Tiani et la restructuration de la garde présidentielle étaient à l’ordre du jour du conseil des ministres du 27 juillet 2023. Or le putsch a eu lieu le 26 et c’est le 28 juillet, après deux jours de tractations au sein de l’armée, que le général Tiani a pris la tête du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).

Le refus d’accepter la remise en cause de leur position dans la hiérarchie militaire illustre la montée en puissance politique et financière des sécurocrates sahéliens – montée en puissance qui est un effet collatéral de cette guerre contre le djihadisme qui dure déjà depuis dix ans et dont les effets néfastes apparaissent progressivement. Parmi ces effets figure l’explosion des budgets militaires. Selon le Stockholm International Peace and Research Institute, qui fait référence en la matière, les dépenses militaires du Niger sont passées de 39 à 151 milliards de francs CFA de 2011 à 2022. Elles ont donc presque quadruplé en dix ans. Au Mali, pendant la même période, elles sont passées de 76 à 321 milliards de francs CFA.

Or la gestion des budgets militaires est entachée de corruption. Réalisé en février 2020, un audit mené par l’inspection générale des armées sur les commandes passées par le ministère nigérien de la Défense avait révélé un détournement de 76 milliards de francs CFA entre 2014 et 2019. Ces détournements étaient surtout organisés dans le cadre des achats d’armes : une grande partie du matériel militaire fourni par des entreprises étrangères, notamment russes, était sujet à des surfacturations, de faux appels d’offres ou n’était parfois tout simplement pas livrée.

Malgré les révélations accablantes de cet audit, les sanctions sont restées cosmétiques et les personnalités impliquées dans ce scandale n’ont pas été poursuivies. L’ampleur de la rente sécuritaire créée par la guerre contre le djihadisme est une des raisons non dites de la montée en puissance des sécurocrates au Sahel et de l’épidémie de juntes militaires.

La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest au pied du mur
L’Afrique de l’Ouest connaît une véritable épidémie de putschs. Le Niger, nous l’avons dit, est le quatrième pays touché en trois ans : le Mali a ouvert le bal en 2020 suivi par la Guinée en 2021 et le Burkina Faso par deux fois en 2022. Quatre présidents élus (Ibrahim Boubacar Keïta, Alpha Condé, Roch Kaboré et Mohamed Bazoum) ont été destitués par des hommes en uniformes.

En tant qu’organisation chargée de la paix et de la sécurité dans la région, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) joue son va-tout. Impuissante face aux trois coups d’État précédents, surprise par ce quatrième putsch, la CEDEAO se trouve maintenant face à une menace existentielle pour les régimes politiques de la région qui se disent démocratiques. Selon la ministre sénégalaise des Affaires étrangères, il s’agit bien pour la CEDEAO du « coup (d’État) de trop ». L’organisation régionale a donc réagi en force à ce quatrième putsch :

Ultimatum d’une semaine aux putschistes pour rendre le pouvoir au président Bazoum.

Train complet de sanctions économiques et financières (fermeture des frontières terrestres et aériennes, gel des avoirs de la République du Niger dans les banques centrales de la CEDEAO, suspension des transactions commerciales et financières entre les États membres de la CEDEAO et le Niger, gel de toutes les transactions de service, etc.).

Et surtout, menace inédite d’une intervention militaire qui fait écho à la création d’une force anti-putsch annoncée en 2022.

Mais loin de reculer, la junte nigérienne a surenchéri en nommant un premier ministre, en accusant le président Bazoum de haute trahison et en se rapprochant des trois autres régimes putschistes. Ce rapprochement a conduit à une déclaration de solidarité belliqueuse des juntes malienne et burkinabé qui considèrent qu’une intervention militaire de la CEDEAO au Niger serait « une déclaration de guerre ».

L’organisation régionale est donc à présent scindée en deux blocs antagoniques – les régimes civils et les juntes – qui sont entrés dans une logique d’escalade. La rhétorique belliciste de ces dernières semaines évoquant une guerre régionale fait partie de la partie de poker qui se déroule entre la junte et la CEDEAO et dont l’issue définira les perdants et les gagnants de cette crise.

Le basculement géostratégique du Sahel
Alors que le général Tiani annonce son intention de rester au moins trois ans au pouvoir, les enjeux de cette crise sont majeurs pour ses acteurs proches et lointains.

Les putschistes nigériens jouent bien sûr leur avenir personnel, tout comme les présidents élus de la CEDEAO. Ces derniers savent que ce n’est plus leur crédibilité qui est en cause, mais leur avenir. Après avoir échoué face à trois coups d’État, leur impuissance pourrait donner des idées à certains de leurs propres militaires, qui suivent de près l’irrésistible ascension des juntes. Quant aux putschistes déjà au pouvoir dans les pays voisins, la confirmation de l’installation au Niger d’une nouvelle junte viendrait les conforter et serait célébrée comme une nouvelle étape du retour des militaires au pouvoir en Afrique de l’Ouest.

Dans un retournement de l’histoire particulièrement ironique, la démocratisation de l’Afrique de l’Ouest, engagée au début des années 1990, s’achèverait par une remilitarisation du pouvoir. Comme la première démocratisation dans les années 1960, la seconde démocratisation se solderait par un échec. La lutte entre les démocraties et les autoritarismes se joue aussi au Niger.

Pour l’Europe et les États-Unis, les enjeux sont aussi considérables, bien qu’encore sous-estimés. Leur opposition au coup d’État leur vaut d’être vilipendés par les putschistes ; c’est tout particulièrement le cas de la France, de nouveau utilisée par ses partenaires africains d’hier comme le bouc émissaire parfait. Le Niger est le dernier bastion de la présence militaire occidentale dans le cadre de la lutte contre le djihadisme au Sahel.

Après son expulsion du Mali et du Burkina Faso, l’armée française risque d’être complètement expulsée du champ de bataille sahélien, les putschistes ayant exigé son départ d’ici septembre. Même si les putschistes s’en prennent en priorité à la France, ce risque d’expulsion plane aussi sur les troupes européennes et américaines stationnées au Niger. En ce sens, l’avenir de la guerre contre le djihadisme sahélien se joue au Niger.

En outre, le rapprochement immédiat avec les juntes voisines et leurs amis russes augure une réorganisation régionale des alliances. Grâce à un jeu de dominos parfait, un Sahel hostile aux intérêts occidentaux et prêt à explorer tous les partenariats alternatifs sur le marché de l’aide (pas seulement russe mais aussi arabe, chinois, etc.) est en train d’être créé. À ce titre, les similitudes du schéma des coups d’État entre Bamako, Ouagadougou et Niamey ne peuvent qu’interroger : même justification sécuritaire, même posture anti-française, même campagne de désinformation sur les réseaux sociaux et même appel à la Russie. Le Sahel devient un nouvel exemple de la perte d’influence des États-Unis et de l’Europe sur la scène internationale et du déclassement de la France, qui fait figure de grand perdant. En ce sens, la guerre d’influence entre grandes puissances se joue aussi au Niger.

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Thierry VIRCOULON

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Chercheur associé, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri