La lutte contre les inégalités : mère de toutes les batailles ?
266 dollars. C'est le revenu annuel moyen des 10 % de travailleurs les plus pauvres. Les 10 % les plus riches gagnent, quant à eux, près de 90 000 dollars par an. Ces deux chiffres reflètent l'importance croissante des écarts de revenus et le creusement des inégalités. En août dernier, le G7 de Biarritz avait fait des inégalités son thème central car, pour la présidence française, elles « nourrissent légitimement beaucoup des contestations sociales et politiques qui déstabilisent certaines régions du monde ».
Quelles sont les conséquences géopolitiques des inégalités entre pays et au sein des pays ? Cette question devrait être au centre de la politique internationale au cours de la prochaine décennie, en raison de ses nombreuses répercussions territoriales.
Au cours des quarante dernières années, la mondialisation s'est traduite par la dialectique suivante : la diminution de l'extrême pauvreté à l'échelle globale s'est accompagnée d'une forte accentuation des inégalités. Dans un livre récemment traduit1, Branko Milanovic, ancien économiste en chef à la Banque mondiale, résumait ainsi le changement intervenu : « Les grands gagnants ont été les pauvres et la classe moyenne en Asie ; et les grands perdants, les classes moyennes inférieures du monde riche. » Ce constat conduit naturellement à se demander si les gains de la classe moyenne asiatique résultent des pertes de la classe moyenne inférieure des pays riches. La crise de 2008 a accéléré le rattrapage des économies asiatiques et notamment celle de la Chine dont le revenu moyen pourrait rejoindre celui de la moyenne européenne à l'échelle d'une génération. Autre phénomène à noter : le fameux 1 % de personnes les plus riches représente un ensemble de 70 millions de personnes – à peu près l'équivalent de la population française – qui contrôle environ 2 % de la richesse mondiale, soit deux fois celle de l'Afrique.
Milanovic met également en évidence la « prime de citoyenneté » dont bénéficient ceux qui sont nés au bon endroit, prime qui fonctionne en réalité comme une rente et assure, selon l'endroit de naissance, un niveau de revenu ainsi que des accès favorisant l'activité économique : « Une large part de notre revenu dépend du hasard de notre naissance. » Ces profondes différences dans les conditions de départ expliquent en grande partie les motivations migratoires, que ce soit entre les pays ou au sein des pays. La montée des inégalités nourrit souvent des forces destructrices. Toute une école d'économistes documente ces évolutions sur la durée et réfléchit aux politiques publiques susceptibles de faire reculer les inégalités dans un contexte d'urgence climatique, en insistant notamment sur le rôle de la fiscalité, de l'éducation ou de la dissémination technologique.
Cette réflexion sur les inégalités alimente à son tour un renouvellement des politiques de développement et de préservation des équilibres écologiques, avec notamment l'adoption par l'ONU, en 2015, des dix-sept objectifs de développement durable (ODD), qui s'appliquent pour la première fois à tous les pays et portent sur la totalité des secteurs d'activité. Ils appellent à une nouvelle territorialisation des politiques publiques. Pour ce faire, trois tendances doivent être suivies de près. Premièrement, le décalage grandissant entre l'Asie et l'Afrique dans leur rattrapage des pays riches. L'Afrique pourrait rester le continent de l'extrême pauvreté. Deuxièmement, la polarisation des sociétés occidentales au sein desquelles les différences de revenus seraient de moins en moins corrigées par l'éducation, les inégalités étant renforcées par les phénomènes d'endogamie sociale. Troisièmement, l'équilibre à trouver entre les taux de croissance des pays pauvres et peuplés, les flux migratoires et la durabilité environnementale. La plus fondamentale des inégalités concerne aujourd'hui l'espérance de vie : trente-deux ans d'espérance de vie séparent un habitant de Hong Kong et un habitant de la Sierra Leone. À Chicago, c'est à peu près le même écart entre le quartier le plus pauvre et le quartier le plus riche. Ce n'est pas tenable sur la durée. Tenter de réduire les inégalités n'est pas seulement affaire de justice sociale mais aussi de réalisme géopolitique.
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