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« La Russie perçoit nos faiblesses en matière informationnelle »

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Julien Nocetti, chercheur au Centre Russie/NEI de l'Ifri, explique qu’Européens et Américains ont négligé les avancées de Moscou en ce qui concerne la «guerre de l’information» : le Kremlin a parfaitement saisi comment influer sur les opinions publiques occidentales pour «paralyser la prise de décision de l’adversaire».

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Comment lire les sanctions décidées jeudi par Washington, et la réponse russe ?

Obama veut faire d’une pierre deux coups à quelques semaines de la fin de son mandat : effacer son image de président indécis, voire inapte à l’action, surtout envers Moscou, et alerter la future administration Trump sur l’acuité de la double menace cyber et informationnelle venant de Russie. Il n’a pas annoncé de représailles «cyber», sachant bien qu’une attaque contre les réseaux russes ouvrirait une boîte de Pandore technique et juridique… La réaction de Moscou a été plutôt mesurée et prévisible, selon les standards russes : le Kremlin regarde vers Trump, et non plus vers Obama.

On parle beaucoup, à propos de la Russie, de «guerre hybride»et de «guerre de l’information»…

La notion de « guerre hybride » n’est pas nouvelle : on a coutume d’inclure dans ce concept les moyens alternatifs à la force brute pour parvenir à ses fins militaires (cyberguerre, propagande, guerre économique). On a eu tendance, notamment à partir des conflits en Crimée et en Ukraine, à essayer d’appliquer nos propres concepts sur les actions russes. Mais il n’y a rien de vraiment nouveau dans la manière dont les Russes ont conduit leurs interventions depuis deux ou trois ans. Il y a juste, selon moi, une conscience très forte de l’aspect stratégique de l’information, de la façon dont les perceptions peuvent influer sur les opinions publiques et sur les décideurs - l’objectif ultime étant de paralyser la prise de décision de l’adversaire. L’intervention russe en Géorgie en 2008 a été un tournant : les Russes se sont rendus compte qu’ils n’avaient pas l’avantage en matière de stratégie informationnelle, au plan militaire comme au plan médiatique. C’est à partir de là qu’on a commencé à voir des médias d’Etat, comme la chaîne Russia Today, devenir de plus en plus visibles dans l’espace médiatique occidental.

 

Influer sur les opinions était déjà un enjeu du temps de la guerre froide, côté soviétique comme côté américain. Qu’y a-t-il de nouveau ?

Les Russes ont une approche systémique de la guerre de l’information, qui se mène en temps de paix comme en temps de guerre, et ne se limite pas à la propagande classique. L’Europe comme les Etats-Unis se sont un peu endormis sur ce que les Russes pratiquaient en matière informationnelle, et n’ont pas perçu leur stratégie de long terme. Les objectifs restent les mêmes, mais l’échelle est différente avec les potentialités qu’offre le numérique. La vision russe du cyberespace ne se limite pas à l’infrastructure et aux réseaux, ni au Web, mais s’étend aux médias traditionnels - presse, radio, télé. La question de l’information est centrale. En interne, le discours est celui de la «forteresse assiégée» : l’espace informationnel est vécu comme travaillé par l’Occident pour pervertir la Russie. C’est ce qui explique que les grandes plateformes russes, comme VKontakte, l’équivalent de Facebook, ou Mail.ru aient été reprises en main par des proches du Kremlin. Mais à l’international, il existe une conscience aiguë de nos vulnérabilités. Du point de vue russe, les systèmes politiques et médiatiques occidentaux permettent de diffuser des discours «alternatifs» qui mettent l’accent sur certaines de nos faiblesses : les points de tension sur les valeurs, les questions sociétales…

Les cyberattaques qui ont affecté le Parti démocrate américain, attribuées à un groupe d’espionnage très actif soupçonné d’être lié au Kremlin, se sont doublées de «fuites» massives d’informations…

C’est plutôt une nouveauté au sens où on passe de l’espionnage traditionnel et de la propagande classique à une volonté de sabotage politique. Une quantité impressionnante de données a été révélée. C’est assez inédit dans la pratique russe, de même que le recours à des intermédiaires, comme WikiLeaks, même si on n’en a pas encore de preuve formelle. La Russie considère l’information comme une menace, mais elle perçoit aussi très bien nos propres faiblesses en matière informationnelle, et les moyens de s’appuyer sur celles-ci. Augmenter les budgets de cybersécurité et de cyberdéfense est certes nécessaire mais ne suffira pas. Les enjeux numériques sont de vraies questions diplomatiques, or l’Europe en a pour le moment une vision très économique. Elle doit prendre conscience que ces enjeux doivent être à l’agenda de discussions bilatérales avec la Russie.

 
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Julien NOCETTI

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