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Les responsables européens doivent continuer à mettre les dirigeants chinois face à leurs contradictions sur l’Ukraine

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Il est nécessaire de dissuader la Chine, qui se prétend neutre dans le conflit mais reste proche du Kremlin, d’apporter tout soutien qui permettrait d’atténuer les sanctions contre Moscou, explique l’analyste en relations internationales.

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Sommet UE-Chine, Bruxelles, 22 juin 2020
Sommet UE-Chine, Bruxelles, 22 juin 2020
Alexandros Michailidis / Shutterstock.com
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Le 1 avril s’est tenu un sommet virtuel entre l’Union européenne et la Chine. « Un grand succès » d’après la partie chinoise, « un dialogue de sourds » pour le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. Le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, se sont d’abord entretenus avec le premier ministre chinois, Li Keqiang, puis brièvement (moins d’une heure !) avec le président Xi Jinping.

Sans surprise, ce sommet n’a apporté aucune avancée, ni sur la guerre en Ukraine ni sur les différents dossiers de la relation bilatérale. Etait-il complètement inutile pour autant ? Pas si sûr. Il a permis aux Européens de confronter les dirigeants chinois à un sujet qu’ils cherchent à éviter, l’Ukraine, et de les mettre face aux contradictions de leur discours. Et en matière de contradictions, la position chinoise fait figure de cas d’école.

La Chine se revendique neutre depuis le début du conflit et pourtant s’aligne avec une grande régularité sur l’argumentaire du Kremlin. En particulier, elle refuse de parler d’invasion et ne cesse d’attribuer la responsabilité pleine et entière de la guerre aux Etats-Unis. Elle défend aussi systématiquement les principes de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale, et ceux de la Charte des Nations unies, mais elle refuse de reconnaître que ces mêmes principes ont bel et bien été foulés aux pieds par Moscou.

Pékin appelle constamment au dialogue et au cessez-le-feu, mais n’entreprend pas la moindre démarche dans ce sens. En plus de quarante jours de conflit, on ne recense que deux communications téléphoniques entre les ministres des affaires étrangères chinois et ukrainien, et aucun échange entre Xi Jinping et Volodymyr Zelensky. Pourtant, la Chine est probablement le seul pays qui dispose à la fois des canaux de communication avec chacun des belligérants ainsi que des leviers de pression pour forcer Vladimir Poutine à s’asseoir à la table des négociations. Si elle ne s’implique pas dans la recherche d’un cessez-le-feu, ce n’est donc pas par manque de moyens mais par absence de volonté.

Reconnaissant la crise humanitaire en Ukraine, la Chine appelle aussi à d’« énormes » efforts. Pourtant, l’aide qu’elle a consentie jusqu’ici reste dérisoire : 2,3 millions d’euros, contre six fois plus de la part de Taïwan, et une enveloppe de 100 millions d’euros mobilisée par la France.

Les responsables européens ont donc eu raison d’imposer la question ukrainienne à l’ordre du jour, et de rappeler à la Chine qu’en tant que grande puissance mondiale et membre du Conseil de sécurité de l’ONU elle avait des responsabilités à assumer pour le maintien de la paix et de la stabilité mondiale. Ils ont également eu raison de marteler les expressions d’ «agression militaire » , d’ « invasion injustifiée et non provoquée » et de  « guerre contre l’Ukraine », que la Chine refuse toujours de prononcer.

M. Michel et Mme von der Leyen ont également cherché à atteindre deux objectifs, aussi cruciaux que vains. Le premier, inatteignable, était d’engager la Chine à condamner la Russie et faire pression sur Vladimir Poutine pour obtenir un cessez-le-feu. Le second, plus réaliste, était de dissuader Pékin d’apporter tout soutien qui permettrait d’atténuer les sanctions contre Moscou. Et M von der Leyen de rappeler que les échanges entre la Chine et l’UE s’élèvent à 2 milliards d’euros par jour, contre quelque 330 millions d’euros quotidiens entre la Chine et la Russie. Au cas où Pékin oublierait qui est son premier partenaire commercial, indispensable à la santé de son économie.

Aucune inflexion après Boutcha

Les indices de crimes de guerre commis à Boutcha dans la région de Kiev ont constitué un tournant dans la perception du conflit en Europe. La Chine n’a pour sa part montré aucune inflexion.

Alors que le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a dénoncé une « fausse attaque » mise en scène par les Ukrainiens, le représentant permanent de la Chine à l’ONU a déclaré le 5 avril que les rapports étaient « profondément troublants », mais que les faits devaient être vérifiés et les diverses parties devaient réfréner les « accusations infondées ». Les médias officiels chinois quant à eux ne couvrent pratiquement pas le sujet. Un éditorial du Global Times le 6 avril a néanmoins abordé ce qu’il qualifie pudiquement d’« incident de Boutcha ». Pour ce quotidien nationaliste d’Etat, « la guerre elle-même est le principal responsable de la catastrophe humanitaire ». En somme, la guerre est responsable de la guerre, une audacieuse tautologie qui permet de nouveau de disculper la Russie. Pékin détournera le regard aussi longtemps qu’il le pourra.

D’autant que les dirigeants chinois sont confrontés à d’autres problèmes plus immédiats sur la scène intérieure. La Chine traverse une nouvelle flambée épidémique de Covid-19 faisant peser de sérieux doutes sur le bien-fondé de la stratégie zéro Covid, dont le gouvernement ne démord pas. Le confinement strict des 25 millions d’habitants de la métropole de Shanghaï engendre un fort ressentiment de la population et pèse d’autant sur l’économie. Economie qui connaît par ailleurs un ralentissement structurel et sur laquelle plane toujours le risque d’effondrement du gigantesque secteur immobilier

Enfin, Xi Jinping a plus que jamais besoin de stabilité politique, sociale et économique à l’approche du 20e congrès du Parti communiste qui se tiendra à l’automne et lors duquel il entend bien se faire reconduire à la tête du pays pour un troisième mandat, une première depuis plus de quarante ans. Dans ce contexte, l’agenda international passe donc au second plan.

Une guerre européenne

Non seulement Xi Jinping considère que le conflit ukrainien est une guerre européenne qui ne le concerne pas, mais il en tire en outre certains intérêts à court terme. La guerre détourne l’attention des Etats-Unis et de l’Europe de la région Indo-Pacifique, qui figurait parmi les priorités stratégiques depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden aux Etats-Unis début 2021. Elle a aussi pour conséquence de renforcer la dépendance de la Russie à l’égard de la Chine.

A moyen terme, en revanche, les effets indirects des sanctions contre la Russie pourraient accroître les difficultés de l’économie chinoise et pousser Xi à faire évoluer sa position. Autre scénario qui inciterait Pékin à s’impliquer dans le processus de paix : l’imminence de la défaite et de la chute de Poutine. La Chine sait que, dans ce scénario catastrophe, elle se trouverait isolée dans sa rivalité stratégique avec les Etats-Unis et pourrait même voir émerger à sa frontière septentrionale un régime potentiellement beaucoup moins favorable.

Pour l’heure, on ne peut attendre de la Chine qu’elle joue un rôle constructif dans le conflit, ce qui ne rend pas moins nécessaire de continuer de la pousser à sortir de ses contradictions, qui ne font plus guère illusion, et à prendre ses responsabilités.

Marc Julienne est responsable des activités Chine au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI)

>> Tribune à retrouver dans l'édition du Monde du 19 avril 2022.

 

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Marc JULIENNE

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Directeur du Centre Asie de l'Ifri
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