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Les chars Leopard et le leadership en Europe

Interventions médiatiques |

interviewé par Sandrine Blanchard pour

  Deutsche Welle (DW)
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L'envoi de chars lourds allemands en Ukraine dépasse le simple aspect de l'équipement militaire, il y va aussi du rôle de l'Allemagne dans la défense européenne. Interview.

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Char de combat allemand Leopard 2A, Szczecin, Pologne, janvier 2022
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Mike Mareen/Shutterstock
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Les chars allemands Leopard 2 sont nombreux, en Europe, et donc facilement mobilisables. Mais l'Allemagne a longuement hésité à donner son accord à leur envoi en Ukraine par crainte d'une escalade militaire côté russe.

Interview d'Eric-André Martin, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (le Cerfa), à l’Ifri.
 

Pourquoi parle-t-on autant des chars allemand Leopard pour l'Ukraine ces derniers temps ?

Ce sont des chars de batailles, des chars lourds. Et ça correspond à un moment de la guerre où on arrive en limite des stocks issus de l’ex-armée soviétique puisque jusqu'à présent l'attrition des matériels utilisés par l'armée ukrainienne a été compensée par la fourniture de matériels d'origine soviétique dont disposaient encore des pays européens et membres de l'OTAN, en raison de leur histoire. Ce qui fait que, vu de l'extérieur, vu de la Russie en particulier, c'était invisible de savoir quelle était l'origine de ces blindés.

Aujourd'hui, il y a besoin de remplacer ces moyens, puisqu'on a épuisé les stocks de cette époque, par un nouveau matériel.

Il y a un deuxième élément, c'est le fait qu'on s'attend à une contre-attaque russe et qu’il faudrait mettre en face des équipements de qualité au moins égale, voire supérieure, à ceux dont disposeront les Russes.

Et le troisième élément, pourquoi des Léopard ? C'est parce qu'a priori, parmi les stocks disponibles en Europe, ce sont les stocks les plus importants.


 

Mais alors, encore une fois, pourquoi les Léopards allemands et pas les Challenger britanniques ou les chars Leclerc français ? C'est seulement parce qu'ils sont plus nombreux ?

Si on parle des Challenger ou des Leclerc, ces équipements sont disponibles en moins grande quantité. Et ensuite, si on devait les livrer, ça voudrait dire qu'on les prélève sur la substance des unités de ligne de l'armée française et de l'armée britannique, mais on ne pourrait pas les remplacer dans la mesure où ils ne sont plus fabriqués.


 

Qu'est-ce qu'il y a encore derrière cette question ? Parce qu'on voit bien qu’en Allemagne, la façon dont le débat est mené dépasse la simple question de l'armement. Il y a aussi une question de leadership européen, il y a une question d'influence…

La première question, c'est que l'Allemagne a jusqu'à présent traîné des pieds pour fournir des équipements défensifs à l'Ukraine. Elle est apparue comme refusant de prendre parti en conflit.

Deuxième élément, c'est que la doctrine traditionnelle de l'Allemagne est de ne pas fournir d'équipement à un pays en guerre, et donc elle est obligée pour cela de transiger avec sa doctrine traditionnelle.

Troisième élément, la question que chacun se pose, c'est de savoir dans quelle mesure les Russes considèreront qu'on franchit une nouvelle étape dans l'escalade de cette guerre et comment ils réagiront. Et est-ce qu’ils ne considérons pas que l'Allemagne est en train de rentrer dans une situation de co-belligérance ?

Et quatrième point, c'est le fait que l'électorat du SPD est traditionnellement très pacifiste.


 

Qui est le parti de Olaf Scholz, le chancelier, et l'un des trois partis de la coalition au pouvoir...

Oui, c'est ça. Donc le parti est plutôt pacifiste et, d'une manière générale, l'opinion allemande est aussi très divisée. Donc le chancelier Scholz fait quand même preuve de prudence dans la mesure où il s'agit d'une décision qui pourrait avoir des conséquences graves.

Ce qui rajoute une complexité supplémentaire à cette question, c'est le fait que les partenaires de la coalition sont très divisés sur cette question, puisque, quand madame Baerbock est venue à Paris et qu'elle a été interrogée lors du Conseil des ministres franco- allemand,  elle a dit que pour elle, elle ne s'opposerait pas à ce que l'Allemagne livre les Leopard 2 à l'Ukraine.


 

Vu de France, est-ce qu'il y a aussi l'idée selon laquelle, maintenant, c'est au tour de l'Allemagne aussi de "se mouiller" un peu plus, après sa prise de risques beaucoup plus mesurée, dans le Sahel par exemple, que ce qu'a pu opérer l'armée française ?

Disons que ce n'est pas le même conflit. Le Sahel, c'était un conflit où la France était engagée et où elle a essayé d'amener l'Allemagne et, à travers l'Allemagne, d'amener les autres Européens dans la mesure où c'était aussi leur sécurité qui jouait là.

Avec l'Ukraine, la situation est différente car c'est un conflit qui est en Europe, à quelques centaines de kilomètres des frontières et qui peut avoir des conséquences très directes dans la mesure où ça pourrait dégénérer, si les choses tournaient mal, en un conflit entre l'Alliance atlantique et la Russie. Tout le monde serait impliqué et, au premier chef, l'Allemagne.

Donc, si vous voulez, on est dans une autre situation. Mais effectivement, la question sous-jacente peut-être, vue du côté français, c'est de se dire que c'est le moment d'amener l'Allemagne à prendre plus de responsabilités internationales et à faire un effort supplémentaire dans le domaine de la défense - étant entendu que jusqu'à présent, elle a beaucoup économisé sur son appareil de défense dans ses dépenses militaires et que, peut-être que le temps est venu de changer cette politique et d'être beaucoup plus proactive et beaucoup plus solidaire, en tout cas plus manifestement et très directement solidaire avec ses partenaires et ses alliés.

 

>> Voir l'article sur le site de Deutsche Welle (DW)

 

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Éric-André MARTIN

Éric-André MARTIN

Intitulé du poste

Ancien secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l'Ifri

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Mike Mareen/Shutterstock