Lutte d’influence pour la place de la France dans l’Otan
Deux modèles de « génération de forces » sont en discussion entre États membres: l’un pour augmenter les moyens pré-positionnés à l’Est, l’autre qui mise sur un renforcement de la réactivité des armées.
En privilégiant Pégase plutôt que AirDefender, l’armée de l’Air et de l’Espace a résumé les dilemmes français. Tandis que s’achevait dimanche en Allemagne le plus grand exercice aérien jamais organisé par l’Otan, pour lequel la France n’a envoyé qu’une capacité critique - un avion Awacs -, 19 avions et 320 aviateurs étaient mobilisés pour une « projection de puissance » vers l’Indo-Pacifique. Avec Pégase, l’armée de l’Air rejoindra, au terme de onze escales illustrant autant de partenariats diplomatiques, les territoires ultramarins.
Si la guerre en Ukraine a brutalement rappelé le rôle premier de l’Alliance atlantique pour la défense du continent, elle n’occulte pas les autres priorités nationales.
« Toute proposition de stratégie nationale d’influence au sein de l’organisation doit prendre en compte cette difficulté, qui peut aussi se révéler comme une opportunité », souligne en nuance le colonel Guillaume Garnier, aujourd’hui chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri), dans une étude particulièrement détaillée dont Le Figaro a eu la primeur.
À quelques jours du sommet de l’Otan à Vilnius les 11 et 12 juillet, la France réfléchit à sa place au sein de l’Alliance atlantique. En novembre, le chef de l’État Emmanuel Macron avait fixé comme objectif de « jouer un rôle d’allié exemplaire, capable d’assurer le rôle de “nation cadre” et de contribuer à la réassurance de nos partenaires ». La France veut défendre son rang de puissance dotée de l’arme nucléaire, rêve d’un leadership et revendique une capacité à conduire des coalitions.
Elle a longtemps assumé une singularité rebelle (avec le retrait de 1966) avant un processus de normalisation engagé en 2008 (le retour au sein du commandement intégré). Puis les déclarations du président sur « la mort cérébrale » de l’Otan ou refusant « d’humilier la Russie » au début de la guerre ont créé de l’incompréhension. « L’isolement n’est pas forcément pérenne », confie Guillaume Garnier en rappelant la crédibilité militaire de la France.
Conduire des coalitions
Après avoir analysé la complexité de la relation de la France à l’Otan, l’étude de l’Ifri expose les défis qui se posent aujourd’hui dans une alliance transformée par le retour de la guerre en Europe. Deux modèles de « génération de forces » sont en discussion entre États membres: l’un pour augmenter les moyens pré-positionnés à l’Est, l’autre qui mise sur un renforcement de la réactivité des armées. Le premier a les faveurs des pays du flanc est, le second de contributeurs comme la France.
L’Allemagne s’est déclarée prête lundi à déployer « durablement » 4000 soldats en Lituanie contre 800 actuellement. À Vilnius, l’attribution de commandements sera aussi en jeu.
« En l’absence d’une prise de responsabilité militaire structurante et lisible, un risque réel de marginalisation (de la France) dans l’Alliance aboutirait à jouer un rôle secondaire en cas de crise interétatique ou de conflit sur le continent, prenant paradoxalement à contrepied l’esprit gaullien », prévient l’étude de l’Ifri.
La France dispose d’atouts à faire valoir, comme son expérience opérationnelle, son engagement sur le flanc sud de l’Europe, sa réflexion doctrinale ou son expertise dans des domaines de pointe comme le cyber ou le spatial. « Fin 2021 et début 2022, la France était le deuxième contributeur aux activités de recueil de renseignement » de l’Alliance, rappelle l’étude. Mais elle doit aussi changer d’approche. En raison de son engagement au Sahel, la France a proportionnellement moins participé aux exercices alliés que d’autres. L’Alliance a été délaissée, même si le commandement « à la transformation » est dévolu à un Français.
« La plupart des grands commandeurs militaires français n’ont jamais occupé de poste dans la structure intégrée, ce qui serait impensable chez la plupart de nos alliés », poursuit le colonel Garnier. D’autres nations, comme l’Allemagne par exemple, ont su occuper des postes clés dans la hiérarchie otanienne.
« Le faible taux d’armement des postes otaniens (autour de 75%) est ennuyeux, car il est chronique. On se heurte ici aux limites humaines du modèle de forces français. La structure intégrée est très consommatrice en ressources humaines, et les forces françaises, outre leurs besoins propres, ont de nombreux engagements en dehors de l’Otan », avertit le rapport.
Enfin, si « l’interopérabilité » est devenue le mantra de l’Alliance, la France se méfie d’un concept qui sert aussi de cheval de Troie à l’industrie américaine.
« Inspirer confiance »
Une compétition d’influence est engagée entre les États membres européens de l’Alliance. Elle se joue sur la remontée en puissance des armées européennes, mais aussi sur leurs capacités de commandement. « Les pays qui compteront militairement, et donc politiquement, dans la gestion d’éventuelles crises dures, ou dans la conduite d’une guerre, seront ceux qui pourront structurer un corps d’armée », soit une masse de 50.000 à 80.000 soldats. Les États-Unis disposent des moyens nécessaires. Mais qui d’autres ? Personne pour l’instant.
« Les candidats venant à l’esprit sont l’Allemagne, le France et le Royaume-Uni, peut-être l’Italie, et très prochainement la Pologne dont le programme d’acquisition spectaculaire devrait lui permettre à court terme d’avoir les forces terrestres les plus puissantes en Europe, employées en défense territoriale. Pour autant, le défi reste de taille pour chacun d’eux. Le Royaume-Uni et l’Allemagne ont un avantage organique puisqu’ils ont déjà investi depuis 2014 dans la structuration d’un club d’affinitaires opérationnels au sein de l’Otan ».
La France ne dispose pas d’un tel club. La défense contre la menace terroriste sur le flanc sud, contre laquelle la France a œuvré, ne suffira plus à laisser une place de premier rang.
« Les leviers existent » pour fédérer des initiatives, souligne le rapport de l’Ifri en évoquant les partenariats privilégiés de la France en Europe, avec la Belgique, la Grèce, la Croatie ou la Roumanie. « Mais la tâche sera ardue, car elle suppose que la France traite ses lacunes capacitaires les plus criantes, notamment les capacités d’appui critiques, et densifie sa composante lourde ».
Une précondition s’impose: « Inspirer confiance en tenant sérieusement sa place dans l’Otan ». Pour réussir, la France devra concilier un effort militaire et une épreuve de modestie.
> Retrouver l'article sur le site du Figaro.
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