Mobilisation en Algérie : "Les femmes sont en train de jouer un rôle très important"
Alors que depuis plusieurs semaines les Algériens sont dans la rue pour réclamer le départ de leur président, Dalia Ghanem, docteure en science politique, analyse la situation sur place.
Face à la pression de la rue, Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, président depuis 1999, vient d'annoncer qu'il ne briguerait pas un cinquième mandat le 18 avril prochain. Dans une lettre lue dimanche 11 mars au soir à la télévision nationale, le leader du FLN annonce son retrait, mais aussi le report de la présidentielle d'avril... ce qui prolonge sa présence au pouvoir, tout en appelant à une "transition d'une durée raisonnable". Comment interpréter cette décision ? Quelles conséquences pour la suite de la vie politique dans le pays ? Éléments de réponses avec Dalia Ghanem, chercheuse à l'Institut français des relations internationales (IFRI) et au Carnegie Middle East Center de Beyrouth.
Le renoncement d'Abdelaziz Bouteflika à briguer un cinquième mandat, peut-il être considéré comme une victoire de la rue ? Oui, mais jusqu'à un certain point. C'est une victoire dans le sens où le peuple a réussi à faire bouger les choses et à avoir une réaction de la part du pouvoir algérien. Maintenant, c'est une demi-victoire parce que quand on lit la lettre, on se rend compte qu'il se désiste pour un cinquième mandat, mais il ne renonce pas au pouvoir. Bien au contraire, il a annulé les élections présidentielles du 18 avril et c'est lui qui gère la pseudo transition. C'est un peu "partir pour mieux rester". C'est-à-dire que ce n'est pas un cinquième mandat qui est brigué, mais l'extension du quatrième.
Comment cette décision est-elle perçue sur place ? Je viens de rentrer d'Alger, où je compte retourner la semaine prochaine. En attendant, je suis les événements de très près. Après l'euphorie, l'annonce a énormément déçu. Le peuple n'est pas prêt à laisser tomber. Hier, nous avons vu les manifestations continuer un peu partout sur le territoire algérien à Béjaïa, à Tizi Ouzou, à Alger... Les étudiants sont également sortis dans la rue pour dire non à cette extension et à cette décision. La grève générale, c'est-à-dire les journées de la désobéissance, se poursuit également. De plus en plus de corporations rejoignent le mouvement, on a les juges, les avocats, les étudiants, les docteurs... Si la mobilisation prend encore de l'ampleur, elle se transformera en véritable mouvement social.
Quels scénarios sont à envisager désormais pour les semaines à venir ? Le premier scénario, c'est une mobilisation accrue et continue, qui force les pouvoirs publics à prendre une autre décision. Il faut que les autorités arrêtent avec leurs déclarations saugrenues et grotesques et qu'elles passent à l'action. Le changement de Premier ministre, avec le renvoi d'Ahmed Ouyahia, a été perçu comme une première étape, mais il a été remplacé par un autre homme dévot du régime, Noureddine Bedoui. On est loin du changement fondamental attendu ! Le second scénario, c'est le recours à la violence. On se souvient tous de la "décennie noire" (la guerre civile entre 1991 et 2002, ndlr), mais cela m'étonnerait que les autorités veuillent rééditer les scénarios d'octobre 1988 (des manifestations réprimées par la force) ou même de janvier 1992 (l'annulation d'élections législatives par l'armée). Néanmoins, cette option reste toujours possible.
Avez-vous constaté qu'il y avait beaucoup de femmes dans les rues à Alger ? Tout à fait. Je suis moi-même sortie avec ma mère, mes cousines, ma belle-sœur. Il y avait énormément de femmes lors de la manifestation du 1er mars à Alger. Malheureusement, je n'ai pas assisté à la marche du 8 mars, mais je sais qu'elles étaient majoritaires. Les femmes sont en train de jouer un rôle très important. On n’avait pas vu de femmes dans la rue, avec des fleurs, depuis les événements de 1990, lorsqu'elles sont sorties pour dire non à la violence et non au terrorisme. Aujourd'hui, elles sont effectivement très présentes aussi bien dans les manifestations que sur les réseaux sociaux.
Est-ce le moyen pour elles de dire qu'elles espèrent une évolution de leurs droits dans les années à venir ? Pour le moment, ce qui est très frappant c'est que le peuple est uni autour d'une même revendication : le départ de Bouteflika. Je n'ai pas vu émerger de revendications régionales, identitaires, culturelles, genrées... C'est aussi ce qui fait la force de ce mouvement. Le peuple est uni derrière une seule demande. Mais cela peut venir avec le temps bien sûr.
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