L'impasse iranienne
En visitant le Musée de la Révolution islamique et de la Défense sacrée à Téhéran, apparaît une évidence souvent oubliée en Europe : la prise d'otage de l'ambassade des États-Unis (novembre 1979 – janvier 1981) et la guerre avec l'Irak (1980 – 1988) ont figé les représentations du monde de l'Iran. Depuis 1979, deux mouvements contradictoires travaillent sa diplomatie, qui renvoient à sa nature de « théocratie constitutionnelle ».
Le premier privilégie la sauvegarde du pays comme État nation et cherche à sécuriser son environnement. Le second donne la priorité au message religieux et recherche toujours la prééminence dans le monde musulman.
La décision unilatérale de Donald Trump de se retirer du traité nucléaire (JCPOA), conclu en juillet 2015, fait rejouer les lignes de faille de la diplomatie iranienne1. Elle fragilise la politique d'ouverture conduite par le président Hassan Rohani et renforce la défiance du guide suprême, Ali Khamenei, à l'égard des Occidentaux. Elle place l'Iran sous fortes tensions. En durcissant les sanctions et en accentuant son isolement, la Maison blanche vise ni plus ni moins un changement de régime venant de l'intérieur.
Il n'existe pourtant aucune alternative crédible au régime en place. Certes, les rivalités au sein des élites iraniennes sont perceptibles, tout comme l'exaspération de larges parties de la population à l'égard des mollahs. Reste que le pouvoir des Gardiens de la révolution est solidement ancré : ils contrôlent les leviers économiques et disposent de puissants moyens de répression. Par ailleurs, l'état de surveillance permanent entre Iraniens devient secondaire dès qu'il s'agit de faire face à l'étranger. Le patriotisme et la fierté nationale sont eux aussi très perceptibles, comme le montre le culte rendu aux « martyrs ». Le programme nucléaire répond à une quête de prestige international, mais surtout à une peur existentielle.
Les négociateurs iraniens du JCPOA rappellent le principe de l'accord : l'arrêt du programme nucléaire contre la levée des sanctions économiques. La décision américaine met en cause la crédibilité politique des Européens, ainsi que celle des Iraniens qui ont défendu l'accord. Directement influencée par Israël, elle est justifiée par les activités régionales de l'Iran, ainsi que par la poursuite de leur programme balistique. En conduisant des négociations complexes avec les Occidentaux sur le nucléaire, le régime iranien avait su utiliser la volatilité régionale pour renforcer ses positions. Il a parfaitement exploité le retrait d'Irak des États-Unis (en décembre 2011) qui a entraîné la mise en place d'un état irakien faible, divisé et dominé par la communauté chiite. Parallèlement, le soutien inconditionnel apporté au régime de Bachar el-Assad en Syrie, au Hezbollah au Liban et au Hamas à Gaza permet à l'Iran de nourrir des ambitions méditerranéennes. Le régime se trouve aujourd'hui dans une logique de consolidation de ses gains. Il cherche aussi à profiter de l'enlisement de son rival saoudien au Yémen.
Cependant, il reste fragilisé par une profonde crise économique et sociale, appelée à s'aggraver. Pour l'heure, la principale conséquence de la décision américaine est le retrait des entreprises européennes craignant elles-mêmes de subir des sanctions. Cela renforce mécaniquement l'influence de la Russie et de la Chine. La convergence actuelle des intérêts iraniens et russes en Syrie ne doit pas masquer l'antagonisme historique des deux pays. En août dernier, les cinq pays riverains de la mer Caspienne – Russie, Iran, Azerbaïdjan, Kazakhstan et Turkménistan – sont parvenus à un accord interdisant toute présence militaire d'un pays tiers. Cet accord permet à l'Iran de sécuriser sa façade septentrionale, mais ne résout pas la question de ses relations de long terme avec la Russie. C'est finalement la Chine qui tire le meilleur bénéfice de la crise actuelle. En retrait politiquement, elle profite de l'espace laissé par les Européens pour investir massivement, en particulier dans le secteur énergétique. Est-ce à dire que l'Iran glisse progressivement dans la sphère d'influence chinoise ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais une telle évolution serait en contradiction complète avec l'objectif d'indépendance nationale poursuivi par la République islamique depuis sa création. Elle ne serait donc pas sans risque pour le pouvoir.
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