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La politique russe de Paris, à l'épreuve d'Ankara

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chronique parue dans la revue

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La France cherche sa politique à l'égard d'une Russie qu'elle voit aussi éternelle qu'elle-même. C'est sans doute une des relations bilatérales les plus saturées de clichés littéraires et de références historiques, remontant à Anne de Kiev (1024-1075). Tout juste élu, Emmanuel Macron avait accueilli, en grande pompe, Vladimir Poutine à Versailles.

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Féru d'histoire, le Président russe ne serait pas insensible aux signes extérieurs de grandeur.

En août 2019, le président de la République française l'a reçu à Brégançon avant d'instruire ses ambassadeurs de sa conception des rapports avec la Russie, en les encourageant à les repenser « très profondément », sans « naïveté », pour sortir de la « défiance ». En dépit du projet russe actuel « profondément conservateur et opposé au projet de l'Union européenne », des cyberattaques ou des tentatives de déstabilisation démocratique, Emmanuel Macron invitait à renouer les fils pour créer les conditions du « projet de recréation de la civilisation européenne » en avançant « pas à pas ».

Sa conception repose sur quatre idées principales. Premièrement, l'Occident a poussé la Russie vers la Chine. Deuxièmement, la stabilité du continent européen nécessite une nouvelle architecture de confiance et de sécurité construite avec la Russie, dans tous les domaines de la maîtrise des armements. Troisièmement, il est nécessaire de parler avec la Russie du spatial et de l'Internet où « les attaques sont quotidiennes ». Quatrièmement, la Russie « qui nous fait si peur a le produit intérieur brut de l'Espagne » ; elle n'a nullement vocation à être « l'alliée minoritaire de la Chine » et elle va « immanquablement » s'interroger sur son orientation future. Et la France doit se préparer à lui « offrir à un moment donné une option stratégique ». Bref, Emmanuel Macron, qui quitterait l'Élysée en 2027 s'il était réélu, joue le long terme avec Vladimir Poutine, qui pourrait rester au Kremlin jusqu'en 2036, s'il le souhaitait.

Un an plus tard, où en sommes-nous ? Sur le plan diplomatique, divers mécanismes bilatéraux ont été créés ou réactivés. Sur le plan géopolitique, les évolutions récentes éclairent un des angles morts de la conception présidentielle : le poids pris par la Russie et la Turquie en Méditerranée. En Méditerranée orientale, cinq ans après le début de son intervention militaire en Syrie, la Russie est en zone de confort. De son côté, la Turquie mène des opérations d'ampleur. En Méditerranée centrale, à l'instar de l'Égypte et des Émirats arabes unis, la Turquie et la Russie s'impliquent militairement en Libye, qui est en voie de « syrianisation », selon la diplomatie française. Le 12 février 2020, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté (avec une abstention de la Russie) la résolution 2 510, qui appelle à un cessez-le-feu et à l'application d'un embargo sur les armes. Le 8 juillet, la France a rappelé au Conseil de sécurité que cette résolution « s'applique à tous, la Turquie – comme la Russie – ne faisant pas exception ». Si elles soutiennent des forces opposées sur le terrain libyen, la Russie et la Turquie se retrouvent sur trois points : « désoccidentaliser » le Levant, contrôler indirectement le deuxième verrou migratoire vers l'Europe et déplacer le centre de gravité de la Méditerranée en fonction de leurs intérêts géopolitiques respectifs.

En déclarant l'Otan en état de « mort cérébrale » en décembre dernier, Emmanuel Macron s'est livré à un coup d'éclat plus médiatique que politique. Sans doute visait-il Ankara qui mène désormais ses guerres en profitant du blanc-seing de Donald Trump, sans se soucier le moins du monde de ses alliés otaniens. Les militaires français constatent une réalité crue : la Turquie engage ses forces sur quatre fronts (Nord de l'Irak, Nord de la Syrie, Idlib et Libye) dans la durée, elle bénéficie d'une « épaisseur » conventionnelle et elle fait preuve d'une vraie détermination politique. Selon Emmanuel Macron, la Turquie joue « un jeu dangereux » en Libye. Les tensions, notamment navales, se sont multipliées avec elle au cours des derniers mois, provoquant une cassure entre pays de l'Otan.

C'est en Méditerranée, plus qu'en Asie, que se joue le succès de l'initiative d'Emmanuel Macron. Avant de chercher à découpler la Chine et la Russie, il conviendrait plutôt de saisir l'ambivalence des relations russo-turques afin d'éviter une « syrianisation » de la Libye, qui affecterait beaucoup plus Paris que Moscou.

 

> Lire l'article sur le site de la revue Études

 

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Thomas GOMART

Thomas GOMART

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Directeur de l'Ifri