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Mission renouveau pour la marine française

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interviewé par Fanny Guyomard pour

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Face à la montée des tensions en mer, la Marine nationale est particulièrement mobilisée. Son ravitailleur historique, la « Somme », dont la durée de vie a été allongée, repart en mission. Et la nouvelle génération arrive.

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L'A-725 de Jacques Chevallier, base navale de la Marine française, Toulon, 9 juin 2023
L'A-725 de Jacques Chevallier, base navale de la Marine française, Toulon, 9 juin 2023
Michael Derrer Fuchs/Shutterstock
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Brest, aux confins de la base navale, au bout d'une longue jetée. Le ciel déverse son eau dans l'océan gris profond, où se fond le bâtiment de guerre de 158 mètres. La « Somme » (c'est son nom) sort d'une grosse révision de quatre mois. Active depuis 1990, il était prévu qu'elle soit désarmée en 2025, mais sa durée de vie a été allongée jusqu'à au moins 2027. Les machines ont été démontées pour être examinées, la peinture de la coque totalement refaite, les cartes électroniques testées, des douches et des prises pour ordinateurs ajoutées… et son retour en mer est retardé par un problème technique. Quelque 150 hommes et femmes s'affairent à la mettre en route, le plus gros effectif de l'arsenal de Brest.

La « Somme » est l'un des deux ravitailleurs dont dispose la France. Le navire apporte carburant, eau, vivres (180.000 repas), munitions (170 tonnes) aux embarcations militaires qui peuvent alors se concentrer sur leur mission de combat. De part et d'autre du bâtiment, se dressent quatre longs tuyaux souples et noirs qui avoisinent chacun les quatre-vingts mètres. Ils seront suspendus à un câble tiré entre l'approvisionneur et son approvisionné, rapprochés à une trentaine de mètres en plein océan. « Pour donner une idée, on peut remplir une baignoire en une seconde », décrit un jeune et costaud responsable. Les vivres et les munitions glisseront sur la tyrolienne.

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Le navire est parsemé de matériel contre le feu. La sensible salle des machines, baignée dans une odeur de carburant, est surveillée 24 heures/24. On y accède via un raide escalier (« échappée ») huileux, après la pièce centralisant les commandes de sécurité du vaisseau. Une pièce star-warsienne (type Faucon Millenium), bercée par le ronronnement des alternateurs et tapissée de gros boutons d'un autre siècle. Pas de hublots. L'ensemble en compte peu, pour gagner en discrétion, échapper à la vigilance des radars. Le navire doit opérer vers le nord, dans le sillage de la guerre en Ukraine.

Retour du combat naval

Selon Jérémy Bachelier, chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri (Institut français des relations internationales), après des décennies de calme relatif sur les mers, le combat naval est de retour. « Comme les frontières sont floues dans l'espace maritime, certains compétiteurs profitent de cette zone grise pour diluer leur responsabilité et minimiser leur exposition au risque, comme Pékin en mers de Chine méridionale et orientale », expose-t-il.

La tactique à adopter : s'allier.

« La Marine nationale a des capacités limitées, donc nous devons construire des partenariats. On pourrait imaginer une permanence de porte-avions français et britanniques, comme évoquée lors du dernier sommet entre la France et la Grande-Bretagne - mais y associer aussi l'Italie, dont la marine est très importante et en nette croissance », théorise le chercheur. Il pointe la zone s'étirant du golfe d'Aden à celui du Bengale, stratégique pour l'approvisionnement énergétique de l'Europe, et quelque peu délaissée par les Etats-Unis, qui se réorientent vers le Pacifique.

Ces unions supposent un vocabulaire commun, d'accueillir des officiers alliés et de pouvoir connecter les équipements entre eux.

« L'interopérabilité demande de l'entraînement, du temps et de la confiance », ajoute Jérémy Bachelier. A l'avenir, il s'agira aussi d'associer à bord des ingénieurs qui amélioreront les bâtiments en continu. D'intégrer immédiatement les évolutions technologiques, plutôt que d'attendre la construction d'un nouveau bateau.

Autres ravitailleurs

Quatre ravitailleurs ont été commandés aux Chantiers de l'Atlantique et à Naval Group. Le « Jacques Chevallier », qui entre en service cette année, a été conçu pour être éventuellement rallongé par le milieu. Long de presque 200 mètres, il pourra livrer 13.000 m3 de carburant, le double de la « Somme ». « Il est davantage automatisé que les précédents ravitailleurs, donc sera plus facile d'utilisation, explique Antoine Houzé, responsable du programme pour les Chantiers de l'Atlantique. Mais il faudra à peu près le même nombre de marins, car le ravitaillement demande beaucoup de main-d'oeuvre - apporter les palettes, les accrocher… »

En plus des 140 couchettes dédiées aux membres d'équipage et au détachement aéronautique, 50 sont prévues pour des passagers. De quoi s'adapter à une diversité de missions. « Ils seront maximum quatre personnes par cabine, les zones de vie sont plus spacieuses et modernes », décrit celui qui a supervisé la construction de paquebots. Côté vivres : quatre fois plus de capacité de stockage en chambre froide. Donc davantage de produits frais pour les navires ravitaillés, plus goûteux que des rations sèches. La cuisine, c'est important pour le moral des troupes.

Davantage de drones

Côté protection, les nouveaux ravitailleurs s'adaptent aux nouvelles formes de menaces. « Le 'Jacques Chevallier' est équipé, comme la nouvelle génération de frégates, d'un système de caméras qui détectent tous les objets qui s'approchent, sur l'eau et dans l'air, comme des drones », esquisse Denis Garnier, de Naval Group. L'attaque est ensuite retranscrite sur un écran et enrichie par des informations données par réalité augmentée. Les missiles font le reste.

Si tout fonctionne. En avril 2018, lors d'une opération en Syrie, le lancement inédit de missiles de croisière navale par la marine française ne se déroule pas comme prévu. Bug informatique, avancent des sources. Information classifiée, tait le ministère. En 2019, la Navy américaine revient aux bons vieux outils mécaniques dans ses destroyers, après la collision mortelle entre l'un d'entre eux et un pétrolier civil. En cause : la complexité des écrans tactiles. Ou l'entraînement insuffisant des marins américains. « L'automatisation, quand tout va bien et que c'est bien conçu, c'est génial. Mais en cas d'avarie, le dépannage est complexe, les sécurités usuelles sont difficiles voire impossibles à contourner. Parfois, seul l'industriel a le droit de toucher au système, et on se retrouve bloqués en pleine mission », glisse un marin français.

En tout cas, le prochain ravitailleur sera équipé de drones. Un équipement où la marine pèche un peu, selon Jérémy Bachelier. Or, « les drones deviennent de plus en plus importants, pour détecter l'adversaire voire le détruire. On pourrait les acheter clés en main à la Turquie ou aux Etats-Unis, mais le défi est aussi de faire travailler notre industrie nationale », souligne le chercheur.

Une industrie amenée à creuser un domaine encore balbutiant : la physique quantique, qui fait exploser la vitesse de calcul des ordinateurs. En 2021, Emmanuel Macron lançait un plan de 1,8 milliard d'euros sur cinq ans afin de développer cette technologie. Loin des 10 annoncés par la Chine pour son laboratoire national. Le quantique permettra de planifier des opérations en un clin d'oeil, d'imaginer une multiplicité de scénarios qui pourraient être adoptés par différents pays, et rendra plus efficace l'alignement des manoeuvres entre le sous-marin, le marin, l'aérien et le spatial. Plus dangereux :

« Le quantique sera capable de briser les systèmes complexes de protection des satellites », signale Jérémy Bachelier. Pirater la carte du spatial, c'est faire s'écrouler tout le château de l'armée - la possibilité d'assurer la communication entre les bâtiments de guerre et de tirer des missiles. Seule une autre technologie quantique pourra répondre à cette menace.

Des effectifs sans cesse renouvelés

Mais on manque d'ingénieurs cyber. Comme de spécialistes de l'atomique et de l'aéronautique navale, ces marins du ciel qui doivent suivre une longue formation pour piloter hélicoptères et avions embarqués. Ou encore de marins de flotte.

La Marine nationale recrute 4.000 personnes par an , mais ce n'est pas suffisant. Elle doit mettre en outre la barre encore plus haut, en demandant aux marins d'être capables de s'adapter aux systèmes qui vont évoluer en continu, et de réaliser des tâches particulièrement diversifiées, car une partie est effectuée par l'automatisation. Le tout avec des salaires de la fonction publique.

Ceux qui ont acquis une certaine expérience sont débauchés par des entreprises privées, à des revenus que la Défense ne peut concurrencer. Mais celle-ci est bien obligée de laisser partir les presque quarantenaires qui ne tiennent plus le rythme des journées à rallonge en mer, des vacances écourtées, et veulent se poser en famille. C'est 9 % des effectifs de la marine qui sont renouvelés chaque année. Et tous les trois ans, les marins changent de bateau ; pas tous d'un coup, pour que les anciens accompagnent les nouveaux. Sans partir trop tôt.

 

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Jérémy BACHELIER

Intitulé du poste

Ancien Chercheur, Centre des études de sécurité de l’Ifri

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L'A-725 de Jacques Chevallier, base navale de la Marine française, Toulon, 9 juin 2023
Michael Derrer Fuchs/Shutterstock