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« Les propos de J. D. Vance confirment qu’un Occident réactionnaire s’oppose à l’Ouest libéral »

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Fer de lance du versant conservateur du trumpisme, le vice-président des Etats-Unis incarne la colère d’un transfuge de classe contre les élites européennes, estime la politiste Laurence Nardon dans une tribune au « Monde ».

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WASHINGTON - 30 janvier 2025 : Le vice-président J.D. Vance s'exprime lors d'un point de presse à la Maison Blanche.
WASHINGTON - 30 janvier 2025 : Le vice-président J.D. Vance à la Maison Blanche.
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Éclipsé par un Elon Musk devenu omniprésent ces derniers mois dans l’entourage de Donald Trump, le vice-président J. D. Vance est revenu de façon fracassante dans l’actualité américaine et transatlantique. Avec son discours de Munich du 14 février et l’altercation mettant aux prises les présidents américain et ukrainien ainsi que lui-même dans le bureau Ovale, vendredi 28, Vance s’affirme comme le fer de lance de la remise en cause du lien transatlantique par l’administration Trump 2. Ses attaques contre l’Ouest libéral s’inscrivent clairement dans son parcours idéologique.

Pilier du trumpisme dans son versant réactionnaire et populiste (avec lequel coexiste désormais un courant tech-libertarien), Vance n’a pas été un soutien de la première heure du président. En 2016, il affirmait ainsi vouloir voter pour la démocrate Hillary Clinton et n’avait pas de mots assez durs pour Donald Trump, qu’il qualifiait de possible « Hitler de l’Amérique ».

À l’époque, Vance venait de publier Hillbilly Elegy (Harper Press, 2016) – Hillbilly Elégie (Le Livre de Poche, 2018) –, une autobiographie dans laquelle il raconte son enfance dysfonctionnelle dans le milieu des petits Blancs pauvres des Appalaches et le miracle salvateur d’un service militaire suivi d’études de droit à Yale. Cet ouvrage dénonçant un système de classes inégalitaire et le mépris des élites lui vaut alors les louanges des médias de gauche.

Antienne du discours russe
Actif dans des cercles conservateurs depuis ses études, Vance va évoluer avec le soutien du milliardaire libertarien Peter Thiel, qui finance son entrée dans le monde de la tech. En 2019, il assiste à la première conférence du mouvement « national-conservateur » (dit natcons), qui cherche à construire une base intellectuelle plus solide, ultraréactionnaire, voire illibérale, aux idées trumpistes. Vance se rallie officiellement à celui qui est alors l’ex-président lors de la campagne pour les élections de mi-mandat de 2022. Grâce au soutien de ce dernier, il brigue et obtient le siège de sénateur de l’Ohio. Enfin, à l’été 2024, Donald Trump le choisit pour la vice-présidence.

Au sein du courant conservateur autour de Trump, Vance est aujourd’hui un pur et dur. Converti au catholicisme comme un certain nombre d’ultraconservateurs américains, il est loin d’être un cynique, à la différence de l’ex-conseiller Steve Bannon. Bien qu’il soit sur la même ligne politique que Vance, ce dernier a, par exemple, reconnu que certaines thèses complotistes étaient fausses, mais efficaces. La radicalité idéologique du vice-président est manifeste dans son discours de Munich. Vance y dénonce bien entendu l’immigration incontrôlée en Europe, mais aussi, et de manière plus nouvelle, la remise en question de la liberté d’expression sur le Vieux Continent.

En effet, tandis que les Américains ont placé le respect de ce principe dans leur tout premier amendement, les Européens, instruits par les épisodes historiques du XXe siècle, sont plus vigilants sur les appels à la haine et à la violence politique et les restreignent par la loi. Ainsi Vance dénonce-t-il dans l’annulation de l’élection présidentielle en Roumanie ou dans la protection des cliniques où sont pratiqués des IVG au Royaume-Uni des attaques contre la liberté d’expression qui traduisent à ses yeux une véritable décadence morale de l’Europe. Il est ironique de constater qu’il reprend là une antienne du discours russe, sans toutefois s’émouvoir des atteintes à cette même liberté d’expression en Russie.

Indifférence au monde extérieur
Les propos de Vance viennent donc confirmer qu’il y a désormais deux Occidents, divisés non pas tant en termes géographiques – l’Europe contre les États-Unis – qu’en termes idéologiques : à l’Ouest libéral s’oppose un Occident réactionnaire. Les forces des deux camps sont en effet présentes sur les deux continents : aux États-Unis, les démocrates n’ont pas perdu l’élection de 2024 de très loin (3,2 millions de voix de différence sur 153 millions de bulletins). En Europe, si les responsables modérés et libéraux restent en place à Bruxelles et dans une majorité de pays membres, les idées illibérales sont au pouvoir en Hongrie et en Slovaquie et présentes dans de nombreux partis d’opposition.

Dans sa condamnation de Munich, Vance semble animé avant tout par une colère de transfuge de classe contre des élites considérées comme condescendantes. Il perçoit ces Européens libéraux comme des démocrates, mais sur lesquels les trumpistes, qui ne peuvent les congédier par des élections, n’auraient pas de prise. Défendu par Bruxelles, Paris et Londres, Volodymyr Zelensky est le symbole de cette Europe bien-pensante qui exige des subsides et des armes de Washington.

L’attitude du vice-président envers l’Ukraine tient aussi à une autre de ses particularités. J. D. Vance revendique en effet une ascendance « Scotch-Irish » (« écossaise-irlandaise »), comme celle du président Andrew Jackson (1829-1837). Le terme fait référence à une population d’Écossais protestants déplacés en Irlande du Nord sous le roi Jacques Ier d’Angleterre (1566-1625) et dont une partie a réémigré en Amérique du Nord à partir du XVIIe siècle. Les Scotch-Irish se caractérisent par leur indifférence au sort du monde extérieur et la défense sourcilleuse de leur clan. Même si le président Trump semble tenté dans son nouveau mandat par un positionnement plus impérialiste, Vance reste sur une position jacksonienne : il avait déclaré dès l’invasion de la Crimée en 2014 et de nouveau après 2022 qu’il se moquait bien du sort de ce pays. Son attitude vindicative face à Volodymyr Zelensky le 28 février, son refus sans ambages de la suite du soutien américain à Kyiv [nom ukrainien de Kiev] montrent qu’il n’a pas changé d’avis.

La personnalité de J. D. Vance est d’une importance extrême. En tant que vice-président, il est le successeur immédiat de Donald Trump en cas d’incapacité de ce dernier. Et même si Trump reste évasif sur la personne qu’il pourrait soutenir lors des présidentielles de 2028, Vance compte évidemment s’y présenter, alors que l’agrégateur américain de sondages « 538 » voit son taux d’opinions favorables atteindre 41 % à la fin février.

 

Laurence Nardon est politiste, responsable du programme Amériques de l’Institut français des relations internationales (Ifri) et autrice de « Géopolitique de la puissance américaine » (PUF, 2024).

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Laurence NARDON

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