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Les Nations unies font les yeux doux à Gitega

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  Fabrice Manirakiza
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Un nouveau chapitre semble s’ouvrir entre les Nations unies et Gitega. Dans son rapport adressé au Conseil de sécurité, le Secrétaire général des NU, António Guterres, utilise un langage plus que conciliant. Ce qui ne plaît pas à l’opposition et à certaines organisations de la société civile. Relâchement ou stratégie de ramener Gitega à la table des négociations ? Les avis sont partagés.

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« Echec et mat pour l’opposition burundaise », analyse le chercheur Thierry Vircoulon, après la sortie du rapport du secrétaire général des Nations unies, António Guterres. Pour lui, l’opposition part perdante dans l’histoire. «Les Nations unies profitent d’une petite porte comme un changement à la tête du régime pour s’engouffrer dedans, car ils n’avaient pas beaucoup de marge de manœuvre », renchérit un autre observateur de la politique burundaise. Selon lui, l’ONU est désarmée face à la division du Conseil de sécurité. « A voir les différentes résolutions qui n’ont pas abouti à cause des vetos des Russes et des Chinois, ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas trouver un compromis. Ils s’adaptent à la situation. Il suffit de comparer les conclusions du rapport du Secrétaire général et celui de la commission Diène, une branche des Nations unies, il y a une grande différence. Les uns parlent d’évolution et d’autres du contraire. »

Pour cet activiste, la touche de Bintou Keita dans ce rapport est visible, car elle a été en poste à Bujumbura. « C’est l’enfant chérie du CNDD-FDD. Toutefois, l’ONU a échoué à contribuer positivement. Même la petite résolution d’envoyer les 228 policiers n’a pas abouti à cause du refus de Gitega. Elle avait déjà épuisé ses cartouches d’une part et l’apport de Bintou Keita compte aussi».

Que propose António Guterres ?

« Le Burundi est mû par une volonté forte et réelle d’opérer un changement positif. La communauté internationale a la possibilité d’aider le Gouvernement et le peuple burundais à tirer parti de cette dynamique, en les assistant activement dans la transformation souhaitée par le pays, tout en facilitant la réconciliation, la mise en place d’un système politique inclusif et la promotion des droits humains et des libertés fondamentales pour tous les Burundais et Burundaises. »

D’après lui, la disposition du président Evariste Ndayishimiye et du gouvernement burundais à collaborer avec les acteurs régionaux et internationaux est louable et contribuera grandement à la réalisation d’une réconciliation complète et de la transformation recherchée. « À cette fin, je réitère la détermination de l’Organisation des Nations unies à soutenir le gouvernement et le peuple burundais dans leur cheminement vers un avenir pacifique et prospère. » Selon M. Guterres, le processus électoral de 2020 a été considéré comme globalement pacifique « nonobstant quelques incidents de violence ouverte entre le parti au pouvoir et l’opposition ainsi que des allégations d’irrégularités. » Toutefois, poursuit-il, la situation demeure fragile. « Certaines parties prenantes ont fait part de leur préoccupation face au contrôle écrasant exercé par le parti au pouvoir, dans les institutions de l’État et à tous les niveaux de l’administration. Une autre préoccupation a été exprimée au sujet de la nomination de militaires et de policiers à des postes ministériels et des postes de gouverneur clés, qui est perçue comme une militarisation de l’administration. »

Malgré tout cela, l’Organisation des Nations Unies est prête à saisir cette occasion pour collaborer avec le gouvernement, ainsi qu’avec les Etats membres de la Communauté d’Afrique de l’Est, la Commission de l’Union africaine et d’autres partenaires internationaux, afin d’étudier les meilleurs moyens de continuer à promouvoir un processus de réconciliation nationale authentique et inclusif « en tenant compte de la préférence du président pour un processus de dialogue dirigé et contrôlé par le Burundi. » Dans la foulée, il recommande la prolongation du Bureau de l’Envoyé spécial pour le Burundi jusqu’au 31 décembre 2021. « Une telle présence reconfigurée des Nations Unies pourrait également encourager et soutenir, le cas échéant, un véritable dialogue sur les questions clés entre les autorités et les représentantes et représentants des groupes d’opposition, l’opposition interne et les membres de la diaspora, y compris celles et ceux qui sont en exil, ainsi que les dirigeantes et dirigeants de la société civile, en mettant l’accent sur la recherche d’un consensus pour la pérennisation de la paix, par la promotion de la réconciliation, de la cohésion nationale et de la construction et de la consolidation de la paix. » S’agissant de l’impasse dans laquelle se trouve le dialogue inter-burundais, propose le Secrétaire général des NU, une option pourrait consister à passer d’un dialogue inter-burundais dirigé par la Communauté de l’Afrique de l’Est à un dialogue dirigé et contrôlé par le Burundi, avec l’appui de l’Organisation des Nations Unies, de l’Union africaine et de la Communauté de l’Afrique de l’Est.

« Quant au rôle des Imbonerakure dans la sûreté et la sécurité publiques reste un point de controverse parmi les Burundais et Burundaises. Avec l’accord du Gouvernement, l’Organisation des Nations Unies pourrait aider les autorités à faire face à ces préoccupations, en apportant un soutien aux activités qui facilitent l’insertion socioéconomique des membres des Imbonerakure. Si besoin, des programmes spéciaux de collecte d’armes pourraient être conçus pour assurer une paix et une sécurité durables dans le pays et la région. »

Une dualité déconcertante

Nombre d’observateurs se posent des questions sur le fonctionnement du système des Nations unies. « J’ai le sentiment que les NU ont de nouveau la volonté d’avoir de bonnes relations avec les nouvelles autorités burundaises à voir les termes utilisés dans le rapport. On sent une volonté d’être conciliant. On a un rapport politique alors que la commission d’enquête sur le Burundi indique que la situation n’a pas évolué», souligne Clément Boursin, Responsable des programmes et plaidoyers Afrique au sein de l’ACAT France.

Selon lui, on remarque une certaine cacophonie au sein de la communauté internationale. « Il y a une dualité. La communauté internationale est divisée. »

Il prend acte que les Nations unies disent que les nouvelles autorités sont en train de mettre en place un système politique inclusif basé sur la promotion des droits de de l’Homme, nous prenons acte. « Nous allons juger sur les actes. On aimerait par exemple voir dans l’immédiat les journalistes et les défenseurs des droits de l’Homme injustement et arbitrairement emprisonnés libérés. Les enquêtes des disparitions forcées comme celle de Jean Bigirimana et Marie Claudette Kwizera soient menées et les responsables traduits en justice. Les organisations des droits de l’Homme nationales et internationales admises à travailler au Burundi. On attend les gestes des autorités. Pour le moment, ces gestes ne sont pas visibles».

Pour lui, le gouvernement a besoin d’ouverture et le retour des aides. Il a mis en place un plan national de développement, souligne-t-il, c’est pourquoi il demande à ce que la situation burundaise ne soit plus débattue au conseil de sécurité. Il souhaite que la suspension de l’aide budgétaire soit levée. Il souhaite que les grandes entreprises et autres bailleurs reviennent. Mais, d’après lui, il faut qu’en contrepartie il y ait une amélioration des droits de l’Homme. « On voit que le gouvernement a un besoin urgent d’argent et de reconnaissance. Si la communauté internationale joue bien le jeu, elle peut permettre aux Burundais de se réconcilier. Il faut rester vigilant. »

Toutefois, poursuit-il, il y a une proposition qui a semblé incohérente. « Un dialogue dirigé par les autorités burundaises. Elles font partie de la crise. Je suis étonné. »

Pour le juriste et défenseur des droits de l’Homme, Gustave Nzeyimana, il faut distinguer le siège politique de l’ONU, donc, le Secrétariat général et le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme. « A New York, c’est souvent des décisions et rapports à caractère politique qui se manifestent beaucoup plus et ces décisions ou rapports n’interfèrent pas aux décisions prises à Genève en matière des droits de l’Homme. Le 6 octobre 2020, le Conseil des Droits de l’Homme a pris la résolution du renouvellement de la Commission d’enquête onusienne sur le Burundi étant donné qu’il s’était rassuré de la dégradation du respect des droits de l’homme au Burundi. » Pour lui, ce rapport ne pourra pas remettre en cause la matérialité des faits de non-respect des droits de l’homme déjà établi par le Conseil des droits de l’Homme. Il pense que ce rapport est inhérent à une approche douce du Secrétaire général des NU à l’égard du Burundi afin de pouvoir susciter des pourparlers ou dialogue entre le gouvernement et les opposants politiques. « Eu égard du comportement du Burundi de 2015 à 2020, l’approche de l’ONU risque d’accoucher d’une souris. » C’est aussi l’avis de Thierry Vircoulon : «L’ONU caresse tout le monde dans le sens du poil. Est-ce que ça change quelque chose ? »

Toutefois, une épine dans le pied de Gitega

Un bémol, pas de demande de retrait du Burundi sur l’agenda du Conseil de sécurité. Un retrait qui tient à cœur Gitega. « C’est difficile de retirer le Burundi de l’agenda du Conseil de sécurité alors qu’une branche des Nations unies continue de dire que les crimes continuent. C’est le seul obstacle qui reste», indique un observateur de la politique burundaise Selon lui, c’est une épine dans le pied du gouvernement burundais. « Le pays est fiché comme un pays non fiable. Même les investisseurs sont réticents à placer leur argent. Ils doivent être sûrs que le pays est politiquement stable. De plus, le risque de sanctions est réel, car c’est un cas qu’on suit périodiquement de peur qu’il bascule dans les violences extrêmes. » D’après lui, le fait que Gitega demande et redemande de ne plus figurer sur l’agenda, c’est qu’il est conscient de cette épée de Damoclès.

Le gouvernement burundais n’a pas voulu réagir sur le rapport. « Pas de commentaire », a répondu Prosper Ntahorwamiye, Secrétaire général et porte-parole du gouvernement.

 

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Thierry VIRCOULON

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Chercheur associé, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri

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