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« La France est la cible d’un traitement spécifique dans la propagande djihadiste »

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interviewé par Philippe Mirkovic pour

  Ouest-France
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Dix ans après les attentats à Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hyper cacher, survenus entre le 7 et le 9 janvier 2015, Marc Hecker, directeur adjoint de l’Institut français des relations internationales, décrypte les dynamiques du terrorisme islamiste. Et explique pourquoi cette menace reste durable.

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Médias face à l'intervention de la police française mobilisée suite aux attentats terroristes de Paris le 13 novembre 2015.
Médias face à l'intervention de la police française mobilisée suite aux attentats terroristes de Paris du 13 novembre 2015.
Frederic Legrand - COMEO / Shutterstock.com
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La menace terroriste reste très élevée en France depuis dix ans, pourquoi ?

Elle a fluctué depuis les attentats de 2015, mais est restée globalement élevée. Nous sommes d’ailleurs toujours en « urgence attentat », niveau relevé après l’attaque à Moscou du 22 mars, revendiquée par Daech, et des menaces pesant sur l’Hexagone avec les JO. Plusieurs projets ont été déjoués. D’autres avaient abouti avant : l’assassinat de Dominique Bernard à Arras, en octobre 2023, et l’attaque du pont de Bir-Hakeim, à Paris, en décembre de la même année. Le massacre perpétré par le Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, avait créé aussi un bouillonnement dans la mouvance djihadiste.

Quels autres éléments sont pris en compte ?

Il faut ajouter le nombre de personnes inscrites au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Environ 4 300 fiches actives aujourd’hui. C’est moins qu’il y a quelques années, mais toujours important. Autre facteur : les condamnés pour terrorisme sortant de prison (environ soixante-quinze par an). Tous ne sont pas « désengagés ». Enfin, le contexte géopolitique a changé depuis la fin du « califat territorial » de Daech, en 2019 : des groupes djihadistes se reconstituent dans les zones afghane, irako-syrienne et en Afrique. Et certains ont prouvé leur capacité à frapper à l’étranger.

Le traitement « spécifique » français

Pourquoi la France est-elle si souvent visée ?

Elle a eu un traitement « spécifique » dans la propagande djihadiste internationale, qui la montre comme un État en guerre contre l’islam. Les lois françaises pour protéger la laïcité sont présentées comme de l’islamophobie institutionnalisée. La participation militaire tricolore dans des coalitions frappant des groupes djihadistes au Sahel et au Levant est assimilée à une lutte armée contre les musulmans. En visant souvent l’Hexagone, avec de grosses ou de petites attaques (stratégie dite des « mille entailles »), les organisations terroristes cherchent à saigner lentement le corps social.

Notre pays n’avait pourtant pas été spécifiquement ciblé dans les années 2000…

Les groupes djihadistes attaquent d’abord les pays occidentaux pour ce qu’ils sont, pour leur culture. Mais ce que leurs gouvernements font compte aussi. Les États européens visés après le 11 septembre 2001 – comme l’Espagne et le Royaume-Uni – étaient engagés aux côtés des États-Unis dans la guerre en Irak. La France n’y participant pas, elle ne figurait pas en haut de la liste. Des projets ont néanmoins été déjoués. Il y avait déjà des filières d’acheminement de candidats au djihad, comme celle des Buttes-Chaumont, à Paris, dont était membre Chérif Kouachi, l’un des assaillants de Charlie Hebdo.

La situation a-t-elle changé ensuite avec la guerre civile en Syrie ?

Cela a vite eu un impact fort sur le développement de ces filières dans des quartiers prioritaires de grandes villes (région parisienne, Nice, Lyon, Toulouse, Lille, Strasbourg…). On parlait auparavant de quelques dizaines d’individus partis vers l’Irak ou l’Afghanistan. Entre 2011 et 2016, environ 1 500 personnes, dont un tiers de femmes, se sont rendues en Syrie. Et beaucoup d’autres ont été arrêtées avant leur départ, ou près de leur destination, en Turquie.

« N’importe qui pouvait être visé »

Comment expliquer l’ampleur de ces départs ?

La proximité géographique, une terre importante (« pays de Cham ») du point de vue religieux et le djihad à l’ère des réseaux sociaux, avec une propagande très efficace. Notamment pour le recrutement, pour vanter une qualité de vie en Syrie, la mise en place d’une nouvelle société, etc. Des familles entières voulaient s’y rendre. Daech ne recherchait pas seulement des combattants, mais aussi des ingénieurs, des médecins et des mères de famille.

C’est à l’apogée du groupe État islamique (EI), en 2014-2015, qu’interviennent de nouveaux attentats en France…

Oui, mais avant cela, il y a eu en 2012 les attaques contre des militaires et une école juive perpétrées par Mohamed Merah, entraîné au djihad armé en zone afghano-pakistanaise. Ensuite, Mehdi Nemmouche a été le premier Français formé par Daech en Syrie à frapper en Europe, en mai 2014, au musée juif de Bruxelles. Et puis il y a eu les attaques perpétrées en janvier 2015 par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly visant Charlie Hebdo, une policière à Montrouge et l’Hyper Cacher. Là encore, des « cibles » souvent pointées par la mouvance djihadiste : le journal ayant publié des caricatures de Mahomet, les forces de l’ordre et la communauté juive.

Cela a-t-il évolué ensuite ?

Oui, c’est une des raisons pour lesquelles les attaques du 13 novembre 2015 ont provoqué un tel effet de sidération et une telle peur. Au-delà du terrible bilan, les Français ont pris conscience que n’importe qui pouvait être visé.

Le 13 novembre, c’était un commando projeté de Syrie…

À son apogée, Daech formait des commandos en zone syro-irakienne pour les envoyer commettre des attaques à l’étranger. Le 13 novembre en est l’exemple le plus abouti. Par ailleurs, l’organisation a mis en œuvre du terrorisme « téléguidé » et « d’inspiration ». Le premier consiste à planifier des attentats depuis l’étranger et à trouver des opérateurs en Europe pour les réaliser. Le djihadiste Rachid Kassim, présumé mort en 2017, avait ainsi contacté plusieurs jeunes via les réseaux sociaux. Il a notamment été jugé par défaut et condamné à la perpétuité pour son implication dans un attentat manqué près de Notre-Dame de Paris, ainsi que dans l’assassinat du père Hamel, à Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime).

Une propagande qui a fonctionné

Et le terrorisme d’inspiration ?

Il s’est aussi développé avec les outils numériques : c’est la propagande seule qui convainc les personnes de passer à l’acte en utilisant des modes opératoires sommaires, à l’instar de véhicules béliers ou d’armes blanches. Cette menace est plus difficile à détecter par les autorités, car il n’y a pas de contact avec un commanditaire. On parle souvent de terrorisme « low cost » avec des assaillants dotés de compétences opérationnelles hétérogènes, faisant en général peu de victimes. Excepté le 14 juillet 2016, à Nice : 86 personnes ont été tuées par un camion bélier. Ce mode opératoire redoutablement simple continue à faire des émules dans différents pays, comme on l’a vu il y a quelques jours aux États-Unis.

Le terrorisme d’inspiration était-il connu avant Daech ?

On en trouve une origine lointaine dans un bréviaire djihadiste : l’« Appel à la résistance islamique mondiale » d’Abou Moussab al-Souri (2005) qui prônait la décentralisation maximale du djihad. Cet idéologue présentait Al-Qaida comme un « appel » plus que comme une organisation. Puis les théories d’al-Souri ont rencontré le web 2.0 : avec les nouveaux outils numériques (forums, réseaux sociaux), l’appel s’est diffusé et la propagande djihadiste a suscité des vocations terroristes dans les pays occidentaux. En 2010, Al-Qaida a lancé le webmagazine anglophone Inspire, dont l’objectif était précisément de susciter du terrorisme d’inspiration. Un article expliquait par exemple comment faire un maximum de victimes en fonçant sur la foule avec un véhicule.

La défaite territoriale du groupe État islamique a-t-elle marqué la fin d’un cycle stratégique ?

Oui, mais c’est aussi le retour au pouvoir des talibans à Kaboul, en 2021, qui a marqué la fin symbolique de la guerre globale contre le terrorisme, qui a duré vingt ans. L’année suivante, un nouveau cycle s’est ouvert, celui de la compétition de puissances, avec l’agression russe en Ukraine en février 2022 et le retour de la guerre interétatique. Cela a entraîné un bouleversement des priorités stratégiques. Le terrorisme islamiste n’apparaît plus comme la principale menace. La lutte se poursuit, mais avec de moindres moyens.

La Syrie « sous surveillance »

Pourtant des groupes djihadistes se reconstituent ?

Il y a un déplacement du centre de gravité du djihadisme vers l’Afrique, où trois fronts sont actifs : au Sahel, dans le bassin du lac Tchad et dans la Corne de l’Afrique. Par ailleurs, une branche de Daech est toujours opposée aux talibans au Khorasan, zone englobant l’Afghanistan, une partie de l’Iran, de l’Asie centrale et du Pakistan. Enfin, en Syrie, on a assisté fin 2024 à l’arrivée au pouvoir d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Ce groupe est une évolution de Jabhat al-Nosra, affilié à Al-Qaida jusqu’en 2016. Il explique ne plus avoir de velléité de djihad global. Reste à savoir s’il sera en mesure d’éliminer Daech, qui possède encore quelques milliers de combattants en zone syro-irakienne.

HTS compte-t-il de nombreux Français dans ses rangs ?

Il y en aurait quelques dizaines, et d’autres dans des groupuscules, dont l’un dirigé par le Niçois Omar Omsen, l’un des principaux recruteurs de jeunes djihadistes de 2013 à 2015. La situation est confuse avec le changement de régime à Damas. Elle est donc surveillée avec beaucoup d’attention, d’autant que certains Français pourraient être tentés de revenir et d’autres de partir. On voit bien que la menace terroriste reste un défi constant pour la France.

>Lire l'interview sur le site d'Ouest-France

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Oues-France

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Philippe Mirkovic

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Marc HECKER

Marc HECKER

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Directeur adjoint de l'Ifri, rédacteur en chef de Politique étrangère et chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri

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