Les Tanzaniens appelés aux urnes dans une démocratie à la dérive
Dans ce pays d’Afrique de l’Est, l’élection présidentielle se tiendra mercredi 28 octobre. Le président sortant, John Magufuli, brigue un deuxième mandat après avoir plongé le pays dans un régime autoritaire.
L’élection présidentielle en Tanzanie, mercredi 28 octobre, pourrait être remportée par un Bulldozer - surnom du président sortant John Magufuli. Au pouvoir depuis 2015, le chef d’État affronte dans les urnes une figure majeure de l’opposition, Tundu Lissu.
Si l’absence de sondages empêche de prendre le pouls de la société civile, le président sortant est en bonne position face à une opposition éclatée qui présente 14 candidats. Longtemps perçue comme un havre de stabilité dans la région, la Tanzanie a glissé, sous la présidence de John Magufuli, dans un régime autoritaire.
« Le régime tord la loi pour restreindre la liberté »
« Ces cinq dernières années, les violations des droits humains ont augmenté, explique Seif Magango, directeur d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est, je n’ai jamais vu une telle répression depuis l’indépendance de la Tanzanie en 1961. »
La gestion de l’épidémie du Covid-19 incarne le durcissement du climat politique sous l’actuel chef d’État. En avril dernier, les autorités tanzaniennes ont décidé d’arrêter la diffusion des données sur le Covid-19 alors qu’il y avait 509 cas dans le pays. « Il n’existe aucun chiffre officiel au sujet de l’épidémie », confirme Seif Magango. En juin dernier, le chef de l’État a déclaré que le pays était « libéré » du virus.
À travers une batterie de mesures répressives, John Magufuli a resserré son emprise autour de la Tanzanie. « Le régime tord la loi pour restreindre la liberté », dénonce Seif Magango. Depuis 2019, les autorités au pouvoir tentent de limiter l’influence des ONG. Ces dernières ont même été priées de se tenir à l’écart du scrutin. L’arrestation de journalistes et d’opposants a également marqué le début du mandat de John Magufuli. Au classement mondial de la liberté de la presse, établi par Reporters sans frontières (RSF), le pays tombe de la 75e place en 2015 à la 124e en 2020.
Un discours nationaliste
Les tentatives pour essayer de museler l’opposition sont nombreuses, comme l’interdiction des rassemblements politiques hors période électorale. « Beaucoup de personnes ont peur de rejoindre des rassemblements opposés au président », reprend Seif Magango. En Tanzanie, le camp de l’opposition est représenté par Tundu Lissu (parti Chadema) victime d’une attaque en 2017. L’avocat de 52 ans, touché par balles 16 fois, avait à l’époque été laissé pour mort. Mais après avoir passé trois ans en Belgique, il est revenu en Tanzanie en juillet dernier.
- « Depuis 2010, l’opposition a grandi dans le pays. Cependant, le chef de l’État reste apprécié par une partie de la population », estime Sina Schlimmer, chercheuse au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri (chercheuse associée au laboratoire Les Afriques dans le monde). Lors de sa campagne électorale, John Magufuli a séduit la population avec son programme présidentiel de lutte contre la corruption, accompagné d’un discours nationaliste. Parmi les mesures symboliques : les restrictions de voyages officiels à l’étranger.
En 2017, la communauté internationale grince des dents
Si le président a durci le ton en Tanzanie, « l’autoritarisme n’était pas tout à fait nouveau dans le pays », estime Sina Schlimmer. Derrière le président tanzanien, il y a l’ombre de l’ex-parti unique, le Chama Cha Mapinduzi (CCM). « Le régime actuel - souvent qualifié d’autoritaire - ne repose pas simplement sur la personne de John Magufuli, ni sur son style de gouvernance, mais il est intrinsèquement lié à la domination du parti politique au pouvoir », analyse la spécialiste. Malgré l’introduction d’un système multipartite en 1992, le CCM a toujours remporté les élections.
Face aux dérives autoritaires du président Magufuli, la communauté internationale grince parfois des dents. En 2017, plusieurs acteurs s’étaient insurgés contre une mesure prise par les autorités tanzaniennes interdisant aux filles enceintes de se rendre à l’école.
- « La Banque mondiale et le Fonds monétaire international avaient décidé de suspendre une partie de leur aide », éclaire Sina Schlimmer. Quelques jours plus tard, le président avait finalement reculé et les fonds étrangers étaient revenus dans le pays.
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