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« La France et l’Union européenne risquent de davantage subir la reconfiguration géopolitique globale que de l’orienter »

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Avec la loi de programmation militaire, Emmanuel Macron affirme sa volonté de réarmer le pays. Mais le directeur de l’Institut français des relations internationales explique dans une tribune au « Monde » que le retard pris par les Européens est trop important par rapport aux autres puissances.

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Les réactions suscitées par les déplacements d’Emmanuel Macron en Chine et aux Pays-Bas ne sont guère surprenantes. Elles semblent même souhaitées par le président de la République, qui se plaît à provoquer un tel émoi médiatique.

Ces deux visites d’Etat visaient autant les milieux diplomatiques que l’opinion française. Emmanuel Macron a relié directement les enjeux internes et externes par la « souveraineté européenne », appelée à devenir la marque de son double mandat. A Pékin, il l’a présentée comme « jumelle » de « l’indépendance française ». A La Haye, il a déclaré : « J’ai décidé de placer ce terme au centre de mon projet politique. » Dont acte. Mais, qu’en pensent les intéressés ?

En ce qui concerne nos partenaires européens, ils savent parfaitement que Paris aime jouer son rôle de trublion occidental. Tout cela finit par passer, se disent-ils. En revanche, ils répugnent à lui accorder un « régime spécial » en raison de son statut militaire. Même s’ils ont pris conscience de la versatilité américaine lors de la présidence Trump, la quasi-totalité des Européens ne peut concevoir sa défense que dans le cadre de l’OTAN. La dissuasion nucléaire singularise la France sur ce plan.

Pour la Chine, la souveraineté européenne doit être encouragée à partir du moment où elle distend les relations transatlantiques. Pour la Russie, elle n’a plus de sens dans la mesure où le Kremlin se considère en guerre contre « l’Occident collectif ». Au sein du « Sud global », il existe des attentes à l’égard d’une Europe qui permettrait d’échapper aux pièges de la rivalité sino-américaine, et de développer des logiques partenariales s’affranchissant de toute conditionnalité politique. Quant aux Etats-Unis, le niveau du soutien militaire apporté à l’Ukraine montre aux Européens le chemin qu’ils doivent encore parcourir pour parvenir, un jour, à être en mesure d’assurer la sécurité de leur voisinage.

Déclassement économique

Pour les Français, force est de constater que l’argument selon lequel la réforme des retraites contribue à la crédibilité de leur pays à l’égard de ses partenaires ne convainc pas. Une partie de l’opinion peine à voir que le déclassement de la France est moins diplomatique qu’économique : depuis 1975, le pays est passé du 5e au 26e rang mondial pour le produit intérieur brut (PIB) par habitant, comme le rappelle Jacques de Larosière. A cela s’ajoute une dette publique qui représente 112 % du PIB.

Une majorité de Français n’entend pas remettre en cause leur généreux système redistributif. Elle entend encore moins faire des efforts justifiés par la guerre d’Ukraine, et plus largement par le recul de l’Europe dans la compétition des puissances. Or Emmanuel Macron a associé aussi la « souveraineté européenne » à « l’économie de guerre » dans ses différentes interventions aux Pays-Bas. Seul le niveau de la dette – environ 3 000 milliards d’euros – correspond à cette situation, à ceci près qu’il a été atteint pour financer des dépenses courantes. Ce qui affaiblit évidemment la position de la France.

Dans ce cadre, comment convaincre de sa détermination à construire une réelle autonomie stratégique européenne ? Est-ce une chimère présidentielle ou un projet susceptible de mobiliser les forces vives ? Une partie de la réponse se trouve dans la loi de programmation militaire (LPM) (2024-2030), à condition de ne pas en faire un simple sujet législatif parmi d’autres. Nécessaire mais pas suffisant, ce texte devrait susciter beaucoup plus de débats au regard, d’une part, de la dégradation de l’environnement stratégique et, de l’autre, des sommes en jeu : 413 milliards d’euros (dont 13 milliards de recettes extrabudgétaires). Pour mémoire, l’actuelle LPM (2019-2025) mobilise 295 milliards d’euros.

C’est en relançant la dépense militaire, dès 2017, qu’Emmanuel Macron s’est distingué de ses quatre prédécesseurs. Comme dans le domaine de l’énergie, l’ensemble des forces politiques porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle de nos armées, et le degré d’impréparation du pays. Ces dernières disposaient d’un modèle dit « complet », qui est devenu échantillonnaire au fil des diminutions d’effectifs et de stocks, et devrait le rester si un minimum d’endurance opérationnelle n’est pas exigé. Il reposait principalement sur la dissuasion nucléaire et des capacités d’opérations extérieures.

Désarmement structurel

La phase ouverte par la guerre d’Ukraine rappelle l’importance du nucléaire, tout en soulignant les besoins en moyens conventionnels indispensables à un engagement majeur, ainsi que l’importance cruciale des forces morales, du spatial, du cyber et de l’intelligence artificielle. C’est un changement de paradigme majeur, qui ne saurait enfermer la réflexion stratégique à l’horizon 2030. D’ici là, la France et l’UE risquent de davantage subir la reconfiguration géopolitique globale que de l’orienter. Et il n’est pas dit que les interventions militaires soient définitivement sorties de l’horizon.

Si la France est en avance au sein de l’UE en matière de réarmement, cette dernière est en retard par rapport aux autres acteurs stratégiques. Les Européens ont commencé à désarmer au début des années 1970 et ont continué à le faire après le 11 septembre 2001, date à laquelle des pays comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la Turquie ou l’Inde ont relancé leurs dépenses militaires. Un désarmement structurel ne se rattrape jamais en période de crise aiguë.

C’est peut-être le sens de la déclaration présidentielle à Politico : « S’il y a une accélération de l’embrasement du duopole, (…) nous n’avons pas le temps ni les moyens de financer notre autonomie stratégique et deviendrons des vassaux. » Autrement dit, d’ici à 2030, il faut accélérer la préparation en espérant, d’une part, fédérer les efforts européens et en évitant, de l’autre, de se laisser entraîner dans des conflits éloignés géographiquement. C’est sur ce dernier point qu’apparaissent des contradictions dans le discours présidentiel. La « puissance d’équilibres » revendiquée par l’Elysée brouille le discours sur la « souveraineté européenne ». Un exemple parmi d’autres : comment se prétendre une puissance responsable de l’Indo-Pacifique en laissant l’impression de se détourner de Taïwan ?

Préparer le pays militairement en invoquant la « souveraineté européenne » sans le préparer politiquement, c’est prendre le risque de retarder la prise de conscience des périls extérieurs par les Français.

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Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), est l’auteur notamment de « Les Ambitions inavouées » (éd. Tallandier, 336 pages, 22,50 euros).

 

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