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La France recentre sa politique de défense

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À l'heure des restrictions budgétaires, le livre blanc qui sera publié lundi met l'accent sur l'Europe et l'Afrique.

Fallait-il refaire si rapidement un livre blanc de la défense? En 1972, le premier document de ce type, censé établir un état des lieux des menaces et proposer des moyens pour y répondre, ­devait graver dans le marbre l'indépendance stratégique voulue par de Gaulle pour la France. En 1994, après la chute du mur de Berlin, il fallait liquider l'héritage de la guerre froide et prendre acte du nouvel ordre mondial. En 2008, le livre blanc a officialisé le concept d'«incertitude stratégique» dans un monde devenu plus instable et, disait-on, plus dangereux. Le document devait faire l'objet d'une simple révision en 2012, pour intégrer les printemps arabes, le basculement stratégique des États-Unis vers le Pacifique et la crise économique. Mais François Hollande, dès son arrivée à l'Élysée, a ordonné qu'il soit entièrement réécrit.

Les travaux de la commission ne se sont pas déroulés, c'est le moins que l'on puisse dire, dans une ambiance de grande sérénité. «Déficit de pilotage de l'exercice», «autoritarisme du ministère de la Défense», «vision trop optimiste de la situation», «absence de suivi de l'Élysée» : les membres de la commission présidée par le diplomate Jean-Marie Guéhenno font part de leurs frustrations. Ils ont parfois eu l'impression d'avoir été dépossédés de leur mission.

Commandé en juillet 2012, le livre blanc a vu sa publication plusieurs fois reportée à cause de l'opération «Serval» au Mali, qui a mobilisé entièrement l'Hôtel de Brienne pendant plusieurs mois. Mais surtout, le travail de la commission a été bouleversé par la contrainte du retour à l'équilibre des comptes publics. «Dès le départ, il y a eu une contradiction majeure entre la lecture du monde, qui n'est pas plus stable qu'en 2008, et les restrictions budgétaires, incontournables. Les membres de la commission ont eu du mal à regarder en face cet antagonisme», raconte une source proche du dossier.

L'analyse géopolitique n'en a apparemment pas trop souffert. Certains regrettent bien que les rédacteurs aient un peu trop rapidement glissé sur la Chine et la Russie. Mais les principaux changements internationaux ont été intégrés, selon les informations obtenues par Le Figaro,et à bon escient. Notamment le désengagement américain d'Europe et du Moyen-Orient. «C'est un fait majeur, lourd de conséquences, aussi important selon moi que les printemps arabes, car il signifie que l'on ne pourra plus désormais compter sur les États-Unis comme on le fit jusque-là», commente Étienne de Durand, le directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri, qui a suivi de près les travaux du livre blanc. Les deux dernières guerres livrées par la France, en Libye et au Mali, organisées autour de coalitions verticales, représentent selon lui «l'avenir». «Le fait que les États-Unis ne veuillent plus être en première ligne est un changement fondamental qu'il nous faut intégrer», poursuit cet expert.

Un paquebot qui bouge lentement

Second changement, le livre blanc restreint le domaine d'action de la France aux pourtours de l'Europe. «Les rêves formulés en 2008 de jouer un rôle en Asie sont oubliés. Nous n'avons plus les moyens de cette lointaine ambition», explique un membre de la commission.

L'intervention française au Mali a confirmé en revanche la nécessité de conserver les bases militaires en Afrique. «L'objectif de 2008 - rationaliser la présence militaire française en Afrique - est effacé. Le basculement annoncé de l'Afrique vers le Golfe n'a pas eu lieu. On sait en revanche que nous n'aurions jamais pu faire l'opération “Serval” si on avait fermé nos empreintes africaines, comme le stipulait le livre blanc de 2008»,poursuit la même source. En outre, la place du terrorisme dans cette analyse géopolitique est aussi importante qu'en 2008.

Après l'état de la menace, les solutions. Le monde est porteur des mêmes incertitudes stratégiques, mais le contexte budgétaire contraint les nouvelles ambitions françaises. Certes, l'hypothèse «Z», défendue par le ministère du Budget, celle qui aurait provoqué un déclassement stratégique de la France, a été écartée par François Hollande. Mais l'hypothèse «Y» ne fait que limiter les dégâts. En tombant à 1,35 % du PIB, le budget de la défense devient insuffisant pour maintenir le niveau et les ambitions des armées françaises à moyen terme. «C'est comme si on tirait sur un élastique. Si, d'ici à la fin de la décennie, on ne repasse par la barre des 1,7 ou 1,8 %, si on ne réinjecte pas de l'argent dans l'outil de défense, l'élastique se cassera au moment d'intervenir», prévient Étienne de Durand.

La Loi de programmation militaire (LPM) en fixera les détails l'été prochain. Mais le livre blanc a d'ores et déjà officialisé un certain nombre d'économies problématiques. Le «contrat opérationnel» a ainsi été divisé par deux, passant de 30.000 à 15.000 hommes. Pour de nombreux spécialistes, il ne correspond plus à la réalité. «Qui peut nous certifier qu'il n'y aura pas d'opération majeure consacrée à la défense territoriale dans les années futures? Qui défendra les Polonais ou nos alliés de l'Est en cas de problème avec leurs voisins?» s'interroge l'un d'eux. Les trois armées vont voir leurs effectifs et leurs équipements une nouvelle fois réduits.

En raison de l'effet d'inertie engendré par les longs programmes d'armements, la défense est un paquebot qui bouge lentement. Les effets de seuil pourraient avoir des conséquences catastrophiques sur les armées. «“Y” est un modèle fragile. Le combat ne fait que commencer. Bercy reviendra à l'attaque. Ce n'est pas le moment de baisser la garde, alors que nous avons enfin, après l'avoir préparée pendant plusieurs décennies, la position géopolitique dont nous rêvions», prévient une source qui a suivi de près les travaux de la commission.

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Etienne de DURAND

Intitulé du poste

Chercheur et Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri de 2006 à 2015