La Russie utilise le conflit à Gaza pour affaiblir le soutien à l’Ukraine
Moscou s’est départi de sa position traditionnelle d’équilibre entre Israël et les pays arabes en ne condamnant pas l’attaque du Hamas. Le Kremlin voit dans le conflit une occasion de retourner contre « l’Occident collectif » les accusations portées à son encontre concernant le non-respect du droit international et les crimes contre des civils.
Un « cadeau du ciel » pour le Kremlin : l’expression revient en boucle dans les commentaires des diplomates occidentaux et des observateurs extérieurs. Les représailles israéliennes dans la bande de Gaza, en réponse à l’attaque terroriste conduite par le Hamas le 7 octobre, constituent une aubaine pour la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine et son affrontement contre « l’Occident collectif », selon l’expression en vigueur à Moscou.
Au lendemain de ces attaques, les médias russes ont à peine caché leur satisfaction, malgré le risque d’un embrasement généralisé au Moyen-Orient, Syrie comprise. Au-delà d’une part de fantasme – l’idée que les Etats-Unis seraient d’ores et déjà incapables de fournir en armes à la fois Kiev et Tel-Aviv –, il y a bien une réalité : la résurgence du conflit au Proche-Orient offre une diversion bienvenue pour Moscou et affaiblit la position occidentale sur l’Ukraine. « La situation peut jouer en faveur de la Russie », résumait le quotidien populaire Moskovski Komsomolets dès le 9 octobre.
L’enjeu dépasse la simple relégation du dossier ukrainien dans la hiérarchie de l’information des journaux télévisés. Il y va des efforts produits par les Occidentaux depuis février 2022 pour isoler la Russie et rallier à leur cause les pays désignés comme appartenant au Sud global. Ces efforts, couronnés d’un succès tout relatif, sont en passe d’être balayés, tant dans les opinions publiques qu’auprès d’un certain nombre de gouvernements, au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie, en Amérique latine. L’isolement menace… le bloc occidental.
« Du pain bénit pour Poutine »
La brutalité de la réplique israélienne et le soutien dont elle bénéficie dans les capitales occidentales affaiblissent deux piliers du discours des Occidentaux sur l’Ukraine : le non-respect du droit international par la Russie et les crimes commis par son armée. La comparaison n’a pas tardé à être établie entre les occupations russe et israélienne, que les Occidentaux refusent de mettre sur le même plan. De la même façon, le traitement différencié de crimes de guerre éventuels ravive le discours – ancien et récurrent dans le dossier israélo-palestinien – du « deux poids, deux mesures » et d’une « hypocrisie » occidentale. En d’autres termes, difficile, dans la fièvre ambiante, d’éviter les comparaisons entre les bombardements russes sur les infrastructures énergétiques ukrainiennes et la décision israélienne de couper l’électricité à Gaza ?
« C’est du pain bénit pour Poutine », reconnaît un diplomate européen. « Tout le discours et les efforts des Occidentaux sont fragilisés, constate également Tatiana Kastouéva-Jean, de l’Institut français des relations internationales. C’est une aubaine pour Moscou, qui a l’espoir de sortir de son isolement sur la scène internationale à la faveur de l’ouverture de ce nouveau front au Moyen-Orient. »
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Ce discours est aussi une façon de réaffirmer l’ancrage ukrainien dans le camp occidental, en démontrant que cet ancrage dépasse la question immédiate de la guerre contre la Russie. Mais le soutien total de Kiev à Israël pourrait aussi se retourner contre lui. « Le Sud global peut se demander pourquoi soutenir l’Ukraine si celle-ci se range d’un seul côté, ne condamne pas les frappes israéliennes et n’exprime pas de compassion pour les civils palestiniens », souligne Tatiana Kastouéva-Jean.
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