L’Allemagne œuvrera-t-elle aux côtés de la France face aux États-Unis ?
Alors que le leader des conservateurs, Friedrich Merz, est arrivé en tête des législatives allemandes dimanche 23 février, le parti d’extrême droite AfD est devenu la deuxième force politique du pays. Décryptant le nouveau cadre des relations franco-allemandes, Marie Krpata, chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemands (Cerfa) s’interroge sur la solidité du tandem européen face à Trump.

Près de 60 millions d’électeurs étaient appelés à élire un nouveau Bundestag le 23 février 2025. De ces élections découlera également un nouveau gouvernement. Alors que le conservateur Friedrich Merz est sorti vainqueur du scrutin et qu’une coalition se profile avec un ou probablement deux partenaires, quels sont les enjeux du futur gouvernement allemand notamment face aux mutations profondes de la relation transatlantique dans un contexte de guerre en Ukraine, mais aussi au regard des défis économiques de l’Europe ?
Sous le mandat d’Olaf Scholz, l’Allemagne et la France ont eu du mal à se mettre au diapason. Ceci, alors que le tandem franco-allemand représente une véritable boussole pour l’Union européenne (UE). Le résultat des élections fédérales présage-t-il un regain d’élan entre la France et l’Allemagne tant espéré dans les capitales européennes ?
Une « Zeitenwende 2.0 » sous Merz
La politique du chancelier Olaf Scholz, marquée par la Zeitenwende (changement d’époque), a obligé l’Allemagne à revoir ses fondamentaux : dépenser plus pour sa défense, mettre fin à des décennies d’étroites relations avec Moscou et se défaire de ses dépendances. Côté français, cette Zeitenwende a été perçue comme transatlantique et non européenne : achat par Berlin d’équipement militaire américain ; entente entre Scholz et Biden face à la Russie ; sur l’élargissement de l’Otan ; et sur la livraison d’armes à l’Ukraine.
Mais après la Conférence de sécurité de Munich et le rapprochement entre Washington et Moscou en février 2025, c’est l’impression d’une deuxième Zeitenwende qui domine : après la rupture avec la Russie faut-il maintenant prendre ses distances face aux États-Unis – pourtant garants de la sécurité de l’Europe notamment à travers la dissuasion nucléaire ?
Si c’est le cas, l’alternative de l’Allemagne sera-t-elle européenne dans une logique d’« autonomie stratégique », comme le suggère la France ? La CDU est en tout cas favorable au renforcement de la base industrielle de défense européenne et Friedrich Merz a récemment laissé entendre qu’il fallait discuter avec la France de la possibilité de pouvoir bénéficier du parapluie nucléaire français, signe d’un doute grandissant sur la fiabilité des États-Unis.
Autre question : Merz œuvrer a-t-il aux côtés de la France pour que l’Europe soit présente lors de la définition d’une future architecture de sécurité européenne, alors que l’administration Trump est en train d’embrasser le narratif de l’agresseur russe contre l’Ukraine et envisage un règlement du conflit entre Washington et Moscou ?
Une approche « Germany first » ou « Europe first »
En matière de politique industrielle, la position de l’Allemagne a convergé vers celle de la France au cours des dernières années. Friedrich Merz souhaite favoriser les « champions européens » à condition que les subventions soient ciblées dans des domaines précis. Dans le cadre de ces initiatives, le frein à l’endettement, sur lequel la CDU est inflexible, risque de grever la capacité de l’Europe à investir dans les technologies d’avenir. En cas d’inaction côté européen, l’écart avec les États-Unis et la Chine en termes de compétitivité pourrait se creuser comme l’illustre le rapport de Mario Draghi, largement salué en France mais dont la réception a été plus mitigée outre-Rhin.
En outre, des efforts des deux côtés du Rhin sont nécessaires pour une meilleure entente sur le plan de la politique commerciale. Autrement dit, l’accord UE-Mercosur est susceptible de rester une pomme de discorde entre la France et une Allemagne sous un gouvernement mené par une CDU pro libre-échange. De même, si l’Allemagne ne se montre pas plus ferme par rapport aux partenaires commerciaux qui utilisent des pratiques commerciales déloyales, ces partenaires pourraient être incités à continuer leur bras de fer avec l’Europe, comme le souligne la France. Cela vaut pour les États-Unis et la Chine.
L’Allemagne sera-t-elle tentée de faire « cavalier seul » pour éliminer les obstacles qui l’empêchent de pleinement déployer sa force économique ou avancera-t-elle consciente de la nécessité d’atteindre une taille critique à l’échelle européenne pour tenir tête à la Chine et aux États-Unis ? Le repositionnement de l’Allemagne résultera aussi de la capacité de son gouvernement de parler d’une seule voix, la rendant fiable pour ses partenaires européens, ce qui dépendra du nombre de partis présents dans la coalition.
La France, facteur d’incertitude
Si les élections fédérales sont susceptibles d’apporter davantage de stabilité côté allemand, c’est la fragilité de la France, tant sur le plan de la politique intérieure que sur le plan des finances publiques, qui risque d’empêcher la formation d’un tandem franco-allemand solide.
On peut toutefois espérer que l’arrivée d’un nouveau gouvernement allemand sera susceptible de relancer la relation franco-allemande, en incluant d’autres partenaires, notamment la Pologne de Donald Tusk qui remarquait à la veille des élections américaines que l’Europe allait devoir prendre plus de responsabilités et ne peut se contenter de sous-traiter sa défense aux États-Unis, dans la lignée des ambitions du président Emmanuel Macron. De cet alignement pourrait résulter une nouvelle impulsion européenne avec une Allemagne résolument tournée vers la défense des intérêts européens.
- Cet article est publié sur le site de La Croix.
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