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Laurence Nardon: "L’Europe peut et doit compter avant tout sur elle-même"

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interviewée par Etienne BASTIN pour

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Alors que les États-Unis feront toujours plus de l'Asie le pivot de leur leadership mondial, les Européens doivent se prendre en main comme ils le font depuis le début de la guerre en Ukraine.

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Le président des États-Unis Joe Biden, Emmanuel Macron, président de la France et Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), Sommet de l'OTAN à Washington, 10 juillet 2024
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Qu’il s’agisse de leur puissance économique, financière, juridique, militaire et technologique; qu’il s’agisse aussi de leur attractivité et de leur influence en termes de soft power, les États-Unis sont toujours en position de leadership mondial.

C’est ce que montre dans son dernier ouvrage Laurence Nardon, docteure en sciences politiques et chercheuse à l’Ifri (Institut français des relations internationales). Et ce alors que, depuis les années 2000, les États-Unis sont confrontés à de nouveaux défis: émergence de la Chine comme acteur économique et géopolitique majeur, terrorisme, agressivité russe, sans parler de la nouvelle poudrière au Moyen-Orient.

Traversés de différents courants de pensée en matière de politique étrangère, dont l’autrice analyse les tenants et aboutissants et dont elle retrace l’histoire, l’avenir du rôle international des États-Unis n’est cependant pas tout tracé. Et dans ce nouveau contexte international, l’Europe peut et doit compter avant tout sur elle-même. Mais le désintérêt des États-Unis pour le lien transatlantique n’est sans doute pas définitif, car la pérennité de ce lien "tient avant tout à l’enseignement et à la pratique des valeurs des Lumières aux générations futures".

Quelle est la réponse des États-Unis au défi que représentent les Brics et leur élargissement progressif?

D’une part, c’est surtout avec la Chine et la Russie que les États-Unis sont en délicatesse. À leur égard, les Américains ont adopté des trains de sanctions ou des contrôles d’exportation notamment. D’autre part, avec la plupart des autres pays des Brics, ils maintiennent des liens bilatéraux. 

 

"Avec Trump, on verra sans doute le monde évoluer vers un ensemble de pôles de puissance, de sphères d’influence plus ou moins opposées." Laurence Nardon, chercheuse à l'Ifri

 

Plus généralement, la question, qui est celle du livre, est celle du rôle des États-Unis dans le monde et du message qu’ils veulent faire passer aux pays du Sud. Après une longue période d’affrontement Est-Ouest, nous sommes entrés dans un monde où de nouveaux antagonismes apparaissent et la question est de savoir si les États-Unis vont continuer à vouloir jouer le rôle de première puissance mondiale avec les responsabilités qui s’y rattachent. 
Avec Trump, la réponse est à peu près claire, c’est non. Avec lui, on verra sans doute le monde évoluer vers un ensemble de pôles de puissance, de sphères d’influence plus ou moins opposées, et plus ou moins indépendantes les unes des autres – mais pas totalement, car le commerce reste tout de même un facteur de stabilité.
 

Depuis Obama, les États-Unis ont adopté une attitude de plus en plus critique et protectionniste à l’égard de la Chine. On peut penser, par exemple, pour le passé récent, aux "Bidenomics" du dernier président. Cette attitude des Américains a-t-elle un impact sur l’économie chinoise?

Aux États-Unis, les débats autour de la position à adopter à l’égard de la Chine sont anciens. Dans les années 1990, ce sont les optimistes qui ont gagné et qui ont fait entrer la Chine à l’OMC, en misant sur les vertus du commerce. 

Une dizaine d’années plus tard, on s’est rendu compte que la Chine était devenue un adversaire dans différents domaines. D’Obama à Biden, un retournement s’est effectué et la Chine fait l’objet d’une méfiance croissante. La guerre douanière engagée par Trump ne s’est pas calmée avec Biden, au contraire, ce dernier a accentué des contrôles à l’exportation concernant les technologies de pointe comme les semi-conducteurs de nouvelle génération, que plus personne n’a le droit d’exporter vers la Chine. Celle-ci est donc dans l’embarras quant à la production de ces semi-conducteurs. Mais attention, car cette entrave peut aussi pousser la Chine à devenir totalement autonome.

Vous évoquez la notion de "dissuasion économique mutuelle assurée": de quoi s’agit-il?

Elle signifie que les économies américaine et chinoise sont à ce point imbriquées, sur le plan commercial comme sur le plan financier – puisque la Chine détient une large part de la dette américaine – que ces deux puissances ne peuvent pas vraiment se faire la guerre. Les Américains cherchent à se découpler de l’économie chinoise, notamment en rapatriant chez eux ou au Mexique des chaînes de valeur, mais cette politique reste marginale.

Plus globalement, quels sont les effets de la nouvelle politique d’endiguement menée par les États-Unis à l’égard de la Chine?

Cette politique d’endiguement à l’égard de la Chine s’appelle le "pivot vers l’Asie". Il s’agit pour les États-Unis de contenir l’expansion chinoise dans la région Indo-Pacifique par le biais d’une diplomatie tous azimuts qui consiste à nouer des alliances et à former des groupes de discussion. 

Ces alliances et ces groupes ont des objectifs différents: certains sont commerciaux, d’autres sont diplomatiques, d’autres encore sont sécuritaires ou militaires. Les Américains appellent cela un treillage – en français, nous dirions un maillage. Un maillage d’alliances différentes qui se superposent pour permettre aux États-Unis d’être présents dans toute la région. 

Sur le plan militaire, l’objectif des Américains depuis longtemps est d’y transférer une grande partie de leurs forces navales situées dans l’Atlantique. C’est en cours, mais le problème est que régulièrement, les États-Unis sont appelés vers d’autres crises, comme en Ukraine ou au Moyen-Orient. Ils n’arrivent donc pas à mettre tous leurs pions dans l’Indo-Pacifique. Mais ils finiront par y arriver.

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"La question est de savoir si la Chine ne va pas se dépêcher d’envahir Taïwan avant qu’elle n’en ait plus la force." Laurence Nardon 


Mais sur le plan géopolitique, elle n’est pas moins dangereuse et toute la question est de savoir si elle ne va pas se dépêcher d’envahir Taïwan avant qu’elle n’en ait plus la force, ou si elle va adopter une position de prudence. Peut-être est-il déjà trop tard pour une invasion de Taïwan par la Chine, d’autant plus que la puissance navale américaine dans l’Indo-pacifique tient cette dernière en respect.

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Et l’Europe dans tout ça?

Du point de vue géopolitique, les Européens doivent se prendre en main comme ils l’ont fait depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. L’Europe ne doit pas avoir peur ni douter d’elle-même. Économiquement, elle décroche par rapport aux États-Unis, mais on est en droit de se demander ce que les Américains font de leur croissance… Les inégalités y sont très fortes, le système de santé est beaucoup moins efficace qu’en Europe. Et je ne suis pas certaine que la course à la croissance infinie soit positive pour le climat, qui est d’ailleurs le grand absent de la géopolitique américaine.

 

"Géopolitique de la puissance américaine", PUF, Paris, 176 pages
 

>Lire l'interview sur le site de L'Echo 

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Etienne BASTIN

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Laurence NARDON

Laurence NARDON

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Responsable du Programme Amériques de l'Ifri

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Le président des États-Unis Joe Biden, Emmanuel Macron, président de la France et Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), Sommet de l'OTAN à Washington, 10 juillet 2024
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