L'armée chinoise a-t-elle dépassé l'armée russe ?
A Moscou, Xi Jinping et Vladimir Poutine ont signé un accord ouvrant «une nouvelle ère» dans leurs relations qui, sur le plan militaire, connaissent une inversion croissante des rapports de force. La «nouvelle ère» des relations russo-chinoise débute sur un franc déséquilibre sur le plan militaire et technologique. L'avantage historique du Kremlin s'amenuise au fur et à mesure des investissements colossaux consentis par Pékin dans son industrie de défense.
Ainsi, début mars, Pékin annonçait une hausse de 7,3% de son budget militaire. Une hausse «cohérente avec les ambitions militaires de la Chine, car son armée se modernise mais n'est pas encore mature», souligne Marc Julienne, chercheur et responsable des activités Chine au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (IFRI).
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Depuis 2016, l'armée chinoise a lancé une grande réforme avec deux objectifs : rationaliser et réduire la chaîne de commandement et renforcer le contrôle politique du parti sur l'Armée populaire de Libération (APL). Dans le même temps, des investissements colossaux sont consentis pour accroître les équipements de l'APL.
«Cette croissance quantitative a surtout profité à la marine et à l'armée de l'air chinoise», spécifie Marc Julienne. L'amiral Vandier, chef d'état-major de la Marine nationale, estimait que tous les quatre ans la marine chinoise fabriquait l'équivalent de la française, ajoutant qu'en «2030, le tonnage de la marine chinoise sera 2,5 fois supérieur à celui de la marine américaine». De plus, cette modernisation doit aussi permettre un affranchissement des importations militaires et la création d'usines indépendantes.
Un partenaire historique
La Russie est historiquement le grand partenaire militaire de la Chine. Malgré plusieurs brouilles diplomatiques, les liens se sont renoués à la chute de l'URSS.
«Durant une petite décennie, la coopération a été très intense. La Chine s'est surtout largement servie dans la Base industrielle et technologique de défense (BITD, NDLR) russe qui était en déshérence», souligne Marc Julienne. Mais Moscou s'est rapidement rendu compte que la Chine pratiquait de la rétro-ingénierie, c'est-à-dire qu'elle achetait des matériels russes pour les étudier, puis les copier. Par exemple, l'avion chinois J-11 est très inspiré du SU-27 russe.
Le refroidissement s'achève avec la conquête russe de la Crimée en 2014.
«Poutine était assez isolé, et s'est assoupli sur les transferts d'armes à destination de la Chine. Ainsi les S400 (un système de défense antiaérien, NDLR), ont pu être vendus», ajoute Marc Julienne. «Mais la Chine tend à moins acheter des matériels russes, puisqu'elle est de plus en plus autonome», signifie-t-il.
Ainsi, Moscou qui était un «partenaire majeur» de Pékin, se voit progressivement dépassée par l'élève chinois.
«Moscou s'inquiète d'être un partenaire de moins en moins décisif, sa prédominance technologique et militaire s'effiloche», abonde Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI.
Ainsi, la Chine dépendait de la Russie pour les moteurs de ses avions de combats.
«Même si les avions étaient chinois, leurs moteurs étaient russes. Mais le J-20 (dernier né de la flotte chinoise, NDLR) a un moteur chinois», souligne Léo Péria-Peigné. Des avions qui doivent permettre une «zone d'exclusion aérienne» en cas d'invasion de Taïwan. Cette prise d'indépendance coïncide avec l'affirmation chinoise dans ce qu'elle considère comme sa «zone d'influence», c'est-à-dire les mers de Chine.
Un usage différent de l'outil militaire
En réalité, l'armée russe et ses 700.000 soldats pour un budget de 61 milliards de dollars par an ne rivalisent pas sur le même plan que l'APL, ses deux millions d'hommes et ses 225 milliards de dollars annuels. L'armée russe, avec une réforme interne entamée en 2008, a priorisé la modernisation de son corps expéditionnaire largement étrillé en Ukraine. La Chine de son côté a modernisé sa flotte maritime et aérienne dans l'hypothèse d'une confrontation autour de Taïwan.
«L'armée russe sort de trente ans de difficulté et, au-delà de son corps expéditionnaire, connaît de grosses disparités d'entraînement», estime Léo Péria-Peigné. À l’inverse, le niveau de l'armée chinoise «tend à s'homogénéiser», ajoute l'expert.
«Pour résumer, l'armée russe du XXIe siècle est en phase de déliquescence alors que l'armée chinoise monte en puissance, se modernise et cherche à dégraisser ses effectifs», relève Marc Julienne. Mais pour monter en gamme, l'APL a besoin d'entraînement que peut lui fournir la Russie. «C'est fondamental, précise Marc Julienne. Les exercices sino-russes sont différents de ceux de l'Otan qui reposent sur l'interopérabilité, mais ils demeurent importants».
D'autant que les marins chinois, par exemple, manquent cruellement d'expérience et ont tout à apprendre de leurs homologues russes. Depuis 2008, la marine chinoise participe à des missions de lutte antipiraterie dans l'Océan Indien, qui permettent de former une génération de marins. Mais elles ne suffisent pas à former une force navale qui entend rivaliser avec la marine américaine.
«Avoir des équipements modernes ne présage pas de l'humain qui va les opérer. Les Chinois n'ont pas connu de guerre depuis 1979 (perdue contre le Vietnam, NDLR)», souligne Léo Péria-Peigné. Une analyse confirmée par une source militaire : «Les Chinois construisent à grands frais de nombreux matériels, dont la qualité n'est pas éprouvée, et à destination de militaires qui ne connaissent pas le feu.»
Un dernier point confirmé par Marc Julienne dans une note récente pour l'IFRI : «Une question reste néanmoins en suspens, celle de la valeur opérationnelle des troupes chinoises et de la solidité de leur engagement idéologique, dans un contexte de conflit de haute intensité.» L'exemple russe, qui s'enlise dans sa guerre d'invasion contre l'Ukraine, a semé le doute à Pékin.
«Les Chinois ont été, comme beaucoup d'experts, surpris par les difficultés russes en Ukraine. Ça les confirme dans l'idée qu'ils ne pourront prendre Taïwan de force», estime Léo Péria-Peigné.
La guerre d'Ukraine pourrait donc être le meilleur atout de survie taïwanais. Jusqu'au renforcement, chaque jour plus grand, de la puissance chinoise.
>> Retrouver 'larticle en intégralité sur le site Le Figaro
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