La menace nucléaire « permet de faire parler de la Russie et de faire peur aux Européens »
Une nouvelle fois depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie agite le chiffon nucléaire. Samedi, lors d'une réunion au cours de laquelle il recevait le chef d’État bélarusse Alexandre Loukachenko, Vladimir Poutine a annoncé que son pays allait livrer « dans les prochains mois » à la Biélorussie des missiles capables de transporter des charges nucléaires.
« Dans les prochains mois, nous allons transférer au Bélarus des systèmes de missile tactique Iskander-M, qui peuvent utiliser des missiles balistiques ou de croisière, dans leurs versions conventionnelle et nucléaire », a déclaré Vladimir Poutine.
Mais à quoi correspond vraiment l'armement évoqué par le président russe ? Et ce dernier souhaite-t-il directement menacer les pays voisins de la Biélorussie, ou bien espérait-il faire un coup de communication à l'approche du sommet de l'Otan ? On décrypte cela avec Héloïse Fayet, chercheuse au centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri), où elle est en charge du programme de recherche « dissuasion et prolifération ».
Quels sont les armements promis par Poutine à la Biélorussie ? Doit-on craindre l'arrivée d'armes nucléaires en Biélorussie dans les prochains mois ?
« Les armements russes, en particuliers ces missiles, sont à double capacité, ou « double emport ». C'est-à-dire qu'ils peuvent transporter des charges conventionnelles comme des charges nucléaires. Poutine se sert déjà de ces missiles Iskander à la frontière avec l’Ukraine, mais uniquement avec des charges conventionnelles, et il est d’ailleurs extrêmement peu probable qu’il utilise un jour une arme nucléaire car les conséquences pour Moscou seraient dramatiques. Ces systèmes sont également déployés à Kaliningrad, au plus près des frontières de l’Union européenne et de l’Otan. Cependant, ces armes à double usage renforcent l’ambiguïté car vous ne pouvez pas facilement savoir si les systèmes déployés sont nucléaires ou conventionnels. »
« Poutine sait très bien qu'en disant qu'il va livrer des missiles à double emport à la Biélorussie, il agite le spectre de la menace nucléaire. Ça permet de faire à nouveau parler de la Russie et de faire peur aux Européens. Alors que dans le communiqué de presse qui a été publié à la suite de sa rencontre avec Loukachenko, le président biélorusse, Vladimir Poutine a bien dit que pour le moment il n'y aurait pas de déploiement d'arme nucléaire en Biélorussie. »
Donc on n'est pas du tout dans une situation où un nouveau pays se retrouverait en possession d'armes nucléaires, n'est-ce pas ?
« Pour le moment, non. Cela reflète cependant un rapprochement encore plus visible entre la Russie et la Biélorussie, qui s’inscrit dans un temps beaucoup plus long. Fin février déjà, la Biélorussie avait décidé de mettre fin à son statut d’État non-nucléaire qui était garanti dans sa Constitution. En amont, Loukachenko avait préparé le terrain avec des déclarations en novembre 2021 où il affirmait que la Biélorussie était prête à accueillir des armes nucléaires russes. A l’époque, Poutine n’avait pas du tout donné suite à ses demandes. Maintenant, on est vraiment sur une évolution, un approfondissement de leur relation. C'est aussi le seul allié qui reste à Poutine dans la région. »
En promettant ces livraisons d'armes à capacité nucléaire, la Russie ne viole-t-elle pas le traité de non-prolifération nucléaire ?
« Tant que cela reste des charges conventionnelles, non. Et même si la Russie décide d’installer des armes nucléaires en Biélorussie, on pourrait imaginer un mécanisme semblable à celui de l’Otan, où des bombardiers américains stationnent dans certains pays européens afin d’assurer les missions de la dissuasion nucléaire élargie américaine. En revanche, si la Russie donnait directement des armes nucléaires à la Biélorussie en lui cédant le contrôle de l’arsenal – ce qui est extrêmement peu portable – Moscou serait en effet en violation du Traité de non-prolifération nucléaire. »
> Lire l'interview sur le site du Progrès
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