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« Le monde actuel est structuré par le partenariat-rivalité sino-américain »

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interviewé par

  Yves Bourdillon
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Thomas Gomart, directeur de l'Ifri, auteur notamment de « L'affolement du monde » (éditions Tallandier), estime que 75 ans après Yalta, le système de relations internationales doit s'adapter à l'émergence de nouvelles puissances.

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Que reste-t-il de Yalta aujourd'hui ?

Yalta a été  la matrice d'un nouvel ordre international fondé sur les rapports de forces nés de la Seconde Guerre mondiale. Cette conference met en scène le passage d'un système dominé par des puissances coloniales, symbolisé par un Royaume-Uni vainqueur mais en déclin et une France défaite en 1940, à un duopole URSS - Etats-Unis, sans oublier la Chine indépendante. C'est aussi la transition du système de sécurité collective de la SDN, qui s'était révélé inefficace pour prévenir des conflits, à celui de l'ONU, qui prend en compte les équilibres de puissance. Le système onusien considère que tous ses membres sont égaux mais que « certains sont plus égaux que d'autres », les membres du Conseil de sécurité avec droit de veto. Ce qui reflète les rapports de puissance, notamment  avec les Etats dotés de l'arme nucléaire.

 

Yalta n'a donc pas vraiment été un partage du monde ?

C'est un mythe d'abord français, véhiculé par la mémoire du général de Gaulle qui n'a jamais accepté de ne pas y avoir été invité. Cela a été corrigé plus tard  à la conférence de San Francisco créant l'ONU , où la France est devenue membre permanent avec droit de veto, grâce au brio diplomatique de Gaulle et à l'insistance de Churchill. Ce dernier avait compris, au vu de l'émergence d'une menace soviétique et de l'effondrement de l'Allemagne, que son pays aurait besoin de s'appuyer sur, la France, à qui il fallait laisser un rôle  conforme à son Histoire et sa géographie. Pour Churchill, la stabilité de l'Europe passait par la restauration de la puissance française.

A ce sujet, quelque chose vient de se jouer avec le Brexit. Fondamentalement, les Britanniques se considèrent comme des vainqueurs, ils  quittent un projet politique dans lequel ils étaient mal à l'aise, une construction qu'ils ont toujours considéré comme une alliance entre les vaincus de 1940, la France, de 1943, l'Italie, et de 1945, l'Allemagne. Ils se repensent aujourdhui comme une puissance classique, après un intermède de 47 ans. Pour autant, le Brexit ne devrait pas, selon moi, constituer une rupture en ce qui concerne les questions de sécurité. Dans ce domaine, l'Europe a besoin du Royaume-Uni et réciproquement. Il serait  d'ailleurs utile d'envisager  une initiative commune de Paris, Londres et Berlin. Le Royaume-Uni restera en tout état de cause un partenaire privilégié de la France, en la matière,  dans la lignée du traité de Lancaster House de 2010  prolongeant le traité de Dunkerque de 1947.

 

Quel serait un Yalta adapté à la situation contemporaine ?

Il tiendrait compte du nouveau poids de Moscou, moins important que celui de l'URSS, ainsi que de la montée en puissance de la Chine, dont il faut rappeler que le siège au Conseil de sécurité a été occupé par Taïwan jusqu'en 1971. Le monde actuel est largement structuré par le partenariat-rivalité sino-américain. Depuis quarante ans, l'évolution du système onusien s'explique en majorité par la montée en puissance de la Chine, qui joue à la fois le multilatéralisme et l'unilatéralisme en fonction des circonstances, comme une manière de conserver deux fers au feu. ll y a aussi un  débat sur la composition du Conseil de sécurité , qui ne reflète plus l'état du monde en termes économique et démographique : l'influence exercée par les trois membres permanents « européens », Royaume-Uni, Russie et France, est bien inférieure à celle qui était la leur en 1945. Paris soutient d'ailleurs l'ouverture du conseil à quatre nouveaux membres permanents, Allemagne, Brésil, Japon, Inde, la question étant de savoir s'ils auraient aussi un droit de veto.

Disons que le système onusien ne s'est pas encore adapté à la redistribution des cartes entraînée par l'émergence de nouvelles puissances. A noter toutefois que si le rapport de force entre pays industrialisés du G7 et ceux du E7 (émergents ; Chine, Russie, Turquie, Brésil, Inde, Mexique, Indonésie) est profondément modifié, les pays européens les défenseurs d'un système multilatéral ouvert, aujourd'hui remis en cause par la Chine, la Russie et surtout les Etats-Unis.

 

Copyright Yves Bourdillon / Les Échos

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