« La menace Daech n’a jamais disparu »
L’attentat qui s’est produit aux États-Unis pour le Nouvel An réveille le spectre de l’État islamique, qui continue à frapper, directement ou indirectement. Marc Hecker, directeur adjoint de l’Ifri, répond aux questions du Parisien.
Directeur adjoint de l’Institut français des relations internationales (Ifri), spécialiste du terrorisme et auteur de « la Guerre de vingt ans : Djihadisme et Contre-terrorisme au XXI e siècle » (Éd. Robert Laffont, 2021) avec Élie Tenebaum, Marc Hecker constate que « la menace terroriste n’est plus en tête des priorités ».
Comment réagissez-vous à cet attentat ?
Marc Hecker - L’enquête ne fait que débuter, il convient d’être prudent. On constate cependant que le mode opératoire, une voiture projetée dans la foule, s’inscrit dans la grammaire classique des attaques d’inspiration djihadiste. C’est le mode opératoire low-cost, qui permet de faire des victimes sans trop de savoir-faire. En multipliant les attaques de ce type, les terroristes ont pour objectif de polariser la société et de saigner le corps social à petit feu. On a par ailleurs retrouvé un drapeau du groupe Etat islamique (EI) dans la voiture de l’assaillant, donc le lien paraît établi, même s’il n’y a pas encore eu de revendication. Il faudra voir si on est dans le cadre d’un attentat inspiré, comme cela semble le plus probable, ou bien s’il s’agit d’une attaque téléguidée.
Que peut-on dire des circonstances de l’attaque, un soir de réveillon ?
Elles répondent aux objectifs des terroristes qui cherchent à donner un impact maximal à leurs actions. L’auteur savait que les images de son geste seraient reprises dans le monde entier. En s’en prenant à un lieu de fête, il y a aussi une dimension culturelle que l’on retrouve sporadiquement dans les attaques perpétrées par les organisations terroristes. Rappelons-nous, par exemple, l’attaque d’un club LGBT d’Orlando en 2016 qui avait fait 49 morts.
L’évocation de l’EI intervient à un moment où la menace représentée par cette organisation pouvait apparaître moindre…
Une analyse des documents stratégiques américains (comme la National Security Strategy) montre que, d’une manière générale, la menace terroriste n’est plus en tête des priorités. Un cycle de vingt ans qui a commencé en 2001 avec le 11 Septembre s’est achevé en 2021 avec le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan. Un nouveau cycle s’est ouvert avec l’attaque russe en Ukraine en février 2022. C’est le retour de la guerre inter-étatique et des conflits de haute intensité. L’attention et les moyens sont donc moins focalisés sur le terrorisme. En outre, aux États-Unis, depuis l’invasion du Capitole en 2021, la menace domestique (celle des suprémacistes blancs) était considérée comme supérieure à celle du djihadisme. Pour autant, la menace Daech n’a jamais disparu. La branche de l’État islamique au Khorassan (EI-K), implantée en Afghanistan, a été particulièrement active au cours des deux dernières années. On la retrouve derrière l’attaque du Crocus City Hall, dans la banlieue de Moscou (145 morts en mars 2024). En France, une cellule téléguidée par l’EI-K a été démantelée en novembre 2022 : les terroristes projetaient probablement de s’en prendre au marché de Noël de Strasbourg.
Daech reste malgré tout présent dans son fief syro-irakien, comme en témoignent les récentes frappes françaises.
C’est juste. Un rapport de l’ONU cette année estime que l’EI compte entre 2 500 et 5 000 combattants au Levant. Le groupe a été particulièrement actif en 2024 avec environ 300 attaques recensées. En face, la coalition internationale n’a pas disparu et se concentre sur les cibles à haute valeur ajoutée. L’objectif est d’empêcher l’organisation de se reconstituer.
Quel peut être l’impact de la récente prise du pouvoir par Hayat Tahrir al-Cham (HTC) en Syrie ?
Plusieurs sujets se posent. D’abord la nature du groupe et la réalité de sa rupture avec Al-Qaïda. S’est-il vraiment affranchi de la mouvance djihadiste internationale dont il faisait partie ? L’expérience de sa gestion de la région d’Idlib est à ce titre plutôt positive. On est face à un groupe islamiste qui pratique le djihad mais explique que son agenda est uniquement local.
Quel rôle peut jouer la communauté internationale ?
La question est de savoir si les dirigeants de HTC auront la capacité de mettre en place une politique contre-terroriste efficace. À ce titre, les États voisins, à commencer par la Turquie, auront un rôle à jouer dans la reconstruction du pays, notamment de son appareil sécuritaire. Il faudra également voir comment, plus largement, se maintient la coopération internationale. Le contexte est sans doute plus favorable qu’en Afghanistan où les talibans avaient battu les Américains et leurs alliés. Ici, le vaincu, c’est Bachar al-Assad.
Les massacres du 7 Octobre en Israël ont-ils eu un impact sur la menace terroriste ?
Le Hamas — qui trouve ses racines chez les Frères musulmans –, ce n’est pas Daech. Mais on pouvait se demander comment les organisations djihadistes internationales allaient réagir car, même si elles ne partagent pas exactement l’idéologie du Hamas, Israël demeure l’ennemi. Or, même si on a constaté une ébullition en ligne, on n’a pas observé de déferlante terroriste. La bande de Gaza, ce n’est pas la Syrie d’il y a dix ans. Ces attaques ont cependant continué à polariser les sociétés, la nôtre en particulier, ce qui demeure un objectif commun de toutes les attaques djihadistes.
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