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Montée de l’extrême droite, Friedrich Merz chancelier, ingérences… : ce qu’il faut savoir sur les élections en Allemagne

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interviewé par Rose Amélie Becel pour

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Ce 23 février, les Allemands sont appelés à renouveler les 630 membres du Bundestag, dans le cadre d’élections législatives anticipées. Un scrutin déterminant, qui permettra de désigner un nouveau chancelier et un nouveau gouvernement. On fait le point sur les enjeux du vote avec Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes.

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Composition du Parlement, nom du futur chancelier, équilibre du prochain gouvernement… Pour les Allemands, tout se joue ce 23 février, lors des élections fédérales qui permettront de renouveler les 630 sièges du Bundestag. Suite à la dissolution du Parlement, le scrutin initialement prévu au mois de septembre se déroule de façon anticipée.

Après une campagne éclair de seulement deux mois, secouée par plusieurs attentats et l’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux Etats-Unis, les enjeux du vote de ce dimanche sont nombreux. Sur quelle coalition le nouveau chancelier pourra-t-il s’appuyer pour gouverner ? Pourra-t-il éviter une alliance avec l’extrême droite, dont le score s’annonce déjà historiquement haut ? Les réponses avec Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes.

Les élections fédérales qui auront lieu ce 23 février sont particulières, elles sont convoquées de façon anticipée, à la suite d’un vote de confiance perdu par le chancelier sortant Olaf Scholz. Pouvez-vous revenir sur ce contexte ?

D’abord, il faut bien comprendre que c’est Olaf Scholz lui-même qui a fait chuter son gouvernement. Le 6 novembre dernier, le chancelier a décidé de limoger le ministre des Finances Christian Lindner, à la suite de quoi tous les ministres membres du parti libéral [le FDP] ont quitté le gouvernement. L’exécutif a donc continué de fonctionner avec une coalition entre les sociaux-démocrates [le SPD, parti d’Olaf Scholz] et les Verts, devenue minoritaire.

Olaf Scholz a donc décidé d’anticiper les élections fédérales, prévues à l’origine en septembre 2025, en sollicitant la confiance du Bundestag. Le chancelier a perdu le vote le 16 décembre, en conséquence le président Frank-Walter Steinmeier a procédé à la dissolution du Parlement, obligeant la convocation d’élections deux mois plus tard.

La date du vote de confiance a été l’objet de négociations entre le SPD et la CDU [le parti chrétien-démocrate]. Olaf Scholz souhaitait organiser le scrutin en mars, mais après discussions avec la CDU, celles-ci ont été avancées au mois de février. Les chrétiens-démocrates avaient tout intérêt à ce que les élections se tiennent le plus tôt possible, parce que leur candidat était au plus haut dans les sondages.

La campagne électorale qui a suivi cette dissolution est l’une des plus courtes de l’histoire. Comment s’est-elle déroulée ?

Effectivement, l’élément le plus remarquable de cette campagne c’est qu’elle a été extrêmement courte. Ensuite, sur les sujets abordés, elle s’est divisée en deux temps. Elle a d’abord été dominée par les sujets d’économie, de budget, la question des investissements, de l’avenir du modèle économique allemand… Parce que ce sont ces sujets qui ont provoqué la fin de la coalition au pouvoir, les libéraux n’étaient plus en phase avec les sociaux-démocrates et les Verts sur ces questions.

Mais, avec la succession d’attentats – à Magdebourg en décembre, à Aschaffenbourg fin janvier, puis à Munich il y a une semaine – ce sont les sujets d’immigration qui ont rapidement pris le dessus dans la campagne. C’est ce qui a permis à l’AFD [le parti d’extrême droite allemand] de se renforcer, car ce sont les premiers à avoir investi le sujet.

Cette campagne a aussi été marquée par un niveau inédit d’ingérences étrangères…

Oui, notamment de la part des Etats-Unis. On a rapidement vu Elon Musk affirmer son soutien à l’AFD, d’abord dans une tribune publiée fin décembre dans le journal conservateur Die Welt, puis dans un message vidéo au congrès de l’AFD. À cette occasion, il a invité les militants du parti à se débarrasser du sentiment de culpabilité hérité de la Seconde Guerre mondiale.

À la fin de la campagne, c’est le vice-président américain J. D. Vance qui a à son tour appelé les partis politiques allemands à se défaire de leur logique de « cordon sanitaire », le fameux Brandmauer ou « mur pare-feu », qui tient l’extrême droite à l’écart du pouvoir. Ces ingérences américaines directes dans l’élection ont fait vivement réagir, parce que l’Allemagne reste encore très profondément ancrée dans une sensibilité atlantiste.

Justement, l’AFD est aujourd’hui donnée en deuxième position du scrutin dans les sondages, derrière la CDU, avec un score historique de plus de 20 %. Dans une logique de coalition, le parti ne devient-il pas incontournable ?

Même si l’AfD triple son score par rapport aux élections de 2021 [le parti avait alors remporté 83 sièges au Bundestag], il y aura toujours une étanchéité. Le meilleur exemple pour illustrer cela, c’est la situation en Thuringe [Land de l’est de l’Allemagne] après les élections régionales de septembre dernier. L’AFD était arrivée en tête avec un score de 33 %, remportant pour la première fois une élection depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais, deux mois après le vote, c’est une coalition des chrétiens-démocrates avec les partis de gauche – le SPD, Die Linke [parti d’extrême gauche] et l’Alliance Sahra Wagenknecht [parti populiste de gauche] – qui s’est formée pour gouverner.

Personne ne se risquera à rompre le cordon sanitaire. L’extrême droite allemande reste très radicale, elle n’a pas connu de processus de dédiabolisation à l’image d’autres en Europe. C’est un parti qui prône ouvertement la « remigration », c’est-à-dire le renvoi hors des frontières de toutes les personnes d’origine étrangère, y compris ceux qui ont la citoyenneté allemande. Ils sont eurosceptiques, pour le retour de l’utilisation du Deutsche Mark, ils souhaitent un rapprochement avec Vladimir Poutine… Au sein du parti, plusieurs figures sont aussi proches des milieux néonazis. En Thuringe, par exemple, le candidat de l’AFD Björn Höcke a été condamné pour avoir utilisé un slogan nazi durant sa campagne. L’extrême droite reste taboue en Allemagne.

Pourtant, le parti a de plus en plus de succès lors des élections. Comment l’expliquer ?

Ça fait un moment que l’AFD est en seconde position des différents scrutins, c’était déjà le cas lors des dernières élections européennes. Ce succès, il s’explique d’abord par le fait que les questions migratoires cristallisent de plus en plus l’inquiétude des électeurs, qui ont bien identifié l’AFD sur le sujet. Ensuite, la guerre en Ukraine a aussi fait grimper leur popularité. Ils ont su jouer sur la peur de la population face à la hausse des coûts, notamment de l’énergie, ils ont aussi capitalisé sur la russophilie encore présente dans les esprits de certains Allemands à l’est du pays. Enfin, leur programme économique a su répondre au sentiment de déclassement de certains électeurs.

Le personnage d’Alice Weidel [cheffe de file de l’AFD et candidate à la chancellerie] donne aussi un visage plus moderne, plus lisse, plus acceptable au parti. Elle est économiste, lesbienne, en couple avec une femme d’origine sri-lankaise… Mettre une telle figure en avant relève aussi d’une volonté marketing, celle de donner une allure plus libérale au parti, aussi bien du point de vue économique que des mœurs.

À deux jours du vote, face à l’AFD, c’est la CDU qui domine les sondages. Que peut-on dire du chef de file du parti, Friedrich Merz, presque assuré de devenir le nouveau chancelier ?

Friedrich Merz, quelque part, c’est l’anti-Merkel. Il s’était retiré de la vie politique après sa mise à l’écart de la CDU, quand Angela Merkel en a pris la tête. L’échec du parti aux dernières élections fédérales de 2021 lui a permis de faire son come-back. C’est une personnalité assez forte, avec une culture conservatrice, héritée de la tradition de la CDU dans les années 1990, avant que Merkel en prenne la tête.

Mais il reste aussi très démocrate et résolument européen, très favorable à l’ancrage de l’Allemagne à l’ouest de l’Europe. C’est donc aussi une personnalité qui tranche avec Olaf Scholz, décrié pour son indécision, son côté très mesuré. La situation actuelle, aussi bien au niveau national qu’européen et international nécessite la prise de décisions fortes, rapides, efficaces. À la tête d’une coalition de trois partis, c’est quelque chose que le chancelier sortant n’a pas réussi à imposer.

Si on se projette dans l’après-élection, à quoi peut-on s’attendre ? La formation d’une coalition s’annonce-t-elle difficile ?

Tout dépend évidemment des résultats. Il va falloir observer attentivement les scores des plus petits partis. Depuis plusieurs semaines, les sondages pour les quatre partis en tête sont assez stables : la CDU est donnée autour de 30 %, l’AFD autour de 20 %, le SPD autour de 15 % et les Verts autour de 13 %. Pour pouvoir obtenir des sièges, un parti doit recueillir au moins 5 % des voix. En fonction des sondages, Die Linke, les libéraux et l’Alliance Sahra Wagenknecht oscillent autour de cette barre des 5 %.

Si seuls les quatre plus grands partis obtiennent des sièges au Bundestag, alors la formation d’une « grande coalition » [nom de la coalition entre la CDU et le SPD] pourrait être envisagée à court terme, dès le printemps. En revanche, si les sièges se répartissent entre sept partis, alors mathématiquement le chancelier ne pourra plus s’appuyer sur une coalition à deux partis, elle devra être élargie à un troisième partenaire. En résumé, à ce stade, nous sommes presque certains de voir Friedrich Merz devenir chancelier, mais on ne sait pas avec quel gouvernement.

 

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