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Marc Hecker : « Les mobilisations liées au conflit israélo-palestinien demeurent relativement limitées en France »

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Alors que le conflit a longtemps déchaîné les passions en France, depuis le 7 octobre 2023, les manifestations y sont moins importantes qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, affirme le chercheur, dans une tribune au « Monde ».

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Une comparaison historique et géographique du mouvement de solidarité avec les Palestiniens amène à relativiser l’ampleur de la mobilisation actuelle. La mouvance propalestinienne s’est structurée en France à partir de la guerre des Six-Jours autour de quatre sphères. La première était constituée de travailleurs et d’étudiants immigrés, venant du monde arabe. Il y avait parmi eux des Palestiniens, mais ils étaient minoritaires : à l’époque, le panarabisme était en vogue, et l’on parlait davantage de conflit israélo-arabe que de conflit israélo-palestinien.

La deuxième sphère était composée de gaullistes qui, inspirés par la « politique arabe » du général de Gaulle, ont créé l’Association de solidarité franco-arabe. La troisième regroupait des « cathos de gauche » : l’hebdomadaire Témoignage chrétien a contribué à faire connaître la cause palestinienne et a organisé des voyages de solidarité en « Terre sainte ». La quatrième sphère est encore très présente aujourd’hui : il s’agit de l’extrême gauche, qui a appliqué une grille de lecture anti-impérialiste à la situation du Proche-Orient.

Au fil des décennies se sont ajoutés d’autres militants. Un élément remarquable a été la montée d’une solidarité panislamique, la cause palestinienne étant érigée en symbole de l’oppression des musulmans. Dans les années 2000, on a ainsi pu voir des prières de rue dans des manifestations propalestiniennes, à la surprise des militants historiques qui prônaient une « Palestine laïque et démocratique ».

Popularité limitée du Hamas

La victoire du Hamas aux élections législatives de 2006 a fait l’effet d’un séisme. « C’est comme si Arafat était mort une deuxième fois (…). Le réveil est dur », s’est alors exclamé le président de l’Association France Palestine Solidarité, Bernard Ravenel. Certains militants lui ont rétorqué que les militants étrangers n’avaient pas à remettre en question les choix démocratiques du peuple palestinien. Dans les années qui ont suivi, les cortèges organisés à Paris à l’occasion de flambées de violence au Proche-Orient ont permis de prendre la mesure de la popularité limitée du Hamas : ses emblèmes étaient très minoritaires par rapport aux drapeaux palestiniens ou aux symboles de l’extrême gauche.

Notre pays avait tendance, par le passé, à attirer les regards des observateurs étrangers : pourquoi le conflit israélo-palestinien y suscitait-il une telle passion ? Etait-ce lié à l’importance des communautés juive et musulmane ? Aujourd’hui, l’attention se tourne plutôt vers les Etats-Unis et le Royaume-Uni, où les mobilisations ont pris davantage d’ampleur : la plus grande manifestation propalestinienne à Londres a réuni environ trois cent mille personnes selon la police, soit environ dix fois plus qu’à Paris.

Quant aux blocages sur les campus français, ils ont été réalisés par une infime minorité des étudiants. Certains modes opératoires ont d’ailleurs un caractère transnational qui n’est pas sans rappeler les « réseaux internationaux d’indignation » qui existaient à l’époque d’Occupy Wall Street à New York et des « indignés » espagnols. Le cœur de ces réseaux ne se situe pas à Saint-Germain-des-Prés.

La France ne fait plus, non plus, figure d’exception à l’aune de la flambée des actes antisémites, que l’on y observait régulièrement depuis la seconde Intifada. En décembre 2023, des responsables du J7 – les principales organisations juives de sept pays de la diaspora (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Canada, Argentine, Australie) – sont venus à Paris. Inquiets, ils faisaient tous état d’une forte hausse de l’antisémitisme depuis le 7 octobre 2023.

Sentiment de malaise

Compte tenu du bilan humain à Gaza, il est en fait surprenant que les manifestations n’aient pas été plus massives dans l’Hexagone. Deux hypothèses peuvent être émises. D’une part, les principales associations propalestiniennes ont longtemps défendu la solution à deux Etats et soutenu le processus de paix. Le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 a pu susciter chez certains militants un sentiment de malaise, même si les condamnations publiques ont été trop rares.

D’autre part, une différence notable entre la période actuelle et les précédents épisodes d’embrasement au Proche-Orient a trait au fait que la France a subi, entre-temps, une vague de terrorisme qui continue à peser sur les choix des autorités. Ainsi, le gouvernement a prévenu que le soutien au Hamas serait considéré comme de l’apologie du terrorisme, et a initialement interdit les manifestations. Cette mesure a pu refroidir les ardeurs militantes. Quand les cortèges ont finalement été autorisés, les manifestants ont pris garde de ne pas brandir de drapeaux de l’organisation islamiste. Par conséquent, il est devenu plus difficile de mesurer la part de la mouvance propalestinienne favorable au Hamas.

La situation est d’autant plus confuse que l’attaque d’octobre 2023 a enhardi les sympathisants d’Al-Qaida et de l’organisation Etat islamique. L’attentat du pont de Bir-Hakeim, à Paris (une attaque au couteau qui a fait un mort et deux blessés, en décembre 2023), a montré que la menace est réelle : l’assaillant a reconnu qu’il voulait s’en prendre à une cible juive. Traditionnellement, autorités et analystes distinguent nettement les militants non violents maniant les slogans et les terroristes maniant les armes, surtout lorsqu’ils n’appartiennent pas aux mêmes mouvances idéologiques. Les choses sont cependant devenues plus complexes. D’un côté, le militantisme a désormais un versant numérique qui peut prendre la forme d’attaques ad hominem sur les réseaux sociaux. D’un autre côté, le terrorisme s’est décentralisé à l’extrême, et les personnes vilipendées sur Internet peuvent devenir des cibles.

Finalement, même si les mobilisations liées au conflit israélo-palestinien demeurent relativement limitées, elles ont un écho médiatique et politique considérable. Elles agissent comme un révélateur des fragilités de notre nation et contribuent à sa polarisation. La réponse n’est pas simple et la tentation de l’interdiction peut se révéler contre-productive. Toutes les revendications doivent pouvoir s’exprimer, dans les limites permises par la loi. Mais, au-delà des considérations légales, notre société a cruellement besoin de retrouver le sens de la mesure et la capacité à débattre sereinement.

Marc Hecker est directeur adjoint de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et auteur d’« Intifada française ? De l’importation du conflit israélo-palestinien » (Ellipses, 2012).

 

> Lire la tribune sur le site du Monde

 

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Marc HECKER

Marc HECKER

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Directeur adjoint de l'Ifri, rédacteur en chef de Politique étrangère et chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri