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Le Moyen-Orient selon Joe Biden : rupture ou continuité ?

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Le futur président américain n’a pas annoncé de changements majeurs dans la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient, à part le retour, sous conditions, à l’accord sur le nucléaire iranien. On peut s’attendre toutefois, selon le diplomate Denis Bauchard, à quelques ajustements, dans un climat plus apaisé. Le lien privilégié avec Israël devrait être maintenu, même si le plan de paix de Donald Trump cesse d’être une base de référence. De même, la relation spéciale avec l’Arabie saoudite devrait se poursuivre.

Contenu intervention médiatique

Après quatre années de présidence Trump, la politique américaine au Moyen-Orient, malgré son caractère quelque peu chaotique, ici comme ailleurs, relevait d’une certaine continuité avec un désengagement assumé de la région et une alliance avec Israël portée « à des sommets sans précédent », pour reprendre l’expression utilisée par Benjamin Netanyahou. Le futur président Joe Biden va-t-il imprimer sa marque et infléchir une politique marquée par une perte d’influence au profit de la Russie ?

Avant de répondre à cette question, il convient de rappeler dans quel contexte Joe Biden va prendre ses fonctions. Comme toute nouvelle administration, le président démocrate aura à nommer près de 4000 cadres, les political appointees, dont une partie, environ 800, doit être confirmée par le Sénat. Ce processus est toujours lent et le sera cette fois-ci d’autant plus que le Sénat restera sans doute à majorité républicaine. La définition d’une nouvelle politique, intérieure comme étrangère, qui exige une concertation inter-agences, va demander du temps. Il est clair que la priorité du nouveau président est la politique intérieure, notamment la réconciliation des Américains profondément divisés, la lutte contre la pandémie et la relance de l’économie. S’agissant de la politique étrangère, la priorité sera à l’évidence de répondre au défi posé aux Etats-Unis par une Chine superpuissance qui conteste son leadership. Le Moyen-Orient n’aura pour la nouvelle administration qu’une importance marginale.

Promotion de la démocratie

Comme il l’a laissé entendre à la fois dans l’article publié dans Foreign affairs, en mars 2020, et dans une interview à CNN le 13 septembre dernier, le futur président élu n’a pas annoncé de changements majeurs au Moyen-Orient à part le retour à l’accord de Vienne de 2015 avec l’Iran, mais sous certaines conditions. Il est vrai que le désengagement des Etats-Unis de cette région, au profit du pivot vers le Pacifique, a été largement amorcé par Barack Obama. De même, si les relations personnelles de ce dernier avec Netanyahou ont été exécrables, il n’a pas ménagé ses efforts en faveur d’Israël, en augmentant substantiellement l’aide militaire américaine et en renonçant à faire pression sur Netanyahou pour reprendre un processus de paix moribond.
En revanche, la réaffirmation du programme traditionnel des démocrates en faveur de la promotion de la démocratie et des droits de l’homme peut inquiéter certains autocrates de la région. L’annonce d’un « sommet mondial de la démocratie » pour lutter contre la corruption et les techniques de surveillance intrusives, de même que l’autoritarisme, va dans ce sens. Il est peu probable que l’aile gauche du parti démocrate puisse influer sur cette ligne, en particulier sur la question palestinienne. Si la continuité devrait prévaloir, il est clair que le style sera différent et que l’on peut espérer que le dialogue et la concertation avec les pays de la région comme avec ses alliés européens prévaudront. Mais cette continuité n’empêchera pas certaines inflexions.

Le lien avec Israël

L’excellence de la relation avec Israël ne sera pas affectée de façon significative, même si pour Benjamin Netanyahou l’élection de Biden est un échec personnel. Dans son tweet de félicitations au président élu, envoyé avec un jour de retard, il l’a qualifié de « grand ami d’Israël ». Il est évident que le transfert de l’ambassade à Jérusalem, considérée comme la capitale d’Israël, et la reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le Golan ne seront pas remis en cause. L’aide militaire à Israël restera à un niveau élevé en préservant la supériorité qualitative de son armement par rapport à celui fourni aux Etats arabes. De même la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes, que Joe Biden avait déjà saluée, sera encouragée. En revanche, le « deal du siècle » ne sera sans doute plus considéré comme une base de référence et l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie devrait rencontrer l’opposition de la nouvelle administration. Le dialogue reprendra avec l’Autorité palestinienne et les financements à l’UNRWA seront de nouveau assurés. Mais aucune initiative ne sera prise pour faire avancer la solution de la question palestinienne.

Relation spéciale avec l’Arabie saoudite

Dans le Golfe, la relation privilégiée avec les familles régnantes devrait se poursuivre mais celles-ci continueront de s’interroger sur la réalité de l’engagement américain en faveur de la sécurité et l’intégrité de leur pays. Il est probable qu’il y aura un froid avec l’Arabie saoudite, tout au moins avec Mohamed Ben Salman dont le comportement dans l’affaire Khashoggi avait été jugé sévèrement par les médias américains et le congrès, très hostiles à l’égard de l’Arabie saoudite depuis le drame du 11 septembre. Le cas de Loujain al-Lathoul, emprisonnée pour critique du régime et activisme féministe, pourrait être évoqué. En outre les démocrates critiquent fortement l’intervention militaire au Yémen et ses conséquences humaines. Il est probable que Joe Biden incitera MBS à faire la paix et retirera de la war room les officiers américains qui s’y trouvaient déjà durant la présidence Obama.
Cependant la relation spéciale avec l’Arabie saoudite se poursuivra, même si les Etats-Unis s’approchent de l’indépendance énergétique, compte tenu de l’importance de leurs intérêts dans le Royaume. Mohamed Ben Zayed, dirigeant de fait des Emirats arabes unis, apprécié à Washington, conservera son influence. Mais il sera invité fermement à se réconcilier avec le Qatar. Il est peu probable en revanche que le MESA – The Middel-East Stratégic Alliance –, qualifiée d’Arab NATO, créée en 2017, en fait une coquille vide sans participation européenne, survive au départ de l’administration républicaine.
Le nouveau président s’intéressera à l’Irak pour essayer d’y contrer l’Iran et ses proxies comme le Hezbollah et lutter contre les djihadistes résiduels encore nombreux. Le désengagement se poursuivra sans doute de façon progressive tout en y laissant quelques éléments armés. Il est peu probable qu’une initiative quelconque soit prise sur la Syrie où, selon les dires d’Obama, aucun intérêt majeur américain n’est menacé. Il en est de même avec l’Egypte, dont le président Sissi pourrait se voir reprocher sa politique répressive. Il n’y aura aucun appétit à intervenir en Libye, pays en anarchie persistante.

De l’Iran à la Turquie

Quant à l’Iran, le président Biden critique « l’échec dangereux » de la politique des « pressions maximum » de son prédécesseur qui a violé un accord signé engageant les Etats-Unis. Il annonce qu’il sera également ferme, mais « there is a smart way to be tough », visant ainsi la façon dont Trump a géré le dossier. Il indique clairement, dans son interview à CNN, que ce retour ne se fera pas sans conditions. Après avoir réaffirmé « son engagement inébranlable à empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire », il se dit décidé « à rejoindre l’accord comme un point de départ pour des négociations » destinées à le renforcer et à y inclure « d’autres dossiers de préoccupations ». Il devra cependant rassurer Israël et ses relais à Washington sur sa fermeté. En outre il a confirmé que les sanctions liées au non-respect des droits de l’homme seront maintenues.
Du côté iranien, le contexte a changé : les élections législatives de mars 2020 ont montré l’influence croissante des éléments les plus conservateurs et des gardiens de la révolution alors que la position du président Rohani s’est considérablement affaiblie. On n’a pas oublié non plus que, même dans les quelques mois d’application sous l’administration d’Obama, les transferts financiers restaient très difficiles compte tenu de l’attitude très restrictive de l’OFAC, l’organisme chargé à Washington du suivi des sanctions. Des conditions ont également été mises du côté iranien, notamment la levée immédiate des sanctions et des compensations pour le dommage subi en raison de la dénonciation de l’accord par Donald Trump. Le Guide, lui-même, ne cache pas son hostilité à toute reprise des négociations. Ainsi, un retour rapide dans l’accord est peu probable, voire problématique et les sanctions américaines, à portée extra territoriale, dommageables pour les entreprises européennes, continueront à s’appliquer.
Le président Erdogan est sans doute l’un des dirigeants qui a accueilli avec le moins d’enthousiasme l’élection de Joe Biden. En effet, malgré la position du département d’Etat et du Pentagone, Donald Trump entretenait avec Erdogan des relations personnelles excellentes, voire complaisantes. Il est probable que ces relations se durciront avec la nouvelle administration, qui sera plus sourcilleuse de son attitude dans le domaine des droits de l’homme et de sa proximité avec la Russie de Poutine. La perspective de sanctions peut être de nouveau envisagée.

Champ libre à l’influence russe

Au total, il y aura, sous réserve de quelques ajustements, mais dans un climat plus apaisé, une continuité dans la politique américaine. On passera de la diplomatie du tweet à une politique étrangère définie et mise en œuvre de façon professionnelle. Le désengagement signifie que le champ libre donné déjà par Obama à l’influence russe sera confirmé, même si les Etats-Unis garderont encore des bases militaires dans la région et continueront d’y être présents économiquement. Leur ancrage avec Israël et l’Arabie saoudite, avec lesquels ils ont des relations privilégiées, sera maintenu La situation pourrait changer, si la Chine, qui a déjà placé ses pions au Moyen-Orient, sur le plan économique mais également stratégique, avec la nouvelle route de la soie, devait apparaître comme une réelle menace contre les intérêts américains. En toute hypothèse l’Europe et donc la France, devraient profiter de ce désengagement pour y promouvoir leurs intérêts.
Il reste à souhaiter que, pendant les deux mois qui nous séparent de la prise de fonction du nouveau président, Donald Trump, qui n’a toujours pas concédé sa défaite, ne prenne pas des initiatives perturbatrices dans cette zone hautement inflammable.

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Denis BAUCHARD

Intitulé du poste

Conseiller, Programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri