Le succès à double tranchant du programme spatial chinois, entre performance et isolement
Les Chinois ont progressé de manière spectaculaire dans le secteur spatial ces deux dernières décennies, les mettant en concurrence directe avec les Etats-Unis. Un long chemin qui n'est pas exempt de difficultés et d’obstacles majeurs.
« La Chine a un but de longue date : devenir une puissance spatiale majeure. » Et la trajectoire actuelle de l’empire du milieu dans le domaine spatial ne pas contredira Marc Julienne, directeur du centre Asie de l’Ifri et spécialiste de la politique et du spatial chinois. Ce dernier se développe à vitesse grand V avec une fiabilité et une efficacité remarquables, se montrant sur la scène internationale comme un acteur de poids.
La Chine joue sur tous les tableaux. Elle dispose de sa propre station spatiale en orbite autour de la Terre, Tiangong, finalisée en 2022 et habitée en permanence.
« Par rapport à la Station spatiale internationale (ISS), elle reste de petite envergure, mais c’est un projet significatif car la Chine l’a fait toute seule », commente Marc Julienne.
Le pays a également un programme martien, dont la mission Tianmen-1 a vu le robot Zhurong se poser sur la planète rouge le 15 mai 2021. La Chine est ainsi devenue le deuxième pays à réussir cet exploit derrière les Etats-Unis, devançant les Russes et les Européens.
L’empire du milieu est aussi en train de développer une constellation de satellites en orbite basse, Guowang, pour l’accès à Internet.
« La Chine cherche à ne pas se faire distancer et ambitionne de concurrencer Starlink, de SpaceX, avec une constellation prévue autour de 13.000 satellites », précise Marc Julienne. Les Chinois veulent aussi investir l’espace profond en lançant leur « Hubble », le télescope spatial Xuntian.
Un programme pas si récent
Mais la Chine a surtout un programme lunaire très ambitieux. La sonde Chang’e 4 a réalisé une première mondiale en se posant sur la face cachée de la Lune en janvier 2019. C’est le troisième pays, après les Etats-Unis et la Russie, à ramener des échantillons de roches lunaires avec sa sonde Chang’e 5. La Chine se positionne aussi sur les vols habités, en ambitionnant d’envoyer des hommes sur la Lune d’ici à 2030 et en développant un projet de station lunaire.
Si l’aboutissement des avancées spatiales les plus visibles (vols habités, dont le premier date de 2003, et missions lunaires et martiennes) est récent, le programme spatial chinois est en réalité « l’un des premiers au monde, explique Lucie Sénéchal-Perrouault, doctorante au CNRS, puisqu’il a été annoncé par Mao Zedong dès les années 1950 ». La famille de lanceurs Longue Marche, toujours utilisés aujourd’hui, a, elle, été lancée dans les années 1960. Mais le programme spatial chinois a été fortement ralenti lors de la révolution culturelle, qui a plongé le pays dans le chaos de 1966 à 1976. « Le programme survit bon an, mal an pendant cette période », détaille la chercheuse, avant de repartir après la révolution, conduisant aux succès actuels.
[...]
Une concurrence avec les Etats-Unis, vraiment ?
Les récents succès de la Chine conduisent à la mettre en concurrence avec les Etats-Unis, notamment sur leurs programmes lunaires.
« Les calendriers sont sensiblement les mêmes, décrypte Marc Julienne. Celui qui gagnera ne sera pas vraiment celui qui reposera en premier le pied sur la Lune. Le projet de long terme, c’est une station lunaire habitée. »
Mais cette compétition ne se joue pas à armes égales. La Chine est lourdement pénalisée par son exclusion de l’ISS et par la réglementation américaine Itar (International Traffic in Arms Regulations), qui interdit la vente de nombreux composants à certains pays, dont la Chine.
« Des pays qui développeraient des satellites ou une quelconque technologie spatiale avec des composants Itar ne peuvent pas les transférer à la Chine », détaille Marc Julienne.
L’empire du milieu développe donc son programme spatial sans pouvoir bénéficier des technologies des grandes puissances spatiales. Tous ces éléments posent « de sérieuses limitations au développement des activités spatiales de la Chine, complète Lucie Sénéchal-Perrouault. On joue beaucoup de cette menace et de cette rivalité, mais les Américains ont une très sérieuse longueur d’avance au regard des moyens économiques et politiques déployés depuis soixante ans. »
La Chine « n’a pas non plus rassemblé un pôle de puissance spatiale autour d’elle », selon Marc Julienne.
Pour les missions lunaires, les Chinois ont IRLS (International Lunar Research Station), « un programme conjoint avec la Russie, signé en 2021 et ouvert aux coopérations internationales, expose le chercheur. Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie a transformé cette dernière en un partenaire toxique, dissuadant un grand nombre d’États de participer à ce projet. Quelques-uns ont signé des accords [notamment la Biélorussie, le Pakistan et le Venezuela], mais les pays en question ne sont pas des grandes puissances spatiales, loin de là. D’un point de vue technologique, leur contribution est totalement marginale, voire inexistante ».
Pour Lucie Sénéchal-Perrouault, il faut donc nuancer la notion de compétition et de concurrence entre la Chine et les Etats-Unis : « Les premiers à parler de menace spatiale chinoise, ce sont les Américains, dès les débuts du programme spatial chinois dans les années 1950, ce qui s’inscrivait dans le traumatisme de Spoutnik et la menace nucléaire. Le discours s'adoucit dans les années 1970, avec le rapprochement sino-américain sous Nixon. La réthorique de la menace chinoise revient dans les années 1990, quand l'URSS s'effondre et que l'ennemi principal des Américains n'est plus opérant. »
Le spatial, un enjeu politique majeur
Il ne faut tout de même pas perdre de vue que le spatial est un enjeu majeur pour un pays et que la Chine a bien conscience de l’impact d’un programme performant, notamment sur le plan militaire en cas de conflit.
« Vu les capacités spatiales américaines, la Chine ne peut pas rester trop en arrière, au risque de laisser une longueur d’avance à ses adversaires, pose Marc Julienne. Et dans l’hypothèse d’une guerre de haute intensité dans les années qui viennent entre la Chine et les Etats-Unis, ou du moins entre la Chine et Taïwan, le domaine spatial est devenu extrêmement important, notamment pour la capacité de renseignement et de surveillance ou pour le guidage de certains missiles ou avions. »
Outre l’aspect militaire, le spatial a aussi une dimension politico-économique, notamment sur les services spatiaux qui sont commercialisés.
« Quand vous avez le monopole, quand vous fournissez une infrastructure de télécommunications, par exemple, le pays et les sociétés qui utilisent cette infrastructure dépendent de vous, d’une certaine manière, puisque c’est vous qui contrôlez cette infrastructure », démontre le directeur du centre Asie de l’Ifri.
Et l’enjeu politique est aussi interne : le programme spatial chinois revêt une dimension de prestige en interne. « Le nationalisme est la corde sensible sur laquelle joue Xi Jinping. Le fait que la Chine devienne une grande puissance spatiale, c’est la démonstration auprès de la population et des membres du parti de la grandeur de la nation. » C’est d’autant plus vrai avec les programmes habités et les programmes lunaires, qui servent à « inspirer les jeunes », selon Lucie Sénéchal-Perrouault. « Les enfants se disent : “plus tard, je serai astronaute”, donc ils vont s’orienter vers des études scientifiques, et c’est ce qu’on veut pour le pays », conclut la chercheuse.
>> Retrouver l'article en intégralité sur le site de 20 Minutes
Média
Partager