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Le Kremlin mettra-t-il vraiment les bouchées doubles contre Alexeï Navalny ?

Interventions médiatiques |

 citée par Caroline HAYEK pour L'

  Orient Le Jour
Accroche

L'unique opposant à Vladimir Poutine a été condamné à 30 jours de prison pour avoir organisé de nouvelles manifestations dans tout le pays.

Contenu intervention médiatique

Il n'en est pas à son premier coup d'essai. En quelques années, Alexeï Navalny, 41 ans, trublion de la scène politique russe, est parvenu à se hisser à la tête d'un mouvement contestataire de grande ampleur engagé contre la corruption des élites. Après plusieurs manifestations importantes les trois derniers mois, dont une à la portée inédite, le 26 mars, où de milliers de jeunes Russes, de l'enclave de Kaliningrad à Vladivostok, sont descendus dans la rue, en réaction à un rapport compromettant pour le Premier ministre Dmitri Medvedev, l'opposant et blogueur anticorruption a récidivé le lundi 12 juin, jour de la fête nationale russe.

Les protestations à Moscou devaient se tenir à l'extérieur du centre, conformément aux autorisations du Kremlin, mais ces dernières ont été déplacées au dernier moment vers la rue centrale et hautement symbolique de Tverskaya. La foule a scandé « La Russie sans Poutine » et les forces antiémeute ont embarqué les manifestants par cars entiers. Plus de 1 700 personnes ont été interpellées sur tout le territoire, 522 condamnées. Le fer de lance de l'opposition a quant à lui été arrêté à son domicile avant le début de la manifestation et s'est vu condamner à trente jours de détention. Un énième passage par la case prison qu'il n'a pas manqué de railler sur Twitter. « Non seulement ils ont volé tout le pays, mais en plus à cause d'eux je vais manquer le concert de Dépêche Mode à Moscou » prévu début juillet, a ironisé Alexeï Navalny.

Tête brûlée
Cet avocat et activiste politique a réussi, à lui seul, à ébranler jusqu'aux plus hautes sphères. Fils d'un militaire et d'une économiste, il va se faire remarquer en 2011 en établissant la Fondation anticorruption et en lançant son blog, Navalny, et le site Rospil. Ses prises de position contre les élites et la dénonciation de multiples détournements de fonds vont faire de lui le « Erin Brokovitch russe », comme le surnommera le Times. En février 2011, il pousse l'affront un peu plus loin en qualifiant le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, de « parti des voleurs et des escrocs ».

Après plusieurs années à jouer les trouble-fêtes, Alexeï Navalny compte bien en découdre avec l'indéboulonnable chef de l'État, face auquel il espère pouvoir se présenter lors de la prochaine élection présidentielle de 2018. Même s'il apparaît aujourd'hui comme l'unique alternative face à Vladimir Poutine (qui maintient le suspense sur une nouvelle candidature), notamment depuis la mort de Boris Nemtsov en février 2015, ses chances de détrôner l'autoproclamé tsar restent extrêmement minces. Se mesurer au président ne l'effraie pas et il apparaît comme un « opposant crédible », car « il fait très peur au Kremlin », estime Xavier Follebouckt, chercheur à l'Université catholique de Louvain et spécialiste de la Russie, interrogé par L'Orient-Le Jour. « C'est quelqu'un de politiquement extrêmement intelligent, qui a réussi à rehausser sa stature, à se donner un profil politique tout à fait légitime », poursuit le chercheur.

Maître des réseaux sociaux
En prenant soin de ne jamais s'attaquer de manière frontale au chef de l'État, Alexeï Navalny tente « d'effriter toute la mécanique du pouvoir au Kremlin » en ne visant que les proches du président russe. L'opposant est surtout passé maître dans la communication à travers son habileté à manier les réseaux sociaux, réussissant par là à séduire un pan de la population adolescente ou jeune. « Alexeï Navalny s'exprime de manière extrêmement pédagogue, notamment sur les réseaux sociaux, à défaut d'avoir accès aux plateaux des télévisions toutes contrôlées par le Kremlin », rappelle M. Follebouckt. Sa capacité à séduire les masses et les jeunes internautes ne suffit pas à en faire pour autant un opposant crédible sur toute la ligne. Ses prises de position radicales, nationales et xénophobes, mais également sa difficulté à créer des alliances, pourraient lui desservir en tant que candidat. Même s'il affirme avoir recueilli plus de 500 000 promesses de signatures – 300 000 étant nécessaires pour se présenter à l'élection présidentielle – et ouvert 44 QG dans tout le pays, la course à la présidentielle risque d'être semée d'embûches.

Alexeï Navalny pourrait ne pas être autorisé à se présenter au scrutin, car se trouvant sous le coup d'une peine de cinq ans de prison avec sursis pour détournement de fonds. La dirigeante de la commission électorale russe, Ella Pamfilova, a d'ailleurs déclaré mercredi soir que l'opposant « n'a aucune chance d'être enregistré comme candidat à l'élection, étant donné sa condamnation ». Or, en vertu de la Constitution, un candidat sous le joug d'une procédure judiciaire peut se présenter tant qu'il n'est pas incarcéré. « Se faire enregistrer comme candidat à la présidentielle sera très difficile, Vladimir Poutine ayant complètement verrouillé le champ public », estime de son côté Tatiana Kastoueva-Jean, directrice du Centre Russie/NEI de l'IFRI (Institut français des relations internationales). « Les situations sont trop déséquilibrées pour l'un ou pour l'autre dans un système de dépendance totale de la bonne volonté des autorités », poursuit la chercheuse. « Même s'il ne gagnera jamais l'élection, et s'il est autorisé à se présenter, on verra un combat un peu plus excitant. Il s'agira de voir à quel point il peut ou pas mobiliser », précise M. Follebouckt, jugeant par ailleurs que le Kremlin fera « tout ce qu'il faut pour assurer la victoire de Vladimir Poutine, qui est assurée ».

 

Martyr
Hier soir, à la télévision russe, Vladimir Poutine a assuré être « prêt à dialoguer avec tous ceux qui désirent améliorer la vie des gens, à régler les problèmes, et non pas à utiliser les difficultés existantes pour leur propre communication politique », en référence à son opposant. Après l'émission, lorsqu'une journaliste de la BBC lui a demandé s'il voyait en Alexeï Navalny son principal adversaire, le président russe a d'abord accusé l'audiovisuel public britannique de « faire la propagande » de l'opposant, avant d'expliquer que les manifestations devaient rester « dans le cadre de la loi ».

Afin de contrer efficacement ce possible adversaire, le Kremlin risque devoir mettre les bouchées doubles : « Une répression sévère des manifestations pour faire peur aux gens, des conversations moralisatrices avec les étudiants dans les universités, des clips vidéo qui appellent à ne pas participer aux manifestations », précise Tatiana Kastoueva-Jean, qui estime ces mesures « ridicules face au mécontentement social qui s'accumule ». Pour Xavier Follebouckt, il est certain que l'appareil au pouvoir tentera de modérer l'influence d'Alexeï Navalny, « sans le faire taire totalement, au risque qu'il devienne un martyr et que cela provoque une réaction beaucoup plus forte ». Pour l'heure, les autorités « essaient de contrôler les circonstances afin de donner à la prochaine élection présidentielle le plus de légitimité possible », conclut le chercheur.

 

Lire l'article sur le site de l'Orient le jour

 

 

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Tatiana KASTOUÉVA-JEAN

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Directrice du Centre Russie/Eurasie de l'Ifri