Les trois temps de la valse terroriste
L’histoire du terrorisme moderne s’apparente à une valse à trois temps. Premier temps, celui du terrorisme de nuisance : il débute le 23 juillet 1968 avec le détournement du vol Rome – Tel Aviv par un commando du Front Populaire de Libération de la Palestine. Le terrorisme n’est pas alors perçu comme une menace stratégique. Les quelques dizaines de morts d’un attentat comptent peu face aux millions de morts d’une possible guerre nucléaire entre le camp occidental et le bloc soviétique. Les attentats sont pourtant nombreux à cette époque, émanant pour l’essentiel de quatre mouvances : marxiste, séparatiste, nationaliste et islamiste. Ils n’épargnent pas la France : assassinats de Georges Besse et du préfet Erignac, attentat de la rue Copernic, ou encore détournement du vol Alger – Paris…
Le deuxième temps est celui du terrorisme stratégique. Il s’ouvre sur les attentats de New York et Washington, le 11 septembre 2001. Ces attaques marquent un saut quantitatif et qualitatif dans l’histoire du terrorisme. Pour la première fois, un acteur non étatique, Al Qaïda, inflige instantanément des dommages d’ampleur militaire à un Etat qui se trouve être la première puissance mondiale. A l’époque, la perspective d’un cycle d’hyperterrorisme paraît crédible. Les Etats-Unis et leurs alliés déploient alors des moyens considérables pour contrer la menace : c’est le début de la « guerre globale contre le terrorisme ». Face à une débauche de moyens militaires et au renforcement des mesures policières et judiciaires, Al Qaïda chancelle. Elle ne survit que grâce à une double évolution : sa virtualisation et sa décentralisation.
La virtualisation d’Al Qaïda ne se traduit pas seulement par la diffusion d’une abondante propagande sur Internet. Le web est devenu, pour la mouvance jihadiste internationale, une véritable plateforme opérationnelle, facilitant recrutement, levée de fonds et même échanges tactiques. Quant à la décentralisation, elle se matérialise par l’ouverture de « filiales ». La première voit le jour en Irak : la présence massive de troupes américaines dans le pays à partir de 2003 attire les jihadistes de tout le monde arabe. Une deuxième « filiale » naît en 2006-2007 au Maghreb, puis une troisième en 2009 dans la péninsule arabique. Plus récemment, en février 2012, Ayman al-Zawihiri a annoncé l’entrée des Shebab somaliens dans le giron d’Al Qaïda.
La décentralisation prend une autre forme originale, qui caractérise le troisième temps de la valse : le wikiterrorisme. Depuis plusieurs années déjà, le fonctionnement de la mouvance jihadiste internationale s’apparente à celui de Wikipedia, l’encyclopédie en ligne à laquelle peut contribuer tout un chacun. N’importe quel apprenti jihadiste, même dépourvu de lien avec un réseau, peut décider de passer à l’acte en se revendiquant d’Al Qaïda. Ayman al Zawahiri ne contrôle pas plus ces terroristes en herbe que Larry Sanger et Jimmy Wales, fondateurs de Wikipedia, ne commandent les milliers de contributeurs à l’encyclopédie collaborative. Dans la plupart des cas, les wikiterroristes échouent faute d’entraînement et finissent derrière les barreaux.
L’exemple de Mohammed Merah démontre toutefois que cette menace doit être prise au sérieux. Et fort heureusement, elle l’est. Le système français de lutte contre le terrorisme est un des plus performants au monde : dans la dernière décennie, plusieurs attentats majeurs ont été déjoués, et en 2010, 94 islamistes radicaux ont été arrêtés. Même le meilleur système de lutte contre le terrorisme ne peut être efficace à 100% : il suffit qu’une personne réussisse à passer les mailles du filet pour aboutir à une catastrophe. Les tueries de Toulouse et Montauban en sont l’illustration. Une analyse critique de ce qui a mal tourné dans cette affaire s’impose mais le système ne doit pas être remis en cause pour autant. De toutes les danses, la valse terroriste est sans doute la plus macabre. Aux services spécialisés de savoir s’adapter aux changements de pied constants de leurs adversaires.
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