Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

Le commerce mondial à la mer

Interventions médiatiques |

chronique parue dans la revue

  Études
Accroche

Depuis 2017, le commerce mondial connaît une décélération souvent expliquée par les mesures protectionnistes de l'administration Trump. Difficile, à ce stade, de dire si elle est simplement conjoncturelle. Nul doute, cependant, qu'un renversement s'est opéré en une décennie.

Image principale médiatique
thomas_gomart_ifri.jpg
Contenu intervention médiatique

En novembre 2008, le premier G20 soulignait « combien il est vital de rejeter le protectionnisme » pour conjurer la crise financière. En décembre 2018, Donald Trump tweetait fièrement « I am a Tariff Man ».

Ce renversement ne s'explique pas seulement par ses décisions, mais reflète une « crise systémique » du commerce international. Celle-ci est souvent appréciée à l'aune de ses effets institutionnels, notamment visibles à travers le blocage des mécanismes de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). En réalité, cette crise est bien plus profonde car elle correspond à une conversion du néolibéralisme en néomercantilisme : Washington et Pékin subordonnent leurs échanges commerciaux à leur rivalité stratégique et leurs politiques commerciales à leurs politiques de puissance. En se lançant dans une guerre commerciale avec la Chine et l'Union européenne (UE), guerre probablement plus facile à déclencher qu'à gagner, Trump oblige à repenser l'interdépendance, qui « n'est pas une décision de la volonté », comme le rappelait le prospectiviste Gaston Berger (1896-1960).

Dans ce contexte, toutes les connexions deviennent sensibles. Même si son coût ne cesse de diminuer, l'information est en train de devenir belligène dans la mesure où elle irrigue les chaînes de valeur transnationales. La connectivité devient décisive car elle permet l'intégration des fonctions, de la conception à la commercialisation. En 2018, la Chine devançait largement les États-Unis pour l'exportation de marchandises alors que ces derniers la devançaient largement pour l'exportation de services. Le commerce mute avec les plateformes numériques, qui font apparaître de nouvelles formes de concurrence et de domination. Si elle ne réagit pas, l'Europe court le risque de voir son marché unique devenir le lieu de rencontre de la demande des consommateurs européens et de l'offre des entreprises américaines ou chinoises calibrée par leurs plateformes numériques. Parallèlement, pour Washington comme pour Pékin, les justifications liées à la sécurité nationale primeront sur les règles multilatérales. Cette évolution pourrait bien déstabiliser l'UE, simple puissance commerciale, en particulier dans ses rapports avec la Chine.

Cette imbrication de la technologie et du commerce ne doit pas dissimuler l'importance des infrastructures physiques, en particulier portuaires. Rappelons-le, 87 % du commerce mondial transite par la mer. L'articulation entre les ports et le réseau ferroviaire est devenue un enjeu de compétitivité globale. Avec des marges faibles, le coût du transport devient un facteur primordial dans de nombreux domaines d'activité. Des politiques portuaires ambitieuses sont conduites par les États-Unis, l'Allemagne et la Chine. Dans le cadre de sa Belt and Road Initiative (BRI), cette dernière investit dans des ports européens, et plus seulement en Méditerranée. Les investissements chinois au Portugal lui permettent de disposer désormais de points d'appui sur la façade atlantique de l'Europe. À partir du XVIsiècle, les Portugais s'imposèrent en Asie grâce à leur politique de commerce, avec une stratégie qui ne cherchait pas tant la conquête de territoires que la maîtrise de points d'appui pour contrôler les flux. Cinq siècles plus tard, la Chine adopte une stratégie similaire. Faut-il y voir une simple contingence ou le signe, parmi d'autres, d'un retournement historique ?

L'avenir du commerce ne peut se concevoir sans prendre en compte les évolutions du sea power, qui implique des infrastructures, des capacités de projection mais surtout une vision globale. C'est un sujet essentiel pour les Européens au moment où la garantie de sécurité américaine, en particulier dans le domaine naval, est remise en cause. Le « basculement thalassocratique de la Chine »1 a été le principal élément de transformation du commerce international au cours des quatre dernières décennies, et va s'accélérer. Les Européens doivent donc se préparer à un commerce mondial régi de plus en plus par une thalassocratrie illibérale. Ce sera une rupture fondamentale de leur rapport au monde.

 

__________________

1 François Gipouloux, La Méditerranée asiatique. Villes portuaires et réseaux marchands en Chine, au Japon et en Asie du Sud-Est, XVIe-XXIsiècles, CNRS éditions, « Biblis », [2009] 2018, p. 375.

 

Voir l'article sur le site de la revue Études

 

Decoration

Média

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
Thomas GOMART

Thomas GOMART

Intitulé du poste

Directeur de l'Ifri