Les manifestations contre la politique « zéro Covid » peuvent-elles faire trembler le régime chinois ?
Après d’importantes mobilisations dans de nombreuses villes du pays ce week-end, les autorités ont allégé ce lundi plusieurs restrictions sanitaires à Urumqi, la capitale de Xinjiang. Décryptage avec Marc Julienne, chercheur à l’Ifri.
A Shanghaï, Pékin ou encore Wuhan, des centaines de personnes sont descendues dans les rues, samedi 26 et dimanche 27 novembre. Répondant à des appels sur les réseaux sociaux, les manifestants ont exprimé leur mécontentement face aux restrictions sanitaires mais aussi plus largement à la censure et au manque de liberté en Chine.
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Pour Marc Julienne, chercheur responsable des activités Chine au Centre Asie de l’Institut français des Relations internationales (Ifri), ce mouvement pourrait déstabiliser le contrat social qui régit la société chinoise. Entretien.
Le drame d’Urumqi, capitale de la province du Xinjiang où un incendie a fait dix morts jeudi 24 novembre, a été l’incident de trop pour la population chinoise. Pourquoi ?
L’incendie a été un événement très choquant pour l’opinion publique. Ça a été la goutte d’eau pour les Chinois parce qu’une nouvelle fois, la politique « zéro Covid », pourtant censée protéger la population, est responsable de victimes. Les secours n’ont pas pu entrer assez vite : l’immeuble étant confiné, la porte était scellée. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Je pense par exemple à un accident de bus qui a coûté la vie à 27 personnes envoyées en quarantaine fin septembre [dans les montagnes du Guizhou]. Sans compter les suicides de gens qui n’ont pas supporté le confinement.
Un autre élément peut expliquer pourquoi les mobilisations ont pris de l’ampleur aujourd’hui : la Coupe du Monde de Football au Qatar. Jusqu’à présent, les Chinois n’avaient accès qu’à des informations totalement filtrées et contrôlées par les autorités, ils avaient l’impression que leur pays était un modèle de gestion de la crise sanitaire. Voir à la télévision des milliers de supporters des quatre coins de la planète réunis dans des stades sans masque a été un énorme choc. Ils ont pu prendre conscience que la Chine n’était pas un modèle mais, au contraire, le dernier pays à maintenir des politiques aussi drastiques, sans résultat ni issue.
Ces mobilisations sont exceptionnelles du fait de leur ampleur. Quelle catégorie de la population manifeste son mécontentement ?
De par son ampleur, le mouvement peut être comparé à la mobilisation étudiante de 1989 sur la place Tiananmen à Pékin. Mais ce qui en fait un mouvement assez exceptionnel, c’est qu’il mobilise différentes catégories sociales et classes d’âge. Des étudiants mais aussi des ouvriers et des urbains plutôt aisés sont descendus dans la rue.
Vous parlez de 1989. Peut-on comparer les deux événements ?
Ces deux mouvements sociaux ont pour point commun une contestation qui vise le Parti communiste et le modèle politique de la République populaire de Chine. En 1989, les manifestants souhaitaient une politique plus libérale, revendiquaient plus de droits et de libertés. Les griefs étaient adressés directement au PCC. Aujourd’hui, les critiques visent aussi le parti et son secrétaire général, Xi Jinping. Au-delà des plaintes concernant les restrictions sanitaires, c’est la politique du leader chinois qui est ouvertement dénoncée. C’est rarissime.
La répression des émeutes en 1989 avait causé la mort de milliers de personnes. Faut-il craindre la même réaction de la part du régime aujourd’hui ?
C’est la grande inconnue. Cela fait seulement deux jours que le mouvement a débuté, on ne sait pas s’il va s’amplifier ou s’affaiblir, quelle sera la réaction des autorités, quelles seront les mesures prises par le parti au niveau central et comment elles seront mises en œuvre au niveau local…
Ce lundi, les autorités ont allégé plusieurs restrictions contre le Covid à Urumqi, la capitale de la région du Xinjiang. Le gouvernement est-il en train de céder face aux manifestants ?
Il est possible que cette décision soit un signe d’inflexion destiné à apaiser les tensions. Mais il faudra suivre la manière dont sont appliquées ces mesures « assouplies ». Il est possible, probable même, que ça ne dure pas.
Les autorités chinoises sont prisonnières de leur propre politique « zéro Covid ». La population est mal protégée par un vaccin insuffisamment efficace et la couverture vaccinale est trop faible. Seuls 69 % des plus de 60 ans ont reçu les injections de vaccin anti-Covid. C’est très peu pour la tranche de population la plus vulnérable. Abandonner aujourd’hui le « zéro Covid », ce serait risquer une reprise épidémique très importante, une explosion du nombre de cas, des hôpitaux débordés et un nombre de morts conséquent. Pour des raisons de stabilité sociale, les autorités ne peuvent pas se le permettre.
L’option la plus logique et la plus raisonnable serait d’acheter des vaccins à ARNm étrangers, mais Pékin ne parvient pas à s’y résoudre. Ce serait un aveu d’échec, la remise en cause de la légitimité des mesures du gouvernement depuis trois ans et donc de Xi Jinping. Ce serait admettre qu’il fallait adopter cette solution il y a bien longtemps, et qu’en attendant c’est la population chinoise qui a payé le prix.
Ces manifestations peuvent-elles déstabiliser le pouvoir en place ?
En Chine, les relations entre le Parti communiste et la société reposent sur un contrat social implicite. Les citoyens ne s’occupent pas de politique, qui est le monopole du parti. En échange, il garantit au peuple la prospérité économique, la sécurité physique et des perspectives de vie qui s’améliorent de génération en génération.
Ce contrat est relativement stable depuis le début des années 1980, après l’accession au pouvoir de Deng Xiaoping. Mais, aujourd’hui, les sinologues anticipent une érosion de cet accord tacite. L’économie n’est plus aussi vaillante et les jeunes générations ne bénéficient pas de perspectives aussi engageantes que celles de leurs parents. Au contraire, le chômage chez les jeunes est très élevé. Et le Covid a accéléré cette tendance. Ce qui se joue aujourd’hui, dans ces manifestations, c’est la remise en cause de ce contrat social.
Quels scénarios peut-on envisager pour la suite ?
C’est très difficile à dire pour le moment. La mobilisation peut continuer à enfler si les gens se sentent galvanisés, et cela dépendra de la réponse du gouvernement central : entre brutalité ou négociation. En ce qui concerne l’avenir du PCC et de Xi Jinping, tous les scénarios sont possibles : le renversement du contrat social et l’effondrement du parti, une répression du mouvement très dure qui permettra au parti de retrouver un plein contrôle du pays ou l’entrée dans une phase de négociations entre le PCC et la population.
>> Retrouver l'entretien en intégralité dans L'Obs
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